Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 décembre 1990 et 8 avril 1991 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. X... Séjourne, demeurant ferme de Vadiville à Pevy (51140) Marne ; M. Y... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt en date du 9 octobre 1990 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a d'une part rejeté sa requête dirigée contre le jugement du 4 octobre 1988 par lequel le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de la SNC Naudet à réparer le préjudice né de l'échec du reboisement, d'autre part l'a condamné à verser la somme de 4 000 F à l'Etat au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
2°) statuant au fond de condamner l'Etat et la SNC à lui verser une indemnité de 76 357,33 F augmentés des intérêts de droit et des intérêts capitalisés et la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code forestier et notamment ses articles L. 313-1 et suivants ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Laigneau, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Vincent, avocat de M. X... Séjourne,
- les conclusions de Mme Pécresse, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 313-1 du code forestier : "Le propriétaire doit en outre, s'il en est ainsi ordonné par l'autorité administrative, rétablir les lieux en nature de bois dans le délai que fixe cette autorité" ; que l'article L. 313-2 du même code dispose que : "Le défrichement des réserves boisées, dont la conservation est imposée au propriétaire, donne lieu à une amende égale au triple de l'amende prévue par l'article L. 313-1. En cas de non exécution dans un délai maximum de trois ans de travaux de reboisement sur d'autres terrains imposés en application de l'article L. 311-4, les lieux défrichés doivent être rétablis en nature de bois dans un délai fixé par l'autorité administrative. Ce délai ne peut excéder trois ans. L'autorité administrative peut en outre dans les conditions fixées à l'alinéa précédent, ordonner la remise en nature de bois des terrains devant être maintenus à l'état de réserves boisées. Faute pour le propriétaire d'effectuer la plantation ou le semis prévus par l'article L. 311-4 et par le présent article dans le délai prescrit par la décision administrative, il y est pourvu à ses frais dans les conditions fixées à l'article L. 313-3" ; qu'aux termes des dispositions de l'article L. 313-3 : "Faute par le propriétaire d'effectuer la plantation ou le semis prévus au deuxième alinéa de l'article L. 313-1 dans le délai prescrit, il y est pourvu à ses frais par l'administration qui arrête le mémoire des travaux et le rend exécutoire contre le propriétaire" ;
Considérant que le préfet de la Marne, par un arrêté du 10 octobre 1983 pris en application de l'article L. 313-2 du code forestier précité, a fait procéder d'office au reboisement de deux parcelles appartenant à M. Y... sur le territoire de la commune de Bouvancourt, en confiant la maîtrise d'oeuvre des travaux à la direction départementale de l'agriculture de la Marne et leur exécution à la SNC Naudet ; qu'à la suite de l'échec de ce reboisement, le préfet de la Marne a prescrit un second reboisement aux frais du propriétaire qui a invoqué la responsabilité de l'Etat et de l'entrepreneur à raison des fautes commises dans l'exécution des travaux publics susmentionnés, notamment dans l'entretien de la plantation, pour qu'ils soient condamnés à supporter solidairement le coût de ce second reboisement ;
Considérant, en premier lieu, qu'en jugeant par l'arrêt attaqué qu'il résultait de la combinaison des articles L. 313-2 et L. 313-3 du code forestier, que les "travaux d'entretien de la plantation ou du semis ne sont pas compris parmi ceux que l'administration peut exécuter en application des dispositions susmentionnées et incombent en toute hypothèse au propriétaire défaillant", la cour a méconnu le champ d'application des dispositions susmentionnées dès lors que la procédure d'exécution d'office de travaux de reboisement à la charge du propriétaire ne saurait se limiter à la seule plantation des arbres nécessaire à l'opération de reboisement mais doit inclure les travaux d'entretien liés aux travaux de reboisement ; qu'ainsi M. Y... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour en tant qu'il a fait une application erronée en droit de l'étendue de la responsabilité de l'Etat ;
Considérant, en second lieu, que, dans le cas où les travaux de reboisement sont exécutés d'office par l'Etat pour le compte du propriétaire défaillant et à ses frais, l'Etat se substitue au propriétaire durant la période d'exécution de ces travaux et jusqu'à leur réception ; que durant cette période les relations contractuelles qui existent entre l'Etat et les entrepreneurs chargés des travaux ne sauraient servir de fondement à une action directe du propriétaire contre les entrepreneurs ; que la cour de Nancy a rejeté les conclusions de M. Y... tendant à mettre en jeu la responsabilité de l'Etat et de l'entrepreneur, la société Naudet, en indiquant que "le requérant n'est en toute en état de cause pas fondé à exciper des manquements à des stipulations contractuelles de la convention à laquelle il n'était pas partie, conclue entre l'Etat et la société Naudet et qui mettait selon lui à la charge de cette dernière l'entretien des plantations, pour soutenir que la responsabilité de la société Naudet serait, à raison de ces fautes, engagée à son égard ..." ; qu'en retenant une telle motivation, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Y... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 9 octobre 1990 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à mettre en jeu la responsabilité de l'Etat ; qu'il y a lieu de renvoyer sur ce point l'affaire devant ladite cour ;
Considérant qu'il y a lieu en application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 de condamner l'Etat, qui est dans la présente instance la partie perdante, à verser au requérant la somme de 10 000 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 9 octobre 1990 est annulé en tant qu'il a rejeté la requête de M. Y... tendant à la condamnation de l'Etat.
Article 2 : Le jugement des conclusions de la présente affaire est renvoyé sur ce point à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. Y... est rejeté.
Article 4 : L'Etat est condamné à verser à M. Y... la somme de 10 000 F en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Y..., au président de la cour administrative d'appel de Nancy et au ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme.