Vu la procédure suivante :
La société Corinthe Ingénierie, la société Agence Guillermin et la société TransMobilités ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Cavalaire-sur-Mer à leur verser la somme de 782 535 euros hors taxes, soit 932 305 euros toutes taxes comprises, à parfaire, à titre principal sur un fondement contractuel ou, à titre subsidiaire, sur le fondement de l'enrichissement sans cause. Par une ordonnance n° 2000636 du 29 juillet 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande comme manifestement irrecevable, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.
Par un arrêt n° 21MA03852 du 22 mai 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du groupement de maîtrise d'œuvre composé de la société Corinthe Ingénierie, l'Agence Guillermin et la société TransMobilités, groupement représenté par la société Corinthe Ingénierie, mandataire, annulé cette ordonnance, condamné la commune de Cavalaire-sur-Mer à payer à la société Corinthe Ingénierie, agissant en qualité de mandataire du groupement, d'une part, une somme de 5 877,19 euros au titre des intérêts moratoires contractuels dus sur les factures payées avec retard et de l'indemnité de recouvrement et, d'autre part, une somme de 203 528 euros, assortie des intérêts moratoires contractuels courant à compter du 31 juillet 2021, et majorée de la taxe sur la valeur ajoutée et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 juillet et 25 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Cavalaire-sur-Mer demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge des sociétés Corinthe Ingénierie, Agence Guillermin et TransMobilités, solidairement, la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Céline Boniface, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de la commune de Cavalaire-sur-Mer et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Corinthe Ingenierie ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un contrat du 3 août 2015, la commune de Cavalaire-sur-Mer a confié au groupement constitué des sociétés Corinthe Ingénierie, mandataire, Agence Guillermin et Transmobilités, la maîtrise d'œuvre d'un projet de redéploiement des infrastructures et des espaces sur le domaine public maritime. La société Corinthe Ingénierie, agissant en qualité de mandataire du groupement, a saisi le tribunal administratif de Toulon aux fins de condamnation de la commune de Cavalaire-sur-Mer à lui verser une somme de 782 535 euros hors taxes, soit 932 305 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires, sur le fondement contractuel ou, subsidiairement, au titre de l'enrichissement sans cause. Par une ordonnance du 29 juillet 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette requête comme manifestement irrecevable sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. La commune de Cavalaire-sur-Mer se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 mai 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé cette ordonnance pour incompétence du magistrat désigné et, statuant par la voie de l'évocation, l'a condamnée à payer à la société Corinthe Ingénierie, agissant en qualité de mandataire du groupement, les sommes de 5 877,19 euros au titre des intérêts moratoires dus sur des factures payées avec retard et au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement et de 203 5028 euros hors taxe assortie des intérêts contractuels et majorée de la taxe sur la valeur ajoutée pour un montant de 40 705,60 euros.
2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et (...) les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans ou ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance : /(...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles approuvé par l'arrêté du 16 septembre 2019 : " Le pouvoir adjudicateur et le titulaire s'efforceront de régler à l'amiable tout différend éventuel relatif à l'interprétation des stipulations du marché ou à l'exécution des prestations objet du marché. / Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'une lettre de réclamation exposant les motifs et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Ce mémoire doit être communiqué au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. / Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception du mémoire de réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation ". Il résulte de ces stipulations que, lorsqu'intervient, au cours de l'exécution d'un marché, un différend entre le titulaire et l'acheteur, résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans un délai de deux mois, un mémoire de réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat.
4. Dès lors, en jugeant que l'irrecevabilité résultant des stipulations citées au point précédent sont relatives au bien-fondé des demandes et non à leur recevabilité et en se fondant sur ce motif pour annuler l'ordonnance rendue par le magistrat désigné sur le fondement des dispositions de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la commune de Cavalaire-sur-Mer est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Corinthe Ingénierie la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Cavalaire-sur-Mer, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Cavalaire-sur-Mer qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 22 mai 2023 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : La société Corinthe Ingénierie versera à la commune de Cavalaire-sur-Mer la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Corinthe Ingénierie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Cavalaire-sur-Mer et à la société Corinthe Ingénierie.