Vu la procédure suivante :
La société Electricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 et de lui accorder le versement d'intérêts moratoires. Par un jugement n° 1606804 du 5 octobre 2017, ce tribunal a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 18VE00387 du 28 janvier 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre ce jugement.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 mars et 26 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics puis le ministre de l'économie, des finances et de la relance demandent au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement, notamment ses articles L. 594-1 et suivants ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'arrêté du 21 mars 2007 modifié des ministres chargés de l'économie et de l'énergie relatif à la sécurisation du financement des charges nucléaires ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Mathieu Herondart, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société EDF ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 décembre 2020, présentée par la société EDF ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 39 ter C du code général des impôts : " Par exception aux dispositions du premier alinéa du 5° du 1 de l'article 39, la provision constituée en vue de couvrir les coûts de démantèlement, d'enlèvement d'installations ou de remise en état d'un site, qui résultent d'une obligation légale, réglementaire ou contractuelle ou d'un engagement de l'entreprise, et encourue ou formalisée soit dès l'acquisition ou la mise en service, soit en cours d'utilisation de cette installation ou de ce site, n'est pas déductible. A hauteur des coûts pris en charge directement par l'entreprise, cette provision a pour contrepartie la constitution d'un actif amortissable d'un montant équivalent. L'amortissement de cet actif est calculé suivant le mode linéaire et réparti sur la durée d'utilisation du site ou des installations. / Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas aux provisions destinées à faire face à des dégradations progressives de site résultant de son exploitation. / (...) ". Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, de laquelle ces dispositions sont issues, qu'elles ont pour objet de tirer les conséquences fiscales des nouvelles règles comptables applicables aux coûts de démantèlement, prévues notamment à l'article 321-10 du plan comptable général, désormais repris à son article 213-8.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à compter de l'exercice clos en 2002, la société EDF a, pour l'application de ces nouvelles règles comptables, constaté à son passif une provision visant à couvrir l'ensemble des charges futures de démantèlement des centrales nucléaires qu'elle exploite et, en contrepartie, un actif d'un montant équivalent, qu'elle a amorti suivant le mode linéaire de manière rétroactive depuis la date de mise en service de chaque centrale. Au sein de ce passif, elle a notamment comptabilisé une provision dite de " dernier coeur " correspondant à la totalité des charges liées à l'arrêt du dernier coeur du réacteur des centrales à démanteler, comprenant une part " amont ", relative à la mise au rebut du combustible nucléaire qui n'a pas été totalement irradié au moment de l'arrêt du réacteur ainsi qu'une part " aval ", correspondant aux coûts de retraitement, d'évacuation et de stockage de ce combustible.
3. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause, au titre de l'exercice clos en 2008, la déduction des charges correspondant à l'amortissement de l'actif constaté en contrepartie de la " part amont " de la provision de " dernier coeur ". Elle a en effet estimé que, dès lors qu'elle représentait le coût d'acquisition d'un stock de combustible, elle ne se rattachait pas aux coûts de démantèlement visés par l'article 39 ter C du code général des impôts. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 janvier 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son recours contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 5 octobre 2017 faisant droit à la demande de la société EDF de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt qui en sont résultées.
4. Pour juger que la perte du combustible non irradié devait être regardée comme un coût de démantèlement pour l'application de l'article 39 ter C du code général des impôts et rejeter par suite le recours du ministre, la cour s'est fondée sur ce que cette perte était inéluctable en l'absence de possibilité technique de réutilisation du combustible dans un autre réacteur et constituait une conséquence nécessaire et indissociable de la décision de démantèlement de l'installation nucléaire, même si le combustible en cause pouvait avoir été acquis avant cette décision et si sa perte n'était effective qu'à la date de la mise à l'arrêt de l'installation.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la production d'électricité d'origine nucléaire nécessite, jusqu'à l'arrêt définitif de l'installation, la présence d'une masse critique de combustible dans le réacteur. Il ressort par ailleurs de ces pièces, ainsi que des énonciations mêmes du pourvoi, que le transfert du combustible non irradié vers un autre réacteur ne serait susceptible d'intervenir qu'au sein d'un même site nucléaire et vers certains seulement de ses réacteurs, relevant d'une tranche identique et demeurant en cours de fonctionnement, ce qui n'est possible que pour une faible minorité des tranches du parc nucléaire exploité par la société EDF. En outre, la mise à l'arrêt des différentes tranches d'un même site s'étend généralement sur quelques mois, alors qu'un tel transfert nécessiterait des opérations s'écoulant sur au moins dix-huit mois. Dès lors, en estimant que le combustible non irradié n'était, en l'état des connaissances techniques, pas réutilisable dans un autre réacteur et que l'arrêt du réacteur entraînait sa perte définitive, la cour n'a pas dénaturé les faits soumis à son examen.
6. En revanche, la perte du combustible non irradié du réacteur mis à l'arrêt constitue un coût qui est une conséquence directe de cet arrêt définitif et non des opérations de démantèlement. Ce coût correspond au demeurant à une dépense déjà engagée et financée lorsqu'il est procédé à cet arrêt définitif et ne relève pas des charges de démantèlement du réacteur, peu important l'énumération des charges de démantèlement des installations nucléaires de base que mentionne, dans sa rédaction postérieure à l'année d'imposition en litige, l'arrêté du 21 mars 2007 modifié relatif à la sécurisation du financement des charges nucléaires, pris pour l'application du code de l'environnement. Dès lors, la cour a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits soumis à son examen en jugeant que le coût en cause devait donner lieu à la constatation d'une provision au titre des coûts futurs de démantèlement et d'un actif amortissable de contrepartie en application de l'article 39 ter C du code général des impôts.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société EDF à ce titre.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 28 janvier 2020 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société EDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Electricité de France.