LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 18 juin 2025
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 329 FS-B
Pourvoi n° Q 23-50.015
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JUIN 2025
M. [F] [B], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 23-50.015 contre l'arrêt rendu le 11 mai 2023 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant à la société Orial, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maigret, conseiller référendaire, les observations de Me Bertrand, avocat de M. [B], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Orial, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Maigret, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Ducloz, M. Alt, Mme de Lacaussade, MM. Thomas, Gauthier, conseillers, Mmes Vigneras, Lefeuvre, Tostain, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 mai 2023) et les productions, la société Atar a consenti à la société LMG Lyon Mag Group (la société LMG), des concours financiers par voie d'apport en compte courant pour un montant de 530 000 euros. Le 2 août 2007, en garantie de ces concours, M. [B], président et actionnaire principal de la société LMG, a consenti au bénéfice de la société Atar le nantissement d'un compte d'instruments financiers constitué d'actions de la société LMG.
2. L'acte de nantissement contenait, au titre de la réalisation du nantissement, une clause stipulant : « en application de l'article 2348 du code civil, l'attribution au bénéficiaire de la propriété des instruments financiers, étant précisé que la valeur des instruments financiers au jour du transfert sera déterminée par un expert choisi par le bénéficiaire, qui en informera le constituant. »
3. Le 9 novembre 2007, la société Atar a vainement mis en demeure la société LMG de lui rembourser sous huit jours la somme de 449 163 euros, puis a demandé que lui soit attribuée la propriété du compte d'instruments financiers nanti, choisissant M. [C] comme expert afin d'évaluer la valeur des actions nanties et de déterminer s'il y avait lieu au versement d'une soulte au profit de M. [B].
4. Dans son rapport déposé le 11 juin 2009, M. [C] a fixé la valeur de la société LMG à la date du transfert à 919 000 euros, soit 413 012 euros pour les actions nanties, cette valorisation n'entraînant, dès lors, aucune soulte au profit de M. [B].
5. M. [B] a alors assigné la société Atar, devenue depuis la société Orial, devant un tribunal de commerce, lui demandant, au vu du rapport d'un autre expert dont il avait sollicité l'avis, de la condamner à lui payer une soulte, après déduction de l'avance en compte courant, d'un montant de 1 480 000 euros.
Examen des moyens
Sur les troisième et quatrième moyens, pris en leur seconde branche
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. M. [B] fait grief à l'arrêt de juger que la désignation de l'expert [C] par la société Atar, devenue la société Orial, était conforme aux stipulations contractuelles ainsi qu'aux dispositions prévues à l'article 2348 du code civil, de sorte que cette désignation lui était opposable, alors « que la valeur du bien gagé ou nanti est déterminée au jour du transfert par un expert désigné à l'amiable ou judiciairement, à défaut de cotation officielle du bien sur un marché organisé, toute clause contraire étant réputée non écrite ; qu'en l'espèce, sur le fondement du rapport de l'expert évaluateur [C], et au regard d'une dette garantie d'un montant de 530 000 euros, la cour d'appel a fixé à 530 000 euros la valeur du nantissement au jour de sa constitution, soit à la date du 2 août 2007, et à 413 000 euros la valeur du nantissement au jour de sa réalisation, soit à la date du 22 novembre 2007, d'où elle a déduit que, cette dernière valeur étant "inférieure au gage consenti", M. [B] "ne peut dès lors prétendre à obtenir une quelconque soulte" ; qu'en se déterminant ainsi sur le fondement du rapport établi par un expert évaluateur, pour la seule raison que la désignation dudit expert était prévue par la convention de nantissement, quand, les actions nanties de la société Lyon Mag ayant été cotées en bourse du mois de février 2002 au mois de février 2008, ce qui est notamment indiqué dans le rapport de l'expert [C], de sorte qu'elles étaient cotées tant au jour de la constitution du nantissement qu'au jour de sa réalisation, cette circonstance était nécessairement exclusive de la désignation d'un expert évaluateur, la cour d'appel, qui n'a procédé à aucune recherche sur ce fait qui était dans le débat et qui conditionnait la mise en oeuvre de dispositions d'ordre public, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2348 du code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce. »
Réponse de la Cour
8. Il résulte de l'article 2348 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, que, à supposer établie la circonstance que les titres soient cotés sur un marché organisé au sens du code monétaire et financier, aucune règle ne fait obstacle à ce que les parties conviennent que la valeur de ces titres soit déterminée par un expert désigné à l'amiable ou, à défaut d'accord, judiciairement.
9. La cour d'appel, qui n'était dès lors pas tenue de procéder à une recherche inopérante, a légalement justifié sa décision de ce chef sans encourir le grief du moyen.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
10. M. [B] fait le même grief à l'arrêt, alors « que dans tous les cas où les biens gagés ou nantis ne relèvent pas d'une cotation officielle, la valeur de ces biens en vue de leur cession est déterminée par un expert désigné à l'amiable ou judiciairement, toute clause contraire étant réputée non écrite ; qu'en déclarant valable la clause de la convention de nantissement prévoyant la désignation de l'expert par le seul bénéficiaire du nantissement, au motif que les parties auraient ainsi "défini les modalités de désignation amiable d'un expert", quand les parties, si elles peuvent choisir l'expert amiablement dès la constitution du nantissement, ne sauraient par avance convenir que l'expert sera choisi par le seul bénéficiaire du nantissement, un tel dispositif ne valant pas désignation amiable de l'expert, la cour d'appel a violé l'article 2348 du code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2348 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 :
11. Selon ce texte, lorsqu'il est convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu'à défaut d'exécution de l'obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé, la valeur du bien est déterminée au jour du transfert par un expert désigné à l'amiable ou judiciairement, à défaut de cotation officielle du bien sur un marché organisé au sens du code monétaire et financier. Toute clause contraire est réputée non écrite.
12. Au sens de ce texte, la désignation à l'amiable d'un expert s'entend d'une désignation résultant d'un accord des parties et ne saurait être laissée à la seule discrétion de l'une d'elles.
13. Pour juger que la désignation de l'expert [C] par la société Atar, devenue la société Orial, était conforme aux dispositions de l'article 2348 du code civil, de sorte que cette désignation était opposable à M. [B], l'arrêt, après avoir relevé que l'acte de nantissement stipulait que la valeur des titres au jour du transfert sera déterminée par un expert choisi par le bénéficiaire, retient que les parties ont, ainsi, défini les modalités de désignation amiable d'un expert.
14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'expert avait été désigné par la seule société Atar, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt ayant jugé que la désignation de l'expert M. [C] par la société Atar, devenue la société Orial, était conforme aux dispositions prévues à l'article 2348 du code civil, de sorte que cette désignation était opposable à M. [B], entraîne la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt ayant, d'une part, constaté que la valeur au 2 août 2007 du gage litigieux avait été établie par M. [B] à 2,01 euros par action, soit 530 000 euros, et que cette valeur au 22 novembre 2007 avait été fixée par l'expert à 1,57 euros par action, soit 413 000 euros, constaté que la valorisation du gage consenti n'excédait pas la valeur de l'apport que le constituant avait entendu garantir et rejeté par conséquent la demande de M. [B] tendant au versement d'une soulte formée contre la société civile Atar, et d'autre part, condamné M. [B] à payer à la société Atar, devenue la société Orial, la somme de 30 000 euros pour procédure abusive, lesquels s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la société Orial aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Orial et la condamne à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le dix-huit juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.