Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.18.0052.N
I. P. S.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Mes Hans Van Bavel et Elisabeth Baeyens, avocats au barreau de Bruxelles,
II. L. D. D.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Luc Arnou, avocat au barreau de Bruges.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 20 décembre 2017 par la cour d'appel d'Anvers, chambre correctionnelle.
Le demandeur I invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le demandeur II invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
L'avocat général Marc Timperman a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
(...)
Sur le premier moyen du demandeur I :
2. Le moyen est pris de la violation des articles 42, 1°, 43 et 505 du Code pénal, tels qu'ils étaient applicables avant la modification législative du 10 mai 2017 : l'arrêt ne peut légalement condamner le demandeur I à la confiscation de 1.000.000 dollars US en tant qu'objet de la prévention B.I, au seul motif que cette somme avait été prêtée par Drysdale Trust à la société privée à responsabilité limitée Star Gem Diamond et était remboursable dans les 18 mois, que le demandeur I était le bénéficiaire de Drysdale Trust, qu'il avait également des intérêts dans la société privée à responsabilité limitée Star Gem Diamond et que, par conséquent, cette somme se trouve dans le patrimoine du demandeur I ; le patrimoine d'une personne morale ne peut être assimilé au patrimoine de la personne qui a des intérêts dans cette personne morale ou qui en est le bénéficiaire économique ; il ne peut se déduire de la constatation que le demandeur I est le bénéficiaire de Drysdale Trust et avait des intérêts dans la société privée à responsabilité limitée Star Gem Diamond que la somme empruntée se trouve dans le patrimoine du demandeur I.
3. En vertu de l'article 505, alinéa 3, du Code pénal, tel qu'applicable en l'espèce, le juge pénal doit confisquer en tant qu'objet des infractions de blanchiment déclarées établies, les choses constituant l'objet de ces infractions.
4. Le juge pénal apprécie souverainement qui est le véritable propriétaire de ces choses, sans nécessairement être lié par des structures formelles de sociétés et par la séparation des patrimoines qui en résulte le cas échéant. La Cour vérifie cependant si le juge pénal ne déduit pas de ses constatations des conséquences qui leur sont étrangères ou qu'elles ne sauraient justifier.
5. Le demandeur I est poursuivi, sous la prévention B.I, du chef d'infractions de blanchiment définies à l'article 505, alinéa 1er, 3° et 4°, du Code pénal, consistant à avoir procuré un montant total de 1.000.000 euros, remboursable par tranches, sur la base d'un prêt de Drysdale Trust à la société privée à responsabilité limitée Star Gem Diamond.
6. L'arrêt déclare le demandeur coupable du chef de cette prévention.
Par adoption des motifs du jugement entrepris et par des motifs propres, il considère que :
- il est manifeste que la provenance des fonds avec lesquels les opérations visées sous les préventions B.I, B.II, B.VI et B.VII ont été menées ou financées était illégale et que les faits incriminés ont permis de blanchir ces fonds ;
- pour l'acquisition de biens immobiliers et leur gestion ultérieure, toutes sortes de constructions ont été mises en place afin de dissimuler le lien avec le demandeur I ainsi que la provenance des fonds ;
- les fonds de Drysdale Trust n'avaient pas une origine légale et étaient tirés des avantages patrimoniaux illégaux du demandeur I, voire également d'un coprévenu ;
- Drysdale Trust était un trust du demandeur I qui a « prêté » de l'argent à la société privée à responsabilité limitée Star Gem Diamond, dont le demandeur I était l'un des deux bénéficiaires ;
- par le transfert des fonds à la société privée à responsabilité limitée Star Gem Diamond sous la forme d'un prétendu prêt, des avantages patrimoniaux illégaux ont été blanchis au sens de l'article 505, alinéa 1er, 3° et 4°, du Code pénal ;
- la somme de 1.000.000.000 euros prêtée par Drysdale Trust à la société privée à responsabilité limitée Star Gem Diamond par convention du 26 février 2003 et remboursable dans les 18 mois, se trouve dans le patrimoine du demandeur I et du coprévenu initial B. ;
- le demandeur I est effectivement le bénéficiaire de Drysdale Trust, qui est l'un des canaux par lesquels il a investi ses avantages patrimoniaux illégaux ;
- le demandeur I et B. avaient également des intérêts dans la société privée à responsabilité limitée Star Gem Diamond ;
- il convient de confisquer la somme de 1.000.000 euros à charge du demandeur I.
De ces motifs, dont il ressort que le demandeur I a utilisé Drysdale Trust comme canal par le biais duquel il a pu blanchir et investir ses avantages patrimoniaux illégaux et que le prêt entre ce trust et la société privée à responsabilité limitée Star Gem Diamond n'était qu'un prétexte pour blanchir les sommes prétendument empruntées, l'arrêt pouvait légalement déduire que les fonds constituant l'objet du prêt appartiennent en réalité au patrimoine du demandeur I et doivent être confisqués à sa charge.
Le moyen ne peut être accueilli.
(...)
Sur le cinquième moyen du demandeur I :
Quant à la première branche :
27. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation des articles 42, 3°, 43bis et 505 du Code pénal, tels qu'applicables avant la modification législative du 10 mai 2007 : l'arrêt ne pouvait légalement condamner le demandeur I à la confiscation de 313.601,16 euros en tant qu'avantage patrimonial tiré de la prévention B.VI.c, consistant en le remboursement d'une créance pour ce montant ; en effet, l'opération de blanchiment consistant à rembourser un prêt ne donne pas lieu en tant que telle à un avantage patrimonial au sens de l'article 42, 3°, du Code pénal, ni à un avantage patrimonial tiré de cette opération de blanchiment ; le prêt remboursé ne trouve pas son origine dans cette opération de blanchiment, mais dans le contrat de crédit sous-jacent.
28. L'article 42, 3°, du Code pénal prévoit que les avantages patrimoniaux tirés directement de l'infraction peuvent être confisqués. Un avantage patrimonial est tiré d'une infraction s'il existe un lien de causalité entre cette infraction et l'avantage patrimonial.
29. Lorsqu'un prévenu rembourse la créance d'un tiers par le biais d'une infraction de blanchiment, le montant revenant à ce tiers constitue pour ce prévenu un avantage patrimonial tiré de cette opération de blanchiment, consistant en la réduction de sa dette. Ainsi, il existe effectivement un lien de causalité entre l'infraction et l'avantage patrimonial.
Le moyen qui, en cette branche, procède d'une autre prémisse juridique, manque en droit.
Quant à la seconde branche :
30. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation des articles 42, 3°, 43bis et 505 du Code pénal, tels qu'applicables avant la modification législative du 10 mai 2007 : l'arrêt ne peut légalement condamner le demandeur I à la confiscation de 313.601,16 euros en tant qu'avantage patrimonial tiré de la prévention B.VI.c, consistant en le remboursement d'une créance pour ce montant, dès lors que le ministère public a uniquement requis par écrit cette confiscation en tant qu'objet de l'infraction de blanchiment, sur le fondement des articles 42, 1°, et 505 du Code pénal, tels qu'applicables en l'espèce ; à défaut de réquisition fondée sur les articles 42, 3°, et 43bis du Code pénal, la confiscation en tant qu'avantage patrimonial ne peut être ordonnée.
31. En vertu de l'article 43bis, alinéa 1er, du Code pénal, la confiscation spéciale s'appliquant aux choses visées à l'article 42, 3°, pourra toujours être prononcée par le juge, mais uniquement dans la mesure où elle est requise par écrit par le procureur du Roi.
Cette disposition vise à organiser devant la juridiction de jugement un débat sur la confiscation facultative, destiné à permettre au prévenu d'exercer ses droits de défense.
32. Lorsque le ministère public requiert la confiscation d'une chose en tant qu'objet de l'infraction de blanchiment et que le juge considère que cette chose constitue en réalité un avantage patrimonial tiré de cette infraction, le juge peut ordonner la confiscation de cette chose en tant qu'avantage patrimonial sans qu'il soit requis que le ministère public prenne de nouvelles ou d'autres réquisitions à cet effet. En effet, en pareille occurrence, le prévenu a pu se défendre contre la confiscation et doit, pour sa défense ultérieure, tenir compte du fait que cette confiscation peut être ordonnée sur une base juridique différente.
Le moyen qui, en cette branche, procède d'une autre prémisse juridique, manque en droit.
(...)
Sur le troisième moyen du demandeur II :
Quant à la deuxième branche :
64. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation de l'article 32 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale : l'arrêt considère que s'il est question d'une irrégularité, celle-ci ne doit pas entraîner l'exclusion de la preuve en question, notamment parce qu'elle n'a pas été commise intentionnellement ; l'arrêt ne peut se prononcer de la sorte dès lors que le bâtonnier a indiqué que les pièces concernant Drysdale Trust et la société privée à responsabilité limitée Star Gem Diamond étaient couvertes par le secret professionnel.
65. La présence du bâtonnier ou d'un membre du Conseil de l'ordre qu'il a désigné, lors d'une perquisition dans le cabinet d'un avocat, constitue un usage constant.
Le bâtonnier ou la personne désignée par lui doit veiller à ce que l'instruction et la saisie éventuelle ne concernent pas des pièces auxquelles s'applique le secret professionnel. Il prendra connaissance des pièces que le juge d'instruction souhaite examiner ou saisir et donnera son avis sur ce qui relève ou non du secret professionnel. Le juge d'instruction n'est pas lié par le point du vue du bâtonnier et décide si un document est saisi ou non.
66. Si les juges d'appel ont constaté que le juge d'instruction n'a pas suivi l'avis du bâtonnier selon lequel les pièces relatives à Drysdale Trust et à la société privée à responsabilité limitée Star Gem Diamond étaient couvertes par le secret professionnel, il n'en résulte pas qu'ils ne pouvaient légalement considérer que le juge d'instruction n'a pas commis d'irrégularité intentionnelle.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il ordonne la confiscation, à charge du demandeur I, du montant de 14.072,51 euros en tant qu'objet des infractions de blanchiment visées sous les préventions B.II.b à B.II.e ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Condamne le demandeur I à quatre cinquièmes des frais de son pourvoi et réserve la décision sur le surplus des frais afin qu'il soit statué sur celui-ci par le juge de renvoi ;
Condamne le demandeur II aux frais de son pourvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Paul Maffei, président, Filip Van Volsem, Alain Bloch, Antoine Lievens et Erwin Francis, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-trois octobre deux mille dix-huit par le président Paul Maffei, en présence de l'avocat général Henri Vanderlinden, avec l'assistance du greffier délégué Véronique Kosynsky.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Eric de Formanoir et transcrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.