Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 juillet et 11 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 20 mars 2019 rapportant le décret du 28 janvier 2016 en ce qu'il lui avait accordé la nationalité française ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Dominique Bertinotti, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces de dossier que Mme B..., ressortissante marocaine, a déposé une demande de naturalisation le 17 janvier 2014, dans laquelle elle a indiqué être célibataire et s'est engagée sur l'honneur à signaler tout changement dans sa situation personnelle et familiale. Au vu de ses déclarations, elle a été naturalisée par décret du 28 janvier 2016. Toutefois, par bordereau reçu le 21 mars 2017, le ministre des affaires étrangères et du développement international a informé le ministre chargé des naturalisations que Mme B... avait épousé, le 29 août 2014, M. D... C..., ressortissant marocain résidant habituellement à l'étranger. Par décret du 20 mars 2019, publié au Journal officiel le 21 mars 2019, le ministre de l'intérieur a rapporté le décret du 28 janvier 2016 prononçant la naturalisation de Mme B... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressée quant à sa situation familiale. Mme B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, le décret attaqué, qui n'avait pas à répondre à l'ensemble des observations produites par l'intéressée, comporte l'indication des éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde et est ainsi suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré de son insuffisance de motivation doit être écarté.
4. En deuxième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressée a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés de la réalité de la situation familiale de la requérante que le 21 mars 2017, date à laquelle ils ont reçu les documents relatifs à son mariage, transmis par bordereau du ministre des affaires étrangères et du développement international. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 20 mars 2019, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.
5. En troisième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.
6. Mme B... soutient que son union avec M. C..., célébrée le 29 août 2014 en la forme religieuse ne pouvait être regardée comme un mariage avant son officialisation par les services de l'état civil marocain le 9 février 2016, soit postérieurement à sa naturalisation et ne constituait pas ainsi un changement dans sa situation familiale devant être porté à la connaissance des services instruisant sa demande. Toutefois, la circonstance que cette union ne pourrait être qualifiée de mariage en vertu de la loi qui lui est applicable, n'interdit pas à l'autorité compétente de prendre en compte son existence pour apprécier si la condition de résidence posée par l'article 21-16 du code civil est remplie. Il en résulte qu'alors même qu'elle remplirait les autres conditions requises à l'obtention de la nationalité française, la circonstance que l'intéressée ait conclu une union religieuse à l'étranger avec un ressortissant étranger au cours de l'instruction de sa demande de naturalisation était de nature à modifier l'appréciation qui a été portée par l'autorité administrative sur la fixation du centre de ses intérêts. Mme B... ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mise dans l'impossibilité de faire part de son changement de situation familiale au service en charge de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. L'intéressée, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du compte-rendu d'assimilation du 21 novembre 2014, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'elle a signée. Dans ces conditions, Mme B... doit être regardée comme ayant volontairement dissimulé le changement de sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le ministre de l'intérieur, n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.
7. En quatrième lieu, un décret qui rapporte pour fraude un décret de naturalisation est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille. Ainsi, les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent être utilement invoquées à l'appui des conclusions dirigées contre le décret attaqué. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de Mme B... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 mars 2019 par lequel le premier ministre a rapporté le décret du 28 janvier 2016 qui lui avait accordé la nationalité française. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent en conséquence être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.