Vu la procédure suivante :
La société Entreprise de construction traditionnelle (ECT) a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner l'Etat à lui payer la somme de 74 415 954 francs CFP, majorée des intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2011, en réparation des préjudices résultant du refus du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie de lui accorder le concours de la force publique pour l'exécution de décisions de justice ordonnant l'expulsion des occupants sans titre d'un dock lui appartenant ainsi que du chantier de construction de la résidence " Pacifique Palissade ". Par un jugement n°1100338 du 12 avril 2012, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.
Par une décision n°361027 du 30 juillet 2014, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire devant le tribunal administratif.
Par un jugement n° 1400283 du 12 mars 2015, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté la demande de la société ECT.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juin et 15 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société ECT demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 12 mars 2015 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) d'ordonner la capitalisation des intérêts dus sur l'indemnité mise à la charge de l'Etat ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Lionel Collet, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat de la société ECT.
Vu la note en délibéré produite par la société ECT, enregistrée le 16 décembre 2016.
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Entreprise de construction traditionnelle (ECT) a demandé au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie de lui accorder le concours de la force publique pour l'exécution de deux ordonnances du juge des référés du tribunal de première instance de Nouméa des 11 et 20 septembre 2007 ordonnant l'expulsion de manifestants qui occupaient depuis le 10 septembre l'accès à un dock utilisé par cette société ; que ce dock a été libéré par les forces de l'ordre le 4 octobre suivant mais a été occupé à nouveau le jour même et l'est demeuré jusqu'au 24 octobre suivant ; que la société ECT a par ailleurs sollicité sans succès, le 9 novembre 2007, le concours de la force publique pour l'exécution de l'ordonnance du même jour du juge des référés ordonnant l'expulsion des personnes occupant, depuis le 4 novembre, un chantier de construction qu'elle avait entrepris ; que les manifestants ont quitté volontairement les lieux le 1er décembre suivant ; que la société a recherché la responsabilité de l'Etat au titre des préjudices ayant résulté pour elle des refus de concours de la force publique ; que, le tribunal administratif a rejeté sa demande indemnitaire par un jugement du 12 avril 2012 que le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé par une décision du 30 juillet 2014 ; que la société se pourvoit en cassation contre le jugement du 12 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, à nouveau saisi de sa demande, l'a à nouveau rejetée ;
2. Considérant qu'en se bornant à relever, pour rejeter la demande de la société ECT, " que les éléments versés au dossier par la société requérante n'apportent pas d'éléments de nature à démontrer la réalité du préjudice qu'elle invoque et son étendue ; que le lien de causalité des préjudices allégués avec les événements survenus en 2007 n'est pas davantage établi ; qu'à cet égard, si la société requérante se plaint d'avoir subi des préjudices, il est constant que cette affirmation n'est pas démontrée par la production de l'attestation délivrée le 9 février 2015 par la société d'expertise comptable Fidec Ducos ", sans indiquer pour chacun des chefs de préjudice allégués si sa réalité ainsi que son étendue étaient établies par les justificatifs que la société avait produits, le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement ; que ce jugement doit par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé ;
3. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire. " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
4. Considérant que le refus d'accorder le concours de la force publique pour l'exécution des ordonnances d'expulsion engage la responsabilité de l'Etat à compter de l'expiration du délai de quinze jours à compter de la réception de la réquisition dont le Haut-commissaire disposait, dans les circonstances de l'espèce, pour se prononcer sur l'octroi du concours, et jusqu'à la libération des lieux ; qu'ainsi, la responsabilité de l'Etat est engagée, s'agissant de l'accès au dock de la société ECT, pour lequel la réquisition avait été reçue le 14 septembre 2007, au titre de la période comprise entre le 29 septembre 2007 et le 24 octobre 2007, date de la libération des lieux à la suite de l'intervention des forces de l'ordre ; que s'agissant du chantier " Pacifique Palissade ", cette responsabilité est engagée du 24 novembre 2007 au 1er décembre 2007 ;
Sur les préjudices de la société ECT :
5. Considérant que si la société ECT demande à être indemnisée du montant correspondant à des consommations d'eau et d'électricité, à des charges fixes et à des charges de personnel exposées pendant les périodes de responsabilité, elle n'avance aucun élément de nature à établir que ces charges auraient été exposées en pure perte du fait du refus de concours de la force publique ou seraient la conséquence de ce refus ; qu'elle n'établit pas davantage l'existence du manque à gagner et du préjudice commercial qu'elle invoque, alors qu'il résulte de l'instruction que son chiffre d'affaires a augmenté en 2007 et que son taux de marge est resté stable ; que la société ne justifie pas que les vols et dégradations de matériaux dont elle fait état, sans produire de déclaration de sinistre ni de récépissé du dépôt d'une plainte, auraient eu lieu pendant la période de responsabilité de l'Etat ; que les conclusions indemnitaires présentées au titre de ces différents préjudices doivent, par suite, être rejetées ;
6. Considérant que les frais de conseil et d'assistance liés au conflit social que l'entreprise a connus et les frais d'avocat qu'elle a exposés pour la procédure de référé devant le tribunal de première instance de Nouméa ne peuvent être regardés comme la conséquence du refus de concours de la force publique ; que, par suite, les conclusions présentées au titre de ces préjudices ne sauraient être accueillies ;
7. Considérant qu'il résulte en revanche de l'instruction que la société ECT a eu recours à plusieurs reprises pendant la période de responsabilité de l'Etat, à un huissier de justice afin de faire constater l'occupation de ses locaux et de son chantier et a dû exposer à ce titre un montant de 674 284 francs CFP ; qu'elle a, de même, dû supporter pour l'inventaire, l'évacuation des déchets et le rangement de l'atelier des frais qu'elle évalue au montant non contesté de 600 000 francs CFP, qui peuvent être regardés comme étant en lien direct avec la poursuite de l'occupation irrégulière des lieux pendant la période de responsabilité de l'Etat ; que la société ECT est fondée à demander à être indemnisés par l'Etat de ces préjudices ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise, de condamner l'Etat à verser à la société ECT la somme de 1 274 284 francs CFP ; que cette somme doit être majorée des intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2011, date de réception de la réclamation indemnitaire préalable présentée par cette société ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 15 juin 2015, date à laquelle plus d'un an d'intérêts étaient dus ; qu'il y sera procédé à cette date et au 15 juin 2016 ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à la société ECT, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à la société ECT la somme de 1 274 284 francs CFP, majorée des intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2011, ces intérêts étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts au 15 juin 2015 et au 15 juin 2016.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la société ECT devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à la société ECT au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Entreprise de construction traditionnelle et à la ministre des outre-mer.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur.