Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Chabé Limousines a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer le sursis de paiement et la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010.
Par un jugement n° 1700827 du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de sursis de paiement et déchargé la SAS Chabé Limousines des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 20 août 2020 et le 24 mars 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler les articles 2 et 3 du jugement attaqué et de remettre à la charge de la SAS Chabé Limousines les rappels de taxe sur la valeur ajoutée dont elle a été déchargée par le tribunal, à hauteur de la somme de 2 192 058 euros.
Le ministre soutient que :
- le tribunal a renversé la charge de la preuve ;
- les prestations de mise à disposition de véhicules avec chauffeur dont la facturation dépend exclusivement de la durée d'utilisation réalisées par la société Chabé Limousines ne relèvent pas du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux contrats de transport de voyageurs ; l'administration était fondée, pour identifier les prestations de mise à disposition de véhicules dont la tarification dépendait exclusivement de la durée d'utilisation, à mettre en œuvre une méthode basée sur le double critère de la durée d'utilisation et de la vitesse moyenne ; les prestations d'une durée de 90 minutes et dont le déplacement est inférieur à 10 km parcourus à l'heure ne sont pas éligibles au taux réduit ; ce critère comporte une marge d'erreur favorable à la société.
Par des mémoires enregistrés les 21 janvier 2021, 3 mai 2021 et 9 septembre 2021, la société Chabé Limousines, représentée par la SCP Poulet-Odent, société d'avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à la décharge des impositions contestées, et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- dès lors que le ministre admet que la méthode retenue par le vérificateur est viciée et que le jugement attaqué est fondé, l'appel ne comporte pas de critique du jugement ;
- l'administration ne peut légalement opérer une nouvelle vérification de comptabilité pour proposer une nouvelle rectification fondée sur une autre méthode de calcul ; les exercices en cause sont atteints par la prescription du droit de reprise prévue à l'article L. 176 du livre des procédures fiscales ; l'administration ne peut réitérer le contrôle sur les mêmes impôts et les mêmes années, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales ; elle n'a pas été destinataire de la proposition de rectification prévue à l'article L. 57 du même livre ; la nouvelle méthode appliquée par l'administration n'a pas été soumise à un débat contradictoire ; ces irrégularités emportent nullité de la procédure d'imposition ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ; le tribunal n'a pas inversé la charge de la preuve ; la nouvelle méthode repose sur un " critère ratio " similaire à celui censuré par le tribunal ; elle est radicalement viciée ; parmi les prestations retenues comme ne relevant pas du taux réduit figurent des prestations comportant des déplacements de moins de 10 km par heure dont la destination était connue à l'avance et dont la facturation tenait compte de la distance parcourue ; les tableaux résultant du tri effectué par l'administration sont inexploitables ; ils comportent des opérations ne répondant pas au critère que l'administration dit avoir mis en œuvre ; certaines de ces prestations concernent des véhicules de plus de neuf places exclues du champ d'application du rescrit 2008-16 A ; une vitesse commerciale de 10 km/h correspond à la vitesse moyenne d'un automobiliste à Paris ; les rectifications ne sont pas fondées dès lors que le service se réfère à des ratios sans tenir compte de ses conditions concrètes d'exploitation et n'a pas recherché le faisceau d'indices permettant de caractériser le contrat de transport ;
- elle reprend expressément l'ensemble de ses écritures de première instance ;
- l'administration fiscale a irrégulièrement opéré des retraitements, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, dès lors qu'elle avait opté pour l'option consistant à opérer elle-même les traitements informatiques demandés par le service ;
- la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires était compétente sur les questions de fait qui déterminent la qualification juridique, notamment l'appréciation des justificatifs produits ; les retraitements ont porté sur la correction de ses bases d'imposition pour tenir compte des décalages des règlements des clients ;
- l'administration fiscale ne peut se fonder sur sa propre doctrine contenue dans le rescrit n° 2008/16 TCA du 24 juin 2008 ; l'administration ne s'est d'ailleurs pas conformée à sa propre doctrine, qui repose sur un faisceau d'indice et non sur un " critère ratio " ;
- elle est fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la position formelle énoncée dans la lettre du 18 octobre 1985 du chef des services fiscaux lui indiquant que ses opérations constituaient des prestations globales de transport de voyageurs au sens de l'article 279 B quater du code général des impôts.
Par une ordonnance du 12 octobre 2021, l'instruction a été close au 12 novembre 2021, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision de la cour était susceptible d'être fondée sur le moyen relevé d'office tiré de la tardiveté de la requête d'appel enregistrée le 20 août 2020, plus de deux mois après la signification le 27 mars 2020, au ministre de l'action et des comptes publics, du jugement attaqué.
Par un mémoire en réponse au moyen soulevé d'office enregistré le 21 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que, les délais de recours ayant été prolongés par l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, sa requête est recevable.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,
- et les observations de Me Poulet pour la SAS Chabé Limousines.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Chabé Limousines, qui exerce une activité de location de véhicules de luxe avec ou sans chauffeur, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les années 2009 et 2010, à l'issue de laquelle le service a remis en cause, selon la procédure contradictoire, l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prévu par l'article 279 b quater du code général des impôts en faveur du transport des personnes à ses prestations de mise à disposition de véhicules avec chauffeur. Le vérificateur a appliqué le taux normal aux prestations portant la mention " mise à disposition " pour lesquelles aucun itinéraire précis n'était communiqué à la commande, dont la durée d'utilisation était supérieure à une heure trente et dont le déplacement réalisé sur le temps de la prestation était d'une distance inférieure à 70 km à l'heure. Par le jugement attaqué du 12 mars 2020 le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prononcé la décharge des rappels de TVA mis à la charge de la SAS Chabé Limousines au motif que le " critère ratio " mis en œuvre par l'administration fiscale ne permettait pas de déterminer avec exactitude, parmi l'ensemble des prestations réalisées au cours des années en litige, les véritables opérations de transport de celles de mises à disposition de véhicules avec chauffeur. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel de ce jugement et demande que soit remis à la charge de la SAS Chabé Limousines les rappels de TVA en litige à hauteur de la somme totale de 2 192 058 euros, correspondant aux prestations d'une durée d'utilisation supérieure à 90 minutes et dont la distance parcourue sur le temps de la prestation est inférieur à 10 km par heure.
2. Aux termes de l'article 279 du code général des impôts dans sa version applicable aux années d'imposition en litige : " La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 5,50 % en ce qui concerne : / (...) b quater les transports de voyageurs (...) ". Le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée s'applique aux mises à disposition, avec chauffeur, de véhicules conçus pour le transport de personnes lorsque ces opérations procèdent de l'exécution de contrats qui peuvent être qualifiés de contrats de transport, compte tenu notamment de leurs stipulations relatives à l'assurance et à la responsabilité du propriétaire ainsi qu'aux conditions concrètes d'exploitation de l'activité, en particulier des stipulations relatives à la tarification et à la maîtrise du déplacement par le propriétaire du véhicule. Ne relèvent pas d'une telle qualification, faute d'accord préalable sur les trajets à effectuer, les mises à disposition, avec chauffeur, de véhicules conçus pour le transport de personnes facturées à l'heure, pour lesquelles le tarif est totalement indépendant de la distance parcourue, voire de l'existence ou non d'un déplacement, comme les prestations assorties d'un kilométrage illimité ou celles dont les tarifs sont calculés exclusivement en fonction de la tranche horaire et de la durée de la prestation.
3. Il appartient au juge de l'impôt d'apprécier, au vu de l'instruction, si les recettes réalisées par le contribuable entrent dans le champ d'application du taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée ou dans celui du taux normal de cette taxe, eu égard aux conditions dans lesquelles sont effectuées ses opérations. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que l'opération n'est pas éligible au taux réduit de la taxe, il appartient alors au contribuable d'apporter les éléments de preuve qu'il est seul en mesure de détenir et ne sauraient être réclamés qu'à lui.
4. Il résulte de l'instruction que la SAS Chabé Limousines, qui exerce une activité de transport de personnes avec chauffeur haut-de-gamme, offre une gamme de services de transports personnalisés, tels que des transferts et des excursions privées, et a pour clients des hôtels de luxe, des agences de voyage, de grandes entreprises du luxe et de l'évènementiel, ainsi que des particuliers, a appliqué le taux réduit de TVA à 97,2 % de son CA en 2009 et 94,89 % en 2010. Pour considérer qu'une partie de son activité de mise à disposition d'un véhicule avec chauffeur ne répondait pas à la définition du contrat de transport de voyageurs, le vérificateur a relevé que les prestations libellées " mise à disposition " ou " disposition ", pour un temps déterminé, d'un véhicule et d'un chauffeur, étaient facturées à l'heure ou au forfait, incluant un " kilométrage client " forfaitaire compris dans la facturation horaire. Le vérificateur a également constaté que, bien que précisant un point de prise en charge du client et un point de dépose, le client était maître du déplacement, et que, si le dépassement horaire donnait systématiquement lieu à une surfacturation, les kilomètres supplémentaires réalisés en dépassement du kilométrage compris dans le forfait n'étant pas toujours facturés, pas plus qu'une sous-consommation du forfait ne donnait lieu à une réduction de prix. Il ressort en outre de la grille tarifaire de 1978 produite dans la présente instance, que la société Chabé, qui indique par ailleurs sans produire ses gilles tarifaires en vigueur au cours des exercices vérifiés que ses conditions d'exploitation n'ont pas varié, pratiquait une facturation forfaitaire par demi-journée avec 35 kilomètres inclus sur Paris et à la journée sans kilométrage inclus avec facturation dès le premier kilomètre pour les déplacements en province. Ces constatations sont de nature à établir que, parmi les prestations réalisées par la société, certaines doivent être regardées comme des prestations de mise à disposition de véhicule avec chauffeur pour un temps déterminé avec une facturation horaire, alors même qu'elles prévoient un lieu de prise en charge et de dépose, ou un lieu de destination et retour. Pour déterminer, parmi les 141 244 prestations réalisées par la contribuable au cours des deux exercices vérifiés, celles ne relevant pas de la définition du contrat de transport de voyageur, l'administration fiscale a opéré un tri, à partir des états fournis par la société, et considéré que ne relevaient pas du taux réduit les prestations d'une durée supérieure à 90 minutes et dont le kilométrage réel révélait que le trajet effectué au cours d'une heure de mise à disposition était inférieur à 70 kilomètres. En appel, le ministre admet qu'ainsi que l'a jugé le tribunal, ce critère ne permet pas d'exclure avec une marge d'erreur suffisante des bases de rectification toutes les prestations répondant à la définition d'un contrat de transport et propose de maintenir les rappels en litige pour les seules prestations au cours desquelles les trajets effectués ont été inférieurs à 10 kilomètres par heure. Toutefois, la société Chabé Limousines établit que, parmi les prestations exclues du taux réduit par application de ce nouveau critère, celles qui consistent en un trajet aller-retour pour une destination déterminée à l'avance facturées en fonction du kilométrage parcouru, notamment les missions de transfert n° 288644 et 308003, des visites à Versailles et autres trajets au départ de grands hôtels, relèvent, alors même qu'elles incluent le temps d'attente du chauffeur, du transport de personnes. Dès lors que les critères appliqués conduisent à exclure du taux réduit des prestations qui devraient en bénéficier, la méthode mise en œuvre par l'administration ne peut justifier les rectifications.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déchargé la SAS Chabé Limousines des rappels de TVA qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées à titre subsidiaire par la SAS Chabé Limousines sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la société Chabé Limousines en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SAS Chabé Limousines.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2023, à laquelle siégeaient :
M. Beaujard, président de chambre,
Mme Dorion, présidente assesseure,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 mai 2023.
La rapporteure,
O. A... Le président,
P. BEAUJARDLa greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 20VE02117