Vu la procédure suivante :
La société Cofidis a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009 pour un montant de 10 884 812 euros. Par un jugement n° 1600888 du 11 mai 2017, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande et a rehaussé par voie de conséquence le résultat imposable de la société Cofidis au titre de l'exercice clos en 2010 à hauteur de 6 786 727 euros.
Par un arrêt n° 17VE02884 du 16 mai 2019, la cour administrative d'appel de Versailles, faisant droit à l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics, a annulé ce jugement et remis les impositions en litige à la charge de la société Cofidis.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 29 juillet et 24 octobre 2019 et le 14 janvier 2021, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Cofidis demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre de l'action et des comptes publics ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Viton, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Cofidis ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Cofidis, qui exerce une activité de crédit à la consommation, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, notamment, sur les exercices clos en 2009 et 2010. A l'issue de celle-ci, l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité de provisions pour dépréciation de créances détenues sur la clientèle et constituées au titre de ces exercices. Cette réintégration s'est traduite par un rehaussement en base de 28 024 168 euros au titre de l'exercice 2009 et une réduction de 6 786 727 euros au titre de l'exercice 2010 du fait de la correction symétrique de la reprise sur cet exercice de la provision comptabilisée au cours de l'exercice précédent. La société Cofidis demande l'annulation de l'arrêt du 29 mai 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, a annulé le jugement du 11 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Montreuil avait accordé la décharge des suppléments d'impôt en litige au titre de l'exercice clos en 2009 et rehaussé par voie de conséquence le résultat de l'exercice clos en 2010 du fait de la correction symétrique, et remis à la charge de la société ces impositions.
2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice ". Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent, en outre, comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'enfin, elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise.
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société Cofidis a constitué, au cours des exercices clos en 2009 et 2010, des provisions concernant des crédits ayant donné lieu à au moins un impayé depuis moins de 90 jours. Pour justifier la constitution de ces provisions, la société a indiqué que lorsqu'elle constatait un impayé depuis moins de 90 jours, une représentation automatique du prélèvement avait lieu au cours du premier mois. Si cette tentative demeurait infructueuse, la société adressait au client défaillant un courrier l'invitant à la contacter ou à régulariser sa situation, puis, le cas échéant, tentait de le joindre par téléphone afin de l'interroger sur sa situation financière et familiale, sur le motif de l'impayé et sur les perspectives de régularisation. Elle a également indiqué que les actions en recouvrement étaient différenciées en fonction du profil des clients, classés en " paliers opérationnels " selon la combinaison de plusieurs critères, tenant compte du risque individuel du débiteur (note de score), du montant de la dette, de la durée pendant laquelle le client était demeuré dans le palier et des éventuels impayés antérieurs. Estimant que le seul évènement qui déclenchait la constitution des provisions en litige était l'existence d'un ou deux impayés inférieurs à 90 jours, sans que la société Cofidis ne prenne en compte concrètement la capacité de ses clients à rembourser leur dette, l'administration a remis en cause le caractère déductible de ces provisions et les a réintégrées dans les bases imposables de la société.
4. Après avoir relevé que la société n'indiquait pas clairement ni n'établissait que les provisions auraient été constituées après avoir tenu compte de la situation individuelle de son client ou après avoir vainement mis en oeuvre des actions de recouvrement, la cour a jugé que ni le non-paiement des créances à leur échéance, ni l'échec des campagnes d'appel ni l'impossibilité de compenser cet impayé par un prélèvement sur les comptes bancaires de ses clients n'établissaient que les créances en litige présentaient, à la clôture des exercices en litige, un risque probable de non recouvrement et, par suite, ne pouvaient justifier la constitution d'une provision dans les conditions prévues par les dispositions précitées du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts.
5. En statuant ainsi, alors que s'agissant d'une société exerçant une activité de distribution de crédit à la consommation, le constat de retards de paiement des créances, nonobstant les diligences entreprises par l'établissement en vue de leur recouvrement, caractérisent le caractère probable du non recouvrement de ces créances à la clôture de l'exercice, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Cofidis est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Cofidis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 29 mai 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera à la société Cofidis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Cofidis et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.