Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge, en droits, majorations et intérêts de retard, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2009 à 2013, ainsi que la décharge ou, à défaut, la réduction, des amendes pour absence de déclaration de comptes détenus à l'étranger mises à leur charge au titre des années 2011, 2012 et 2013.
Par un jugement nos 1805521 et 1805522 du 5 janvier 2021, le tribunal administratif de Versailles a prononcé la décharge de trois des amendes pour non-déclaration de comptes ouverts à l'étranger qui leur ont été infligées au titre des années 2011 et 2013, à concurrence de la somme globale de 4 500 euros, et a rejeté le surplus de leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 8 mars 2021, 14 février 2022 et 18 octobre 2022, M. et Mme A..., représentés par Mes Billotte et Despicht, avocats, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il rejette le surplus de leurs demandes ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux et pénalités laissées à leur charge au titre des années 2009 et 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'administration fiscale a écarté les actes constitutifs des trusts comme ne lui étant pas opposables sans mettre en œuvre les garanties attachées à la procédure de répression de l'abus de droit ;
- les conditions de l'application des dispositions de l'article 123 bis du code général des impôts ne sont pas remplies dès lors que l'administration ne démontre pas que M. A... détenait 10 % des droits financiers dans les deux trusts, qu'à compter de 2012, tous les droits de vote ont été détenus par Mme B..., que seule la quote-part des revenus réellement perçus doit être retenue, que l'administration n'établit pas que le trust Morilight a été soumis à un régime fiscal privilégié et que les trust doivent être assimilés à des fiducies en droit français ;
- s'agissant de trusts établis dans l'Union européenne, en l'absence de montage artificiel, il y a lieu d'appliquer la clause de sauvegarde prévue par le 4 bis de l'article 123 bis du code général des impôts ;
- la quasi-totalité de sa part des bénéfices réalisés par les trusts AGM et Morilight ayant déjà été imposée en France au titre de ses bénéfices non commerciaux, l'administration fiscale ne peut l'imposer à nouveau sur les mêmes sommes sans procéder à une double imposition et méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques ;
- la majoration pour manœuvres frauduleuses doit être déchargée par voie de conséquence de la décharge des droits ;
- elle n'est pas fondée.
Par trois mémoires en défense enregistrés respectivement le 9 juillet 2021, le 4 avril 2022 et le 19 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 17 février 2023, l'instruction a été close au 10 mars 2023, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dorion,
- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A... ont fait l'objet d'un examen de leur situation fiscale personnelle au titre de l'année 2012 et de contrôles sur pièces au titre des années de 2009 à 2011 et 2013 à 2014, à l'issue desquels l'administration leur a proposé, selon la procédure contradictoire, des rectifications en matière de revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement de l'article 123 bis du code général des impôts. Ils relèvent appel du jugement du 5 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a prononcé la décharge de trois des amendes pour non-déclaration de comptes ouverts à l'étranger qui leur ont été infligées au titre des années 2011 et 2013, en tant que le tribunal a rejeté le surplus de leur demande de décharge.
2. Aux termes de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une personne morale, un organisme, une fiducie ou une institution comparable, établi ou constitué hors de France et soumis à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. / Pour l'application du premier alinéa, le caractère privilégié d'un régime fiscal est déterminé conformément aux dispositions de l'article 238 A par comparaison avec le régime fiscal applicable à une société ou collectivité mentionnée au 1 de l'article 206. (...) ".
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. Si les requérants soutiennent que l'administration a implicitement mis en œuvre une procédure de répression de l'abus de droit, il résulte de l'instruction que l'administration a exclusivement fondé les rectifications sur les dispositions anti-abus prévues par l'article 123 bis du code général des impôts, qui permet d'imposer les résidents fiscaux à raison de bénéfices réalisés à l'étranger par certaines entités établies dans des Etats ou territoires dans lesquels elles sont soumises à un régime fiscal privilégié, sur lesquelles ces résidents exercent un contrôle, même partagé, quelle que soit sa forme juridique et, dans le cas où il est quantifiable, supérieur à 10 %. Le moyen tiré de la méconnaissance des garanties prévues par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales est par suite inopérant.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la condition de détention :
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des actes constitutifs des trusts AGM et Morilight, que Mme B..., M. D... et M. A..., sont les owners, détenteurs des trusts AGM Trading Ltd et Morilight Ltd, à hauteur respectivement de 34 %, 33 % et 33 % des droits. Bien que les titres des trusts soient légalement détenus par un nominee, prête-nom qui les détient pour le compte des détenteurs des parts, les owners des trusts exercent en vertu de ces actes constitutifs les pouvoirs de gestion des sociétés mises en trust, notamment ceux d'ouvrir et gérer les comptes bancaires sur lesquels ils disposent de la signature, et en perçoivent les bénéfices. L'administration fiscale apporte ainsi la preuve que M. A... était détenteur d'au moins 10 % des deux entités établies hors de France, au sens du 1 de l'article 123 bis du code général des impôts.
5. En deuxième lieu, si le requérant soutient qu'il ne disposait plus d'aucun droit sur les trusts à compter de 2012, en se bornant à soutenir qu'il n'a plus facturé le trust AGM depuis le 13 juillet 2011 et à produire un " pacte d'associés réitératif ", des procès-verbaux de réunion de clôture annuelle et une attestation manuscrite de l'une des associée, postérieure aux opérations de contrôle, il n'établit pas que serait intervenue une répartition des droits des bénéficiaires différente de celle ressortant des actes constitutifs des trusts.
6. En troisième lieu, le requérant ne soutient pas utilement, à titre subsidiaire, qu'il ne doit être imposé qu'à hauteur du chiffre d'affaires qu'il a apporté et produit avec ses clients, dès lors qu'en application des dispositions rappelées au point 2 du présent arrêt, il est réputé avoir perçu des revenus de capitaux mobiliers à proportion de sa quote-part de 33 % dans les trusts AGM et Morilight.
En ce qui concerne le régime fiscal privilégié :
7. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 238 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " (...), les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été. ".
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les trusts AGM et Morilight ont facturé les prestations de conseil aux entreprises réalisées par M. A.... Cette activité de nature commerciale aurait été assujettie aux impôts commerciaux si elle avait été réalisée en France.
9. En deuxième lieu, l'administration fiscale établit, par les informations obtenues des autorités fiscales britanniques et gibraltariennes dans le cadre de demandes d'assistance internationale, que le trust AGM n'a pas déposé de déclarations ni supporté d'imposition au Royaume-Uni et que le trust Morilight n'a pas davantage été soumis à l'impôt à Gibraltar s'agissant d'une activité offshore, exonérée d'impôt sur ses bénéfices dès lors qu'elle n'est pas réalisée sur le territoire de Gibraltar. Le service a également constaté qu'aucun paiement de l'impôt n'avait été enregistré dans les comptes bancaires des deux trusts. Ce faisant, le vérificateur a démontré que ces entités ont été soumises à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du code général des impôts.
En ce qui concerne le montage artificiel :
10. Aux termes du 4 bis de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " Le 1 n'est pas applicable, lorsque l'entité juridique est établie ou constituée dans un Etat de la Communauté européenne, si l'exploitation de l'entreprise ou la détention des actions, parts, droits financiers ou droits de vote de cette entité juridique par la personne domiciliée en France ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française. ".
11. Si M. A... soutient que les trusts AGM et Morilight ne seraient pas un montage artificiel, il résulte de l'instruction que ces entités n'ont aucune activité économique sur leur territoire d'implantation, que leurs seules dépenses sont constituées de frais financiers de virements vers les comptes français des associés et qu'elles ne versent ni loyers, ni salaires. Les clients des trusts AGM et Morilight sont des sociétés françaises et les prestations de conseil en finance de marchés sont réalisées en France par les trois détenteurs des deux trusts, résidents fiscaux français. Dans ces conditions, l'interposition dépourvue de réalité économique des entités étrangères est constitutive d'un montage artificiel dans le but de contourner la législation fiscale française et d'éluder l'impôt.
En ce qui concerne la double imposition et la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques :
12. Si M. A... fait valoir que la majorité des recettes encaissées par la société AGM Trading Ltd a été refacturée et imposée en France au titre de ses bénéfices non commerciaux, ce moyen manque en fait dès lors qu'il résulte de l'instruction que les versements effectués par les deux trusts vers les structures françaises ont été exclus par le service vérificateur de la base imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en application de l'article 123 bis du code général des impôts. Il s'ensuit que le requérant n'a pas été imposé deux fois sur les mêmes revenus et que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques ne peut qu'être écarté.
Sur les pénalités :
13. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) / c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...). " Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, (...) la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration. ".
14. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les requérants ne sont pas fondés à demander la décharge des pénalités par voie de conséquence de la décharge des droits.
15. Pour appliquer des pénalités pour manœuvres frauduleuses sur le fondement des dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts, l'administration a relevé de nombreux indices de montage tels que la facturation par des entités étrangères dépourvues de réalité économique de prestations réalisées en France à des clients français, la volonté de ne pas apparaître comme les bénéficiaires par la constitution de trusts, l'associé apparent étant situé aux Iles vierges s'agissant du trust Morilight, le rapatriement en France d'une partie seulement des bénéfices réalisés, ou encore la mise à disposition des associés de cartes bancaires sur des comptes situés en Lettonie permettant aux bénéficiaires de disposer de moyens de paiement non traçables pour leurs dépenses personnelles, dans le but d'égarer ou restreindre le contrôle de l'administration. La circonstance qu'une partie des recettes des trusts a été refacturée et imposée en France est sans incidence à cet égard. Il en va de même de la circonstance, à la supposer fondée, que ce montage résulterait de conseils d'une société par la suite condamnée, qui ne répondaient pas aux souhaits des associés. Dans ces conditions, l'administration justifie du bien-fondé de l'application de la pénalité prévue au c de l'article 1729 du code général des impôts.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté le surplus de leurs demandes. La requête doit, par suite, être rejetée, y compris les conclusions fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Dorion, présidente,
M. Tar, premier conseiller,
Mme Pham, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juillet 2023.
L'assesseur le plus ancien,
G. TARLa présidente-rapporteure,
O. DORIONLa greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 21VE00642