Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les deux requêtes enregistrées sous les numéros 22NT01322 et 22NT01323 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. Mme F... et M. A... E..., ressortissants kosovars respectivement nés les 8 août 1998 et 17 mai 1998, déclarent être entrés irrégulièrement en France le 24 décembre 2021. Le 11 janvier 2022, leurs demandes d'asile ont été enregistrées au guichet unique de la préfecture de Maine-et-Loire. La consultation du fichier Eurodac consécutive au relevé des empreintes digitales des intéressés a révélé qu'ils avaient préalablement présenté une demande de protection internationale en Allemagne et aux Pays-Bas. Mme B... a été identifiée en ce sens le 6 janvier 2019 en Allemagne et le 23 avril 2019 aux Pays-Bas, et M. E... les 20 janvier 2014 et 4 janvier 2019 en Allemagne, et le 23 avril 2019 aux Pays-Bas. Saisies par les autorités françaises le 12 janvier 2022, les autorités allemandes ont refusé leur responsabilité le 13 janvier 2022 au motif qu'elles n'ont plus trace de M. E... sur leur territoire depuis le 30 mars 2019. En application des critères énumérés aux articles 7 à 15 du règlement n° 604/2013, les autorités néerlandaises, saisies le 12 janvier 2022, ont accepté leur responsabilité par accord explicite du 24 janvier 2022 sur le fondement du d du 1 de l'article 18 de ce règlement. Par deux arrêtés du 25 février 2022, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de transférer les intéressés aux autorités néerlandaises pour l'examen de leurs demandes d'asile. M. E... et Mme B... relèvent appel du jugement du 1er avril 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 25 février 2022.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire (...) ", et aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " (...) / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ". Aux termes de l'article R. 611-8-6 du même code : " (...) / Lorsque le juge est tenu, en application d'une disposition législative ou réglementaire, de statuer dans un délai inférieur ou égal à un mois, la communication ou la notification est réputée reçue dès sa mise à disposition dans l'application ou le téléservice. ". Aux termes de l'article L. 572-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque la décision de transfert est notifiée sans assignation à résidence ou placement en rétention de l'étranger, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision. / (...) / Il est statué dans un délai de quinze jours à compter de la saisine du président du tribunal administratif, selon les conditions prévues à l'article L. 614-5. / (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le préfet a produit deux mémoires en défense le 24 mars 2022, lesquels, contrairement aux allégations de
M. E... et Mme B..., ont été mis à leur disposition respectivement à 8h33 et 8h29 ainsi qu'il ressort des mentions figurant dans l'application Télérecours, soit avant la tenue de l'audience fixée le même jour à 10h30. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement en raison de la méconnaissance du principe du contradictoire ne peut qu'être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. D'une part, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) / (...) ". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ". Aux termes de l'article L. 572-1 du même code : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / (...) ".
6. D'autre part, les critères de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile sont définis aux articles 7 à 15 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. La présence sur le territoire d'un Etat membre des membres de la famille n'est pas un critère prioritaire pour déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile, étant précisé qu'en application de l'article 2 du même règlement, seuls le conjoint du demandeur et son ou sa partenaire marié(e) ou engagé(e) dans une relation stable ainsi que les enfants mineurs de ces couples constituent un membre de la famille du demandeur d'asile au sens des dispositions de ce même règlement.
7. Enfin, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la même convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
8. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
9. En premier lieu, M. E... et Mme B... invoquent des risques de retour au Kosovo qu'ils encourent, par ricochet, en cas de renvoi aux Pays-Bas. Ils font état de l'existence d'une décision de rejet de leur demande de protection internationale par les autorités néerlandaises et portant éloignement vers le Kosovo. De fait, les autorités néerlandaises ont explicitement accepté de reprendre en charge les intéressés sur le fondement du d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Toutefois, d'une part, il n'est pas établi qu'il y aurait de sérieuses raisons de croire qu'il existe aux Pays-Bas des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, à la supposer établie, les documents néerlandais produits n'étant pas traduits, la seule circonstance qu'à la suite du rejet de leur dernière demande de protection par les Pays-Bas les intéressés feraient l'objet d'une mesure d'éloignement depuis 2020 ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations. Par ailleurs, et quand bien même les requérants ont déjà fait l'objet d'un transfert vers les Pays-Bas en 2019 avant de revenir en France, il n'est pas établi qu'ils ne seraient pas en mesure de faire valoir auprès des autorités néerlandaises tout élément nouveau relatif à l'évolution de leur situation personnelle et de celle du Kosovo, et notamment leur situation d'apatrides, ni que les autorités néerlandaises n'évalueront pas d'office les risques réels de mauvais traitements auxquels ils seraient exposés en cas de renvoi dans leur pays d'origine. Au surplus, il est constant que le Kosovo ne reconnaît pas M. E... et Mme B... comme étant des ressortissants kosovars et que les autorités néerlandaises n'ont pu les éloigner à destination de ce pays précédemment.
10. En deuxième lieu, si M. E... invoque sa situation de vulnérabilité en ce qu'il a été soigné aux Pays-Bas en 2020 et 2021 par opération puis chimiothérapie pour un cancer des testicules et qu'il présente actuellement une récidive avec de multiples métastases, rien ne s'oppose à ce qu'il puisse bénéficier de nouveau de soins appropriés aux Pays-Bas dans la mesure où son état de santé l'exige. Ces éléments, dont certains au demeurant sont en langue néerlandaises non traduits, ne suffisent ainsi pas à démontrer qu'il se trouverait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état de santé de M. E... serait incompatible avec son transfert aux Pays-Bas. En tout état de cause, il n'est aucunement établi que M. E... n'aurait pas accès aux Pays-Bas aux traitements médicaux, alors surtout que les autorités néerlandaises ont expressément accepté de le reprendre en charge et connaissent son état de santé.
11. Enfin, les requérants font état de la présence en France des parents de M. E..., en situation régulière. Néanmoins, en application de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ces personnes ne constituent pas un membre de la famille du demandeur d'asile au sens des dispositions de ce même règlement. Au demeurant, les parents de M. E... ont obtenu le statut de réfugié en mai 2022, soit postérieurement aux arrêtés contestés. Dans ces conditions, et alors que rien ne s'oppose à ce que les requérants soient transférés avec leur enfant né en 2019 aux Pays-Bas, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
12. Dans ces conditions, M. E... et Mme B... ne sont fondés à soutenir ni que les décisions de transfert méconnaîtraient les stipulations des articles 8 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni que le préfet de Maine-et-Loire, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ses décisions sur leur situation personnelle.
13. La circonstance que les intéressés ne constituent pas une menace pour l'ordre public est sans incidence sur la légalité des décisions contestées dès lors qu'il ne ressort ni des pièces du dossier ni des décisions elles-mêmes que le préfet de Maine-et-Loire se serait fondé sur ce motif pour les édicter.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes. Leurs conclusions à fin d'injonction doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes de M. E... et de Mme B... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. A... E..., à Mme D... B..., à Me Hericher-Mazel et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 janvier 2023.
Le rapporteur,
L. C...
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N°s 22NT01322, 22NT01323