N° C.08.0600.N
D. L. M.,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,
contre
OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE,
Me Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 18 mars 2008 par la cour d'appel de Gand.
Par ordonnance du 12 mars 2010, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le président de section Robert Boes a fait rapport.
L'avocat général Ria Mortier a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 35, plus spécialement alinéa 4, dans la version antérieure à sa modification par l'article 121 de la loi-programme du 9 juillet 2004, et 38 de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs ;
- articles 172, plus spécialement alinéa 2, dans la version antérieure à sa modification par l'article 8 de la loi du 23 mars 1994 portant certaines mesures sur le plan du droit du travail contre le travail au noir, et 176, dans la version antérieure à sa modification par l'article 114 de la loi du 13 février 1989 portant des dispositions en faveur de l'emploi, de la loi-programme du 22 décembre 1989 ;
- articles 11bis, dans la version applicable avant son abrogation par l'article 5 de la loi du 23 mars 1994 portant certaines mesures sur le plan du droit du travail contre le travail au noir, et 14, dans la version antérieure à sa modification par l'article 106 de la loi du 13 février 1998 portant des dispositions en faveur de l'emploi, de l'arrêté royal n° 5 du 23 octobre 1978 relatif à la tenue des documents sociaux ;
- articles 92, 94, 99 et 100 du Code pénal ;
- article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Statuant sur l'opposition du demandeur au commandement de payer du défendeur, la cour d'appel déclare l'appel du défendeur recevable et fondé dans la mesure précisée par l'arrêt, par tous les motifs fondant la décision attaquée, considérés comme ici intégralement reproduits, et plus spécialement par les considérations suivantes :
« Contrairement à ce que le premier juge a décidé, (la cour d'appel) considère que la condamnation au paiement des cotisations, majorations de cotisations et intérêts de retard ainsi que de l'indemnité égale au triple du montant de 1.264, 26 euros, prononcée d'office par l'arrêt exécutoire en application de l'ancien article 35, alinéas 2 et 4, de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, ne constitue pas une sanction pénale mais une mesure de nature civile.
Les dispositions de l'ancien et du nouvel article 35, alinéas 2 et 4, de la loi du 27 juin 1969 suivant lesquelles, outre la peine, le juge pénal prononce d'office la condamnation du prévenu au paiement des cotisations non payées, des majorations de cotisations et des intérêts de retard ainsi que de l'indemnité visée à l'alinéa 4, instituent - par dérogation au droit commun - un mode de réparation spécial qui contribue au financement de la sécurité sociale, de sorte que les condamnations prononcées en application de ces dispositions, et notamment l'indemnité forfaitaire, revêtent un caractère civil et sont dénuées de l'autorité de la chose jugée au pénal attachée à ces condamnations (voir et comparer : Cass., 6 novembre 2002, Pas., 2002, 2116 ; 8 mai 2000, J.T.T., 2000, 339 ; 21 février 2000, R.W., 2000-2001, 165 ; 8 septembre 1999, R.W., 2000-2001, 726 ; 10 mai 1995, Pas., 1995, 483 ; 22 mars 1994, Pas., 1994, 293).
De manière surabondante, il y a lieu de constater également à cet égard que la nature civile de ces condamnations est confirmée ou peut être confirmée par la constatation qu'en général, les infractions déclarées établies ne révèlent qu'une fraction de l'éludation réelle des charges sociales et que, par l'instauration du système indemnitaire précité, le législateur vise - dans l'intérêt général et de manière spéciale et forfaitaire - à compenser les pertes subies par la sécurité sociale (Persyn, C., 'Toepassingsgebied en bijdrageregeling werknemers en zelfstandigen - rechtspraak' dans Simoens, D., et Put, J., (éds), Ontwikkelingen van de sociale zekerheid 1996-2001, Bruges, Die Keure, 2001, p. 306).
(La cour d'appel) constate également qu'en application de l'article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, il appartient à (la cour d'appel) - et non à la Cour constitutionnelle - de déterminer la nature civile ou pénale de la condamnation (voir les conclusions de monsieur l'avocat général Leclercq, avant Cass., 8 mai 2000, J.T.T., 2000, 340). Il n'y a dès lors en tout cas pas lieu de poser une question préjudicielle. De manière totalement surabondante, il y a également lieu de constater qu'en réponse aux questions préjudicielles, la Cour constitutionnelle procède à un examen des interprétations des dispositions de l'article 35 de la Constitution (lire : de la loi) à la lumière des articles 10 et 11 de la Constitution, qui ne sont pas en cause en l'espèce.
Dès lors que la condamnation n'est pas de nature pénale et qu'en application des articles 2262, § 1er, alinéa 1er, du Code civil et 10 de la loi du 10 juin 1998, 'l'actio judicati' fondée sur l'arrêt exécutoire n'était pas prescrite au moment de la signification de l'exploit (ce qui, par ailleurs, n'est pas contesté), il n'y a pas lieu de se rallier aux moyens de défense du (demandeur) qui tendent à entendre dire pour droit que le titre exécutoire n'est plus valable au motif qu'il est prescrit.
Griefs
Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que :
- le ministère public a poursuivi le demandeur du chef d'infractions commises au cours des troisième et quatrième trimestres de l'année 1992 à l'égard du travailleur M. B. (...) ;
- par jugement rendu le 20 juin 1994 par la vingtième chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Gand, le demandeur a été condamné d'office à payer au défendeur quatre fois la somme de 1.264, 26 euros (51.000 francs), soit 5.057, 04 euros (204.000 francs), en application de l'article 35 de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, à savoir une fois la somme en vertu du deuxième alinéa et trois fois la somme en vertu du quatrième alinéa de l'article 35 ;
- par arrêt rendu le 21 décembre 1995, la troisième chambre correctionnelle de la cour d'appel de Gand a confirmé cette condamnation (...) ;
- par le même arrêt du 21 décembre 1995, la cour d'appel de Gand a condamné d'office le demandeur à payer en outre au défendeur :
- la somme de 1.635, 73 euros (65.985 francs) du chef de l'infraction A, qualifiée dans l'arrêt, en application de l'article 172 de la loi-programme du 22 décembre 1989,
- et 1.635, 73 euros (65.985 francs) du chef de l'infraction B, qualifiée dans l'arrêt, en application des articles 11bis et 15ter (entre-temps abrogés) de l'arrêté royal n° 5 du 23 octobre 1978 relatif à la tenue des documents sociaux.
(...) 1.1.1. L'article 35 de la loi du 27 juin 1969, dans sa version plus spécialement relevée dans l'énumération des dispositions légales dont la violation est invoquée et applicable au moment où le juge pénal a rendu les décisions précitées, est libellée comme suit :
« Sans préjudice des articles 269 à 274 du Code pénal, sont punis d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de 26 à 500 francs ou de l'une de ces peines seulement :
1° l'employeur, ses préposés ou mandataires qui ne se sont pas conformés aux obligations prescrites par la loi et ses arrêtés d'exécution ; l'amende est appliquée autant de fois qu'il y a des travailleurs à l'égard desquels une infraction a été commise, sans toutefois que le total des amendes puisse excéder 100.000 francs ;
2° les personnes visées à l'article 30bis, § 3, et leurs cocontractants, qui ne fournissent pas les renseignements déterminés par le Roi ou ne respectent pas les conditions et modalités d'envoi imposées ;
3° les personnes visées à l'article 30bis, § 3, qui omettent de verser les sommes dues dans le délai prescrit ;
4° toute personne qui met obstacle à la surveillance organisée en vertu de la loi.
Le juge qui prononce la peine à charge de l'employeur, ses préposés ou mandataires, condamne d'office l'employeur à payer à l'Office national de sécurité sociale le montant des cotisations, majorations de cotisations et intérêts de retard qui n'ont pas été versés à l'Office.
En cas d'assujettissement frauduleux d'une ou de plusieurs personnes à l'application de la loi, le juge condamne d'office l'employeur, ses préposés ou mandataires au paiement à l'Office d'une indemnité égale au triple des cotisations déclarées frauduleusement.
En cas de non-assujettissement d'une ou de plusieurs personnes à l'application de la loi, le juge condamne d'office l'employeur et, lorsque le cas se présente, l'entrepreneur principal visé à l'article 30ter, pour les personnes occupées par le sous-traitant sur le chantier de l'entrepreneur principal, au paiement à l'Office national de sécurité sociale d'une indemnité égale au triple des cotisations éludées sans qu'elle puisse être inférieure à 51.000 francs par personne occupée et ce par mois ou par fraction de mois. Ce montant est adapté en fonction de l'évolution des salaires et des taux des cotisations de sécurité sociale ».
1.1.2. L'article 172 de la loi-programme du 22 décembre 1989, dans sa version plus spécialement relevée dans l'énumération des dispositions légales dont la violation est invoquée et applicable au moment où le juge pénal a rendu les décisions précitées, est libellée comme suit :
« Sans préjudice des articles 269 et 271 à 274 du Code pénal, sont punis d'un emprisonnement de huit jours à un mois et d'une amende de 26 à 500 francs, ou d'une de ces peines seulement :
(...) 4) l'employeur, ses préposés ou mandataires qui :
a) ne respectent pas les mesures de publicité visées aux articles 157 et 159 ;
b) ne tiennent pas le document visé à l'article 160 avec toutes les mentions complètes et exactes lorsqu'ils occupent des travailleurs à temps partiel en dehors de l'horaire qui a fait l'objet de la publicité visée aux articles 157 et 159 ;
c) font ou laissent exécuter des prestations à des travailleurs à temps partiel en dehors de leur horaire de travail qui a fait l'objet des mesures de publicité prévues aux articles 157 à 159, sans que mention en soit faite dans le document visé à l'article 160 ;
d) lorsqu'ils invoquent l'application des articles 162 à 165, n'utilisent pas un moyen de contrôle des prestations des travailleurs à temps partiel répondant à ces dispositions ;
e) ne respectent pas les modalités de contrôle des heures complémentaires arrêtées en vertu de l'article 163 ;
f) ne conservent pas les documents visés aux articles 160 et 162 à 165 pendant la période fixée à l'article 167 et en un des lieux visés à l'article 168 ;
(...) En cas de condamnation du chef d'une infraction visée à l'alinéa 1er, 4°, le juge condamne d'office l'employeur, ses préposés ou mandataires, au paiement à l'Office national de sécurité sociale d'une indemnité égale au triple des cotisations prévues à l'article 38, §§ 2 et 3, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale, calculées sur la base du montant du revenu minimum mensuel moyen fixé par une convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail.
L'indemnité visée à l'alinéa 2 est multipliée par le nombre de travailleurs pour lesquels une infraction a été établie ».
1.1.3. L'article 11bis de l'arrêté royal n° 5 du 23 octobre 1978 relatif à la tenue des documents sociaux, dans sa version plus spécialement relevée dans l'énumération des dispositions légales dont la violation est invoquée et applicable au moment où le juge pénal a rendu les décisions précitées, est libellée comme suit :
« Le juge qui prononce la peine à charge de l'employeur, de ses préposés ou de ses mandataires, ainsi que des personnes déterminées par le Roi en exécution de l'article 4, § 2, pour les faits visés à l'article 11, 1°, a, b, c, d, e, f et h, les condamne, lorsque ces faits ont permis d'éluder la déclaration régulière des prestations, au paiement à l'Office national de sécurité sociale d'une indemnité égale au triple des cotisations prévues à l'article 38, §§ 2 et 3, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Ces cotisations sont calculées sur la base du montant mensuel du revenu minimum mensuel moyen fixé par une convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail, quelle que soit la durée de l'occupation à laquelle se rapportent ces faits ».
1.2. Les condamnations d'office visées aux articles 35, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969, 172, alinéa 2, de la loi-programme du 22 décembre 1989 et 11bis de l'arrêté royal n° 5 du 23 octobre 1978 relèvent de l'action publique et empruntent à la sanction pénale, qu'elles complètent ainsi qu'il ressort du contexte en l'espèce, une portée de nature répressive et dissuasive.
Logiquement, l'action qui tend à l'exécution des condamnations d'office se prescrit comme la peine.
2.1. L'article 38 de la loi du 27 juin 1969 dispose que toutes les dispositions du livre 1er du Code pénal, le chapitre V excepté, mais le chapitre VIII et l'article 85 compris, sont applicables aux infractions prévues par la loi.
Conformément à l'article 176 de la loi-programme du 22 décembre 1989, dans la version visée par les dispositions légales dont la violation est invoquée ci-avant, toutes les dispositions du livre premier du Code pénal, le chapitre V excepté, mais y compris le chapitre VII et l'article 85, sont applicables aux infractions prévues par le chapitre dont l'article 172 relève.
En vertu de l'article 14 de l'arrêté royal n° 5 du 23 octobre 1978, dans la version visée par les dispositions légales dont la violation est invoquée ci-avant, toutes les dispositions du livre premier du Code pénal, le chapitre V excepté mais le chapitre VII et l'article 85 compris, sont applicables aux infractions prévues par l'arrêté.
2.2. L'article 92 du Code pénal dispose que les peines correctionnelles se prescriront par cinq années révolues, à compter de la date de l'arrêt ou du jugement rendu en dernier ressort, ou à compter du jour où le jugement rendu en première instance ne pourra plus être attaqué par la voie de l'appel. Si la peine prononcée dépasse trois années, la prescription sera de dix ans.
En vertu de l'article 94 du même code, les peines de l'amende et de la confiscation spéciale se prescriront dans les délais fixés par les articles précédents, selon qu'elles seront prononcées pour crimes, délits ou contraventions.
En vertu de l'article 100 du même code, à défaut de dispositions contraires dans les lois et règlements particuliers, les dispositions du premier livre du code, dont notamment les articles 92 et 94, seront appliquées aux infractions prévues par ces lois et règlements, à l'exception du chapitre VII et de l'article 85.
3.1. Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que, par l'arrêt du 21 décembre 1995, la troisième chambre correctionnelle de la cour d'appel de Gand a condamné le demandeur de surcroît, du chef des mêmes infractions ayant déjà fait l'objet de condamnations d'office, à trois peines d'amende de cinquante francs ou à des peines d'emprisonnement subsidiaire de huit jours (...), c'est-à-dire à des peines correctionnelles de moins de trois ans.
Dès lors que, logiquement, l'action qui tend à l'exécution des trois condamnations d'office visées au début des « griefs » qui, en raison de leur nature répressive et dissuasive, relèvent de l'action publique qu'elles complètent, se prescrit comme la peine, le délai de prescription de cette action est de cinq années à compter du 21 décembre 1995.
3.2. Il ressort de l'arrêt attaqué que le défendeur a fait signifier l'arrêt rendu le 21 décembre 1995 par la troisième chambre de la cour d'appel de Gand au demandeur le 10 avril 2006 seulement, par un exploit contenant également commandement de payer (...).
Ainsi, en application des articles 92 et 94 du Code pénal, la cour d'appel de Gand aurait dû décider qu'à la date de la signification de l'exploit du 10 avril 2006, c'est-à-dire plus de cinq ans après la prononciation de l'arrêt, l'action du défendeur tendant à l'exécution par (le défendeur) des condamnations prononcées d'office par l'arrêt du 21 décembre 1995 était prescrite. En statuant autrement, l'arrêt viole ces dispositions, ainsi que les articles 38 de la loi du 27 juin 1969, 176 de la loi-programme du 22 décembre 1989, 14 de l'arrêté royal n° 5 du 23 octobre 1978 et 100 du Code pénal, qui rend ces dispositions applicables.
3.3. Par la considération que la condamnation au paiement de l'indemnité égale au triple du montant de 1.264, 26 euros, prononcée d'office et en application de l'article 35, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969, ne constitue pas une sanction pénale mais une mesure de nature civile, la cour d'appel ne justifie pas légalement cette décision (violation de l'article 35 de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, dans la version visée en tête du moyen).
Même si elles ne peuvent être considérées comme des peines au sens des articles 7 à 43quater inclus du Code pénal, cette condamnation ainsi que les condamnations prononcées d'office en application des articles 172, alinéa 2, de la loi-programme du 22 décembre 1989 et 11bis de l'arrêté royal n° 5 du 23 octobre 1978 revêtent un caractère essentiellement répressif et se prescrivent comme la peine. En écartant cette règle, la cour d'appel viole les articles 35, alinéa 4, 172, alinéa 2, et 11bis, dans les versions visées en tête du moyen.
3.4. Par les considérations que les dispositions de l'ancien et du nouvel article 35, alinéas 2 et 4, de la loi du 27 juin 1969 instituent par dérogation au droit commun un mode de réparation spécial qui contribue au financement de la sécurité sociale, qu'en général, les infractions déclarées établies ne révèlent qu'une fraction de l'éludation réelle des charges sociales et que, par l'instauration du système indemnitaire précité, le législateur vise dans l'intérêt général et de manière spéciale et forfaitaire à compenser les pertes subies par la sécurité sociale, l'arrêt ne justifie pas davantage légalement l'application de l'article 2262(bis), § 1er, alinéa 1er, du Code civil. Dans la mesure où il considère que les considérations précitées sont également applicables aux condamnations d'office visées aux articles 172, alinéa 2, de la loi-programme du 22 décembre 1989 et 11bis de l'arrêté royal n° 5 du 23 octobre 1978, l'arrêt ne justifie pas davantage légalement sa décision quant à la prescription de l'exécution de ces condamnations.
En effet, la somme égale au triple des cotisations réellement dues, d'un montant minimum fixe quelle que soit la hauteur des cotisations (article 35 de la loi du 27 juin 1969), ou des cotisations calculées sur la base du revenu minimum mensuel moyen garanti, que la rémunération soit une rémunération à temps plein ou à temps partiel (articles 172, alinéa 2, de la loi-programme du 22 décembre 1989 et 11bis de l'arrêté royal n° 5 du 23 octobre 1978), à laquelle la personne visée par ces dispositions est condamnée, n'est pas raisonnablement proportionnée, à tout le moins, n'est pas nécessairement raisonnablement proportionnée au préjudice que l'organisme de perception des cotisations de sécurité sociale a subi.
En conséquence, par les considérations que la condamnation n'est pas de nature pénale et qu'en application de l'article 2262(bis), § 1er, alinéa 1er, du Code civil, 'l'actio judicati' fondée sur l'arrêt exécutoire n'était pas prescrite au moment de la signification de l'exploit, l'arrêt attaqué ne décide pas légalement qu'il n'y a pas lieu de se rallier aux moyens de défense du demandeur qui tendent à entendre dire pour droit que le titre exécutoire n'est plus valable au motif qu'il est prescrit (violation des articles 2262(bis), § 1er, alinéa 1er, du Code civil et 99 du Code pénal, en vertu duquel les condamnations civiles prononcées par les juridictions répressives se prescrivent d'après les règles du droit civil, à compter du jour où elles sont devenues irrévocables).
L'arrêt ne décide pas légalement que l'appel du défendeur est recevable et fondé dans la mesure qu'il précise et ne rejette pas légalement la demande originaire du demandeur comme non fondée dans la mesure qu'il précise (violation de toutes les dispositions légales citées en tête du moyen).
III. La décision de la Cour
1. En vertu de l'article 35, alinéa 2, de la loi du 27 juin 1969, tel qu'il est applicable en l'espèce, le juge qui prononce la peine à charge de l'employeur, ses préposés ou mandataires, condamne d'office l'employeur, ses préposés ou mandataires, à payer à l'Office national de sécurité sociale le montant des cotisations, majorations de cotisations et intérêts de retard qui n'ont pas été versés à l'Office.
2. La condamnation d'office visée à cette disposition est une mesure de nature civile qui tend uniquement à réparer le préjudice subi par l'Office national de sécurité sociale à la suite de l'infraction. Cette condamnation n'est pas de nature pénale et ne se prescrit pas comme la peine.
Dans la mesure où il est fondé sur la thèse contraire, le moyen manque en droit.
3. En vertu de l'article 35, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969, tel qu'il est applicable en l'espèce, en cas de non-assujettissement d'une ou de plusieurs personnes à l'application de la loi, le juge condamne d'office l'employeur au paiement à l'Office national de sécurité sociale d'une indemnité égale au triple des cotisations éludées sans qu'elle puisse être inférieure à 51.00 francs par personne occupée et ce, par mois ou par fraction de mois.
En vertu de l'article 172, alinéa 2, de la loi-programme du 22 décembre 1989, tel qu'il est applicable en l'espèce, en cas de condamnation du chef d'une infraction visée à l'alinéa 1er, 4°, le juge condamne d'office l'employeur, ses préposés ou mandataires, au paiement à l'Office national de sécurité sociale d'une indemnité égale au triple des cotisations prévues à l'article 38, §§ 2 et 3, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale, calculées sur la base du montant du revenu minimum mensuel moyen fixé par une convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail
En vertu de l'article 11bis de l'arrêté royal n° 5 du 23 octobre 1978 relatif à la tenue des documents sociaux, tel qu'il est applicable en l'espèce, le juge qui prononce la peine à charge de l'employeur, de ses préposés ou de ses mandataires pour les faits visés à l'article 11, 1°, a, b, c, e, f et h, les condamne, lorsque ces faits ont permis d'éluder la déclaration régulière des prestations, au paiement à l'Office national de sécurité sociale d'une indemnité égale au triple des cotisations prévues à l'article 38, §§ 2 et 3, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Ces cotisations sont calculées sur la base du montant mensuel du revenu minimum mensuel moyen fixé par une convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail, quelle que soit la durée de l'occupation à laquelle se rapportent ces faits.
4. Il ressort du fait que les condamnations précitées sont qualifiées « indemnités » et sont destinées à l'organisme de perception des cotisations de sécurité sociale que la volonté du législateur était d'instaurer un mode spécial de réparation ou de restitution en vue de rétablir au bénéfice du financement de la sécurité sociale l'ordre légal perturbé par l'infraction.
En conséquence, même si elles relèvent de l'exercice de l'action publique, les condamnations d'office au paiement de ces indemnités ne constituent pas des peines au sens des articles 7 à 43quater du Code pénal.
5. Toutefois, eu égard aux montants fixés, à savoir le triple des cotisations litigieuses, ces condamnations d'office empruntent à la sanction pénale qu'elles complètent une portée de nature répressive et dissuasive. Ainsi, ces mesures ne visent pas uniquement la réparation du préjudice réellement subi par l'Office national de sécurité sociale à la suite de l'infraction.
En conséquence, les condamnations d'office visées aux articles 35, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969, 172, alinéa 2, de la loi-programme du 22 décembre 1989 et 11bis de l'arrêté royal n° 5 du 23 octobre 1978, tels qu'ils sont applicables en l'espèce, revêtent également un caractère de peine au sens de l'article 7.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. La constatation que les condamnations d'office précitées constituent une "peine" au sens de l'article 7.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a pour seul effet que les garanties prévues par les dispositions conventionnelles doivent être respectées. Cette constatation n'a pas pour conséquence que les mesures litigieuses revêtent un caractère répressif au sens du Code pénal belge et, partant, sont soumises à l'application des règles générales du droit pénal belge et du droit de procédure pénale belge.
7. Aux termes de l'article 99, alinéa 1er, du Code pénal, les condamnations civiles, prononcées par les arrêts ou jugements rendus en matière criminelle, correctionnelle ou de police, se prescriront d'après les règles du droit civil, à compter du jour où elles seront devenues irrévocables.
Ainsi, l'exécution des condamnations prononcées d'office à charge du demandeur, qui ne constituent pas des peines au sens des articles 7 à 43quater du Code pénal mais sont des mesures de nature civile, se prescrit conformément à l'article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil.
Le moyen, qui est fondé sur la thèse juridique erronée qu'en vertu du droit interne, les condamnations d'office litigieuses constituent des peines qui se prescrivent conformément aux articles 92 et 94 du Code pénal, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
(...)
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Robert Boes, les conseillers Eric Stassijns, Beatrijs Deconinck, Alain Smetryns et Koen Mestdagh, et prononcé en audience publique du vingt-neuf mars deux mille dix par le président de section Robert Boes, en présence de l'avocat général Ria Mortier, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du président Christian Storck et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
Le greffier, Le président,