Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La communauté de communes Le Gesnois Bilurien a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement M. A... B... et les sociétés Le Batimans, Bureau d'Etudes et de Conseils Techniques Coordination Mètre Bâtiment (CMB), FL Ingénierie et SMABTP à lui verser la somme de 46 600,40 euros, en réparation du désordre affectant le revêtement de sol de son centre aqualudique situé à Montfort-Le-Gesnois, assortie des intérêts au taux légal ainsi que les entiers dépens.
Par un jugement n° 2000077 du 2 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande (article 1er) et a mis à la charge définitive de la communauté de communes Le Gesnois Bilurien les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 045,30 euros (article 2).
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 28 avril 2022, le 13 décembre 2022 et le 8 février 2023, la communauté de communes Le Gesnois Bilurien, représentée par Me Jousse, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 2 mars 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de condamner solidairement M. A... B... et les sociétés Le Batimans, Bureau d'Etudes et de Conseils Techniques Coordination Mètre Bâtiment (CMB), FL Ingénierie à lui verser la somme de 46 600,40 euros, assortie des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge solidairement de M. A... B... et des sociétés Le Batimans, Bureau d'Etudes et de Conseils Techniques Coordination Mètre Bâtiment (CMB), FL Ingénierie à lui verser la somme de 8 500 euros au titre des frais de première instance et de de 5 000 euros au titre des frais d'appel en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de condamner solidairement M. A... B... et les sociétés Le Batimans, Bureau d'Etudes et de Conseils Techniques Coordination Mètre Bâtiment (CMB), FL Ingénierie et SMABTP aux entiers dépens, comprenant le coût des frais d'expertise judiciaire liquidés et taxés à la somme de 4 045,30 euros.
Elle soutient que :
- la responsabilité décennale des constructeurs peut être engagée dès lors que si le décollement du revêtement de sol de la salle cardio était visible à la réception des travaux, l'origine de ce désordre, son ampleur et sa gravité n'ont été révélées que par l'expertise après réception des travaux ; ce désordre ne se limitait plus à un bullage du revêtement sur une zone lié à un problème de colle mais consistait en un décollement progressif du revêtement le long de la jonction entre les deux dalles ; il ne se limitait pas davantage à la salle cardio, seule salle concernée par la réserve, puisqu'il était observé dans la salle fitness attenante ; les responsables de ce désordre sont multiples, ainsi qu'il ressort de l'expertise. Ainsi, la société Le Batimans a, à tort, maintenu le rail dans le sol après l'avoir découvert, sans avoir alerté sur les conséquences de son maintien ; la société SPPM a accepté le support sans remise en cause du dallage avec le rail ; l'architecte et la société FL Ingénierie ont manqué à leur obligation de surveillance des travaux ; la société CMB, qui a assisté aux réunions de chantier, aurait dû s'informer auprès des différents intervenants sur l'opportunité de laisser le rail dans la dalle et en informer la maîtrise d'ouvrage ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs peut être engagée pour les mêmes motifs ;
- à titre plus subsidiaire, l'architecte a manqué à son obligation de conseil pour ne pas avoir proposé de retenir une réserve concernant la société Le Batimans, chargée du lot démolition-gros œuvre, s'agissant du maintien dans le sol d'un rail d'acier à l'origine du décollement du sol de la salle cardio et de la salle fitness ; même si aucun compte-rendu de chantier ne relate la décision de laisser le rail métallique à ras du sol, il ressort de l'expertise judiciaire qu'un débat sur ce point a eu lieu en cours de chantier en présence de l'architecte ; l'architecte ne pouvait pas manquer d'établir un lien entre la décision de conserver le rail d'acier dans le sol et les désordres liés au revêtement ;
- les travaux de réparation ont été réalisés par la société Le Batimans pour la somme de 15 031,25 euros et la société Gagneux Decors pour la somme de 12 905,93 euros, auxquelles s'ajoutent les frais de maîtrise d'œuvre d'un montant de 3 000 euros, les frais de location d'une salle temporaire pour accueillir les activités habituelles de la salle fitness pendant les travaux, d'un montant de 13 572,70 euros, le coût du transfert des appareils de musculation, d'un montant de 1 068 euros, ainsi que les frais d'alimentation électrique provisoire d'un montant de 1 022,52 euros.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 18 juillet 2022 et 3 février 2023, la SARL FL Ingénierie, représentée par Me Dupuy, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire, de limiter le montant des condamnations à la somme de 30 911,03 euros TTC, de rejeter la demande de condamnation solidaire et de condamner M. A... B... et la société Le Batimans à la garantir intégralement de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;
3°) à ce que soit mis à la charge de la communauté de communes Le Gesnois Bilurien une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
-la garantie décennale des constructeurs ne peut être mise en jeu dès lors que le désordre est localisé, n'a aucune vocation à évoluer et n'est pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ; il ne s'agit que d'un désordre esthétique, à savoir le décollage d'un revêtement de sol, sans danger pour les utilisateurs et l'ouvrage n'est pas impropre à sa destination ; le désordre était apparent à la réception des travaux ;
- elle n'a commis aucune faute dès lors qu'elle n'avait aucune mission de maîtrise d'œuvre mais une mission d'ordonnancement, de coordination et de pilotage ;
- à titre subsidiaire, aucune condamnation ne saurait excéder le chiffrage de l'expert fixé à la somme de 30 911,03 euros TTC ; sa part de responsabilité dans la survenance du sinistre ne saurait être supérieure à 5% comme l'a retenu l'expert et elle ne saurait être condamnée solidairement ; la responsabilité du maintien du rail incombe à l'architecte qui devra la garantir intégralement des montants mis à sa charge et il ne lui a jamais été fait état d'un besoin de réorganisation du chantier par les autres constructeurs ; le rail n'était pas visible avant dépose des éléments préexistants et il convient de rejeter l'appel en garantie de la société Le Batimans à son encontre ; à l'inverse, la société Le Batimans doit la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre dès lors qu'elle était tenue d'un devoir de conseil auprès du maître d'ouvrage et devait alerter les parties sur la présence du rail pour la réalisation du chantier.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 18 juillet 2022 et 3 février 2023, la SAS Bureau d'Etudes et de Conseils Techniques Coordination Mètres Bâtiment (CMB), représentée par Me Dupuy, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire, de limiter le montant des condamnations à la somme de 30 911,03 euros TTC, de rejeter la demande de condamnation solidaire et de condamner M. A... B... et la société Le Batimans à la garantir intégralement de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;
3°) à ce que soit mis à la charge de la communauté de communes Le Gesnois Bilurien une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- la garantie décennale des constructeurs ne peut être mise en jeu dès lors que le désordre est localisé, n'a aucune vocation à évoluer et n'est pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ; il ne s'agit que d'un désordre esthétique, à savoir le décollage d'un revêtement de sol, sans danger pour les utilisateurs et l'ouvrage n'est pas impropre à sa destination ; le désordre était apparent à la réception des travaux ;
- elle n'a commis aucune faute dès lors qu'elle n'avait aucune mission de maîtrise d'œuvre mais une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage et n'a joué qu'un rôle de conseil auprès de la communauté de communes ; elle ignorait qu'il avait été décidé de conserver un rail sur le chantier et les comptes-rendus de chantier ne mentionnent pas sa présence, ni l'existence d'une discussion entre constructeurs sur sa conservation ou sa dépose ; elle n'a pas donné son accord sur cette modification du chantier ;
- à titre subsidiaire, aucune condamnation ne saurait excéder le chiffrage de l'expert fixé à la somme de 30 911,03 euros TTC ; sa part de responsabilité dans la survenance du sinistre ne saurait être supérieure à 10% comme l'a retenu l'expert et elle ne saurait être condamnée solidairement ; la responsabilité du maintien du rail incombe à l'architecte qui devra la garantir intégralement des montants mis à sa charge et elle n'a pas été mise en possession de l'historique des travaux menés dans les locaux de nature à lui permettre de détecter la présence du rail ; le rail n'était pas visible avant dépose des éléments préexistants et il convient de rejeter l'appel en garantie de la société Le Batimans à son encontre ; à l'inverse, la société Le Batimans doit la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre dès lors qu'elle était tenue d'un devoir de conseil auprès du maître d'ouvrage et devait alerter les parties sur la présence du rail pour la réalisation du chantier.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2022, M. B..., représenté par la SELARL Delage, Bédon, Laurien et Hamon, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner tout succombant à le garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ;
3°) de rejeter les demandes de l'ensemble des parties adverses le visant ;
4°) de mettre à la charge de la communauté de communes Le Gesnois Bilurien une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les critères de la responsabilité décennale des constructeurs ne sont pas remplis dès lors que le désordre était apparent à la réception et a fait l'objet de réserves ; aucun élément ne permet de justifier le caractère évolutif de ces désordres ; le bullage du revêtement de sol des salles ne les rend pas impropres à leur destination et n'est pas généralisé ; la collectivité n'a fait état d'aucun incident relatif à la sécurité des usagers de la salle et ne formule aucune demande indemnitaire relative à une fermeture de salle ou perte d'exploitation ;
- il n'a commis aucune faute de nature contractuelle ; il n'avait pas connaissance de l'existence d'un rail encastré et les plans de l'existant ne le mentionnaient pas ; les sociétés Le Batimans et SPPM sont les seuls responsables du désordre dès lors qu'ils n'ont formulé aucune alerte technique à l'architecte, au maître d'ouvrage ou à son assistant tant en amont que lors des réunions de chantier ; il appartenait également à la société FL Ingénierie d'organiser les réunions de chantiers de maîtrise d'œuvre pour débattre des éléments nouveaux et de procéder au nouveau calage du calendrier du chantier en cas d'imprévus.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2022, la société Le Batimans, représentée par Me Viaud, demande à la cour :
à titre principal :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de la communauté de communes Le Gesnois Bilurien la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
à titre subsidiaire :
3°) de limiter le montant des condamnations demandées par la communauté de communes Le Gesnois Bilurien ;
4°) de condamner M. B... et les sociétés FL Ingénierie et CMB à la garantir des condamnations prononcées à son encontre à hauteur, a minima, de 95%.
Elle soutient que :
- les critères de la responsabilité décennale des constructeurs ne sont pas remplis ; le désordre était apparent à la réception des travaux et il importe peu que la cause soit alors indéterminée ; il n'est pas justifié du caractère évolutif de ce désordre ; le désordre n'a pas provoqué de problèmes de sécurité, de difficultés d'entretien des aménagements sportifs et n'est pas localisé dans des zones de passage ou de pratique sportive ;
- en tout état de cause, le désordre n'affecte pas un ouvrage de la société Le Batimans mais les revêtements de sol de la société SPPM ; la société Le Batimans n'a commis aucune faute car elle n'avait aucun devoir de conseil sur l'opportunité ou non de conserver le rail découvert dans la dalle et ne pouvait avoir idée des conséquences potentiellement néfastes du choix ; elle aurait enlevé ces rails si cela lui avait été demandé ;
- à titre subsidiaire, elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle et la réception de son lot a été prononcé sans réserve le 28 mai 2015 ; il n'y a pas de décalage entre le contenu de son marché et les travaux qu'elle a exécutés ; elle n'avait aucun pouvoir décisionnaire s'agissant de la conservation du rail, n'a aucune expertise dans ce domaine et n'a pu suivre que les préconisations du maître d'œuvre ; sa part de responsabilité dans la survenance du sinistre ne saurait être supérieure à 5% comme le propose l'expert. M. B... et les sociétés FL Ingénierie et CMB doivent être condamnées à la garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre à hauteur, à minima, de 95% ; de surcroît, le montant réclamé excède celui estimé par l'expert et les postes de transfert et de stockages des équipements sportifs, qui n'ont pas été validés dans leur principe et leur montant, ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chollet,
- les conclusions de M. Pons, rapporteur public ;
- et les observations de Me Jousse, représentant la communauté de communes Le Gesnois Bilurien, de Me Parée, substituant Me Viaud, représentant la société Le Batimans, et de Me De Pontfarcy, substituant Me Dupuy, représentant les sociétés FL Ingénierie et Bureau d'Etudes et de Conseils Techniques Coordination Mètres Bâtiment (CMB).
Considérant ce qui suit :
1. La communauté de communes du Pays des Brières et du Gesnois, devenue communauté de communes Le Gesnois Bilurien, a entrepris en 2014 des travaux d'extension d'un centre aqualudique situé à Montfort-Le-Gesnois (Sarthe). L'assistance à maîtrise d'ouvrage a été confiée à la société Bureau d'Etudes et de Conseils Techniques Coordination Mètre Bâtiment (CMB), tandis que la maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement composé notamment de M. B..., architecte et mandataire du groupement, et de la société FL Ingénierie, économiste de la construction, chargé de la mission ordonnancement, pilotage, et coordination (OPC). Le lot n°1 " Démolitions-Gros œuvre " a été attribué à la société Le Batimans et le lot n° 11 " Revêtement de sols souples " à la société SAS SPPM. Les travaux ont été réceptionnés avec effet au 28 mai 2015, sans réserve pour le lot n° 1 mais avec des réserves pour le lot n° 11 portant sur le sol souple de l'espace cardio, réserves qui n'ont pas été levées. A la demande de la collectivité, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a ordonné le 17 juin 2016 une expertise judiciaire, dont le rapport a été déposé le 23 novembre 2017. Les travaux de réparation du désordre affectant les revêtements de sol ont été réalisés en 2018 à la suite d'un nouvel appel d'offres attribué notamment à la société Le Batimans pour le lot n°1 " Maçonnerie ". La communauté de communes Le Gesnois Bilurien a ensuite demandé au tribunal de condamner solidairement l'architecte et les sociétés Le Batimans, Bureau d'Etudes et de Conseils Techniques Coordination Mètre Bâtiment (CMB) et FL Ingénierie à lui verser la somme de 46 600,40 euros, assortie des intérêts, en réparation des désordres. Elle relève appel du jugement du 2 mars 2022 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité décennale des constructeurs :
2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.
3. Il résulte de l'instruction que le décollement du revêtement de sol de la salle cardio avait été signalé en cours de chantier ainsi que le 10 juin 2015, date de la réception du lot n°11 " Revêtement de sols souples " de la société SPPM avec effet au 28 mai 2015. La collectivité maître d'ouvrage a alors émis une réserve portant sur les travaux exécutés par la société SPPM en relevant notamment " réserves sur le comportement du collage du revêtement sur la zone de plancher neuf avec apparition de bullage ". Il résulte des constatations opérées par l'expert que le désordre a plusieurs origines, notamment " la présence d'un rail acier ancien support du mur rideau " qui crée une " désolidarisation des matériaux ", " un pont thermique directement lié à cette cornière " qui a entrainé " des infiltrations d'air humide qui ne pouvant s'échapper au niveau du revêtement de sol imperméable s'est infiltré entre la dalle et le revêtement ". L'expert a indiqué sans ambiguïté que le désordre n'est pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage. En outre, il résulte de l'instruction qu'il est localisé " à des endroits précis ", à savoir " à la jonction entre les deux dalles ancien/neuf, autour des poteaux, sous les appareils de cardio très lourds ", à l'endroit " où se trouvent les rails, anciens supports du mur rideau " ainsi qu'à l'entrée de la salle fitness, également à la jonction entre les planchers. Il est ainsi peu important, tant par son étendue que son coût de réparation tel que relevé par l'expert, n'a pas gêné l'utilisation des équipements sportifs des salles concernées et n'est ainsi pas de nature à rendre impropres celles-ci à leur destination. Par suite, le désordre qui affecte le revêtement du sol n'engage pas la responsabilité décennale des constructeurs.
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :
4. La réception sans réserve de l'ouvrage met fin aux relations contractuelles entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage et la responsabilité du titulaire du marché ne peut alors plus être recherchée sur le terrain de la responsabilité contractuelle pour les désordres qui affecteraient l'ouvrage.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la collectivité maître d'ouvrage a réceptionné sans réserve avec effet au 28 mai 2015 les travaux du lot n°1 " Démolition-Gros œuvre " exécutés par la société Le Batimans, qui a notamment coupé la cornière en acier au ras du dallage. Par suite, la responsabilité contractuelle de la société Le Batimans, dont il n'est pas même allégué qu'elle aurait acquis la réception de ses travaux à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part, n'est plus susceptible d'être engagée, quand bien même le rail acier ancien support du mur rideau n'était pas apparent lors de la réception.
6. En deuxième lieu, si la collectivité maître d'ouvrage reproche à la société SPPM, titulaire du lot n°11 " Revêtement de sols souples " dont la réception a été effectué avec des réserves qui n'ont pas été levées à ce jour, d'avoir accepté " le support sans remise en cause du dallage avec le rail ", elle ne demande pas la condamnation de cette société et, en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que ce constructeur aurait commis des manquements dans l'exécution du marché.
7. En troisième lieu, la collectivité maître d'ouvrage soutient que la société FL Ingénierie a commis une faute dans sa mission de surveillance des travaux en l'absence de réaction lorsque la problématique relative à l'opportunité d'enlever le rail métallique au sol découvert en cours de chantier s'est posée. Toutefois, il résulte de l'instruction que cette société n'était chargée que d'une mission organisationnelle d'" Ordonnancement, coordination et pilotage " du chantier et n'avait ni à contrôler les prestations techniques des constructeurs, ni à informer le maître d'ouvrage des problèmes techniques intervenus en cours de travaux. Aucune faute d'exécution de son contrat ne peut lui être reprochée alors même qu'il aurait été décidé, d'ailleurs collectivement, de laisser le rail en place en raison d'un planning " très serré " du chantier, comme le soutient la communauté de communes.
8. En quatrième lieu, si la communauté de communes soutient que la société CMB aurait dû s'informer et se renseigner auprès des différents intervenants sur l'opportunité de laisser le rail métallique dans la dalle et en informer la maîtrise d'ouvrage, il est constant, d'une part, qu'aucun compte-rendu de chantier ne mentionne la présence dudit rail et une éventuelle discussion entre les constructeurs sur l'opportunité de le conserver ou de procéder à sa dépose, d'autre part, que la société CMB n'était " pas forcément présente sur le chantier ". Dans ces conditions, en l'absence d'établissement d'un manquement à ses obligations, sa responsabilité contractuelle ne saurait être engagée.
9. En dernier lieu, le maître d'œuvre qui s'abstient d'attirer l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage dont il pouvait avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves, commet un manquement à son devoir de conseil de nature à engager sa responsabilité. Le caractère apparent ou non des vices en cause lors de la réception est sans incidence sur le manquement du maître d'œuvre à son obligation de conseil, dès lors qu'il avait eu connaissance de ces vices en cours de chantier.
10. D'une part, il est constant que l'architecte a proposé la réception du lot n° 11 " Revêtement de sols souples " avec des réserves, portant précisément sur les désordres en cause et que ces réserves n'ont pas été levées. Il n'a donc pas commis de manquement à son devoir de conseil en ce qui concerne la réception de ce lot.
11. D'autre part, la communauté de communes soutient que la responsabilité contractuelle de l'architecte doit être engagée pour manquement à son obligation de conseil " pour n'avoir pas proposé de retenir une réserve concernant la société Le Batimans, chargée du lot " Démolition gros œuvre " s'agissant du maintien dans le sol d'un rail d'acier à l'origine du décollement du sol des salles cardio " et de la salle fitness. Toutefois, l'expert a précisé qu' " il ne s'agit pas de travaux non conformes aux pièces contractuelles puisque rien n'est indiqué dans le CCTP concernant la présence d'une cornière en acier. Les plans de l'existant ne le mentionnaient pas non plus ". Dans ces conditions, en l'absence, lors des opérations préalables à la réception, des explications ultérieurement apportées par l'experte sur l'origine du désordre ayant entraîné le bullage du revêtement de sol, M. B... ne pouvait avoir connaissance de la nécessité éventuelle d'assortir d'une réserve la réception du lot " Démolition gros œuvre ".
En ce qui concerne la charge des frais d'expertise :
12. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. ".
13. Compte-tenu de ce qui a été dit aux points 2 à 11, la communauté de communes Le Gesnois Bilurien n'est pas fondée à soutenir que les frais d'expertise devraient être mis à la charge solidaire de l'architecte et des sociétés Le Batimans, CMB et FL Ingénierie.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté de communes Le Gesnois Bilurien n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande et a mis à sa charge définitive les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 045,30 euros.
Sur les frais liés au litige :
En ce qui concerne les frais de première instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie tenue aux dépens. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la communauté de communes Le Gesnois Bilurien. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparait pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie ses frais d'instance devant le tribunal administratif.
En ce qui concerne les frais d'appel :
16. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'architecte et des sociétés Le Batimans, CMB et FL Ingénierie, qui ne sont pas les parties tenues aux dépens dans la présente instance, les sommes demandées au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
17. En second lieu, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté de communes Le Gesnois Bilurien une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la communauté de communes Le Gesnois Bilurien est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions des autres parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes Le Gesnois Bilurien, à la SAS Bureau d'Etudes et de Conseils Techniques Coordination Mètre Bâtiment (CMB), à la société FL Ingénierie, à la société Le Batimans et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 13 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2023.
La rapporteure,
L. CHOLLET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au préfet de la Sarthe en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22NT01290