Vu la procédure suivante :
M. G... L... et Mme Q..., épouse L..., ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 11 avril 2016 par laquelle la société ERDF, devenue Enedis, a refusé de déplacer le pylône électrique situé sur leur propriété et les lignes électriques aériennes la surplombant, d'autre part, de constater l'emprise irrégulière de cet ouvrage sur le terrain leur appartenant, enfin, d'enjoindre à la société Enedis de procéder au déplacement de l'ouvrage hors des limites de leur terrain ou à sa démolition et, en cas d'inexécution, de les autoriser à faire procéder au déplacement de l'ouvrage ou à sa démolition aux frais, risques et périls de la société Enedis. Par un jugement n° 1603619 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 19NC01615 du 17 mars 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par M. et Mme L... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 juin et 8 septembre 2020 et 25 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme L... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'énergie ;
- la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;
- la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
- le décret du 29 juillet 1927 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;
- le décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 ;
- le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. et Mme L... et au cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Enedis ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 octobre 2021, présentée par la société Enedis ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme L... ont acquis, le 5 mars 2015, un terrain situé sur le territoire de la commune de Feldbach (Haut-Rhin). Ils ont sollicité le déplacement d'un pylône, support de trois lignes électriques aériennes, implanté sur ce terrain. La société Enedis leur a adressé, le 27 avril 2015, un devis correspondant aux frais devant être engagés afin de faire passer les lignes aériennes en souterrain tout en maintenant un pylône sur leur terrain. A la suite d'une nouvelle demande de M. et Mme L..., la société Enedis a refusé, le 11 avril 2016, de déplacer l'ouvrage en litige, qu'elle estime régulièrement implanté. La société a également proposé, le 29 mars 2017, une autre solution consistant à contourner la parcelle des intéressés aux frais de ces derniers, aucun ouvrage n'étant alors maintenu sur leur terrain. Par un jugement du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Strasbourg, saisi par M. et Mme L..., après avoir constaté que le pylône électrique support des lignes aériennes constituait une emprise irrégulière sur la propriété des requérants, a rejeté leur demande tendant au déplacement des ouvrages ou à leur démolition. M. et Mme L... ont relevé appel de ce jugement et la société Enedis a demandé, par la voie de l'appel incident, l'annulation du même jugement en ce qu'il a constaté l'emprise irrégulière des ouvrages en litige. Par un arrêt du 17 mars 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'ensemble des conclusions dont elle était saisie. M. et Mme L... se pourvoient en cassation contre cet arrêt.
2. D'une part, aux termes de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie, dont les dispositions sont désormais reprises par les articles L. 323-3 et suivants du code de l'énergie : " (...) La déclaration d'utilité publique d'une distribution d'énergie confère, en outre, au concessionnaire (...) le droit : / 1° D'établir à demeure des supports et ancrages pour conducteurs aériens d'électricité, soit à l'extérieur des murs ou façades donnant sur la voie publique, soit sur les toits et terrasses des bâtiments (...) ; / 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés privées (...) ; / 3° D'établir à demeure (...) des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; (...) / L'exécution des travaux prévus aux alinéas 1° à 4° ci-dessus doit être précédée d'une notification directe aux intéressés et d'une enquête spéciale dans chaque commune ; elle ne peut avoir lieu qu'après approbation du projet de détail des tracés par le préfet. / (...) ". L'article 1er du décret du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, applicable au litige, dispose que : " Une convention passée entre le concessionnaire et le propriétaire ayant pour objet la reconnaissance des servitudes d'appui, de passage, (...) prévues au troisième alinéa de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 susvisée peut remplacer les formalités prévues au quatrième alinéa dudit article. / Cette convention produit, tant à l'égard des propriétaires et de leurs ayants droit que des tiers, les effets de l'approbation du projet de détail des tracés par le préfet (...) ". Il résulte de ces dispositions que les servitudes mentionnées par l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, codifié aux articles L. 323-3 et suivants du code de l'énergie, peuvent être instituées par une convention passée entre le concessionnaire d'un service de distribution d'énergie et le propriétaire de la parcelle concernée.
3. D'autre part, aux termes de l'article 38 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle : " Sont inscrits au livre foncier, aux fins d'opposabilité aux tiers, les droits suivants : / (...) b) (...) les servitudes foncières établies par le fait de l'homme (...) ". Aux termes de l'article 38-1 de la même loi : " Dès le dépôt de la requête en inscription et sous réserve de leur inscription, les droits et restrictions visés à l'article 38 (...) sont opposables aux tiers qui ont des droits sur les immeubles et qui les ont fait inscrire régulièrement ". Il résulte de ces dispositions que, dans les trois départements régis par celles-ci, les servitudes résultant des conventions mentionnées au point 2, qui, alors même qu'elles ne font que concrétiser une servitude légale prévue par la loi du 15 juin 1906, constituent des servitudes foncières établies par le fait de l'homme au sens de l'article 38 de la loi du 1er juin 1924, doivent être publiées au livre foncier pour pouvoir être opposées aux tiers qui ont des droits sur l'immeuble concerné, en particulier les nouveaux propriétaires de celui-ci.
4. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le pylône et les lignes électriques surplombant la parcelle dont M. et Mme L... ont fait l'acquisition, lesquels présentent le caractère d'ouvrages publics, ont été installés par la société EDF, aux droits de laquelle vient la société Enedis, sur le fondement de servitudes consenties par les anciens propriétaires de la parcelle par la voie de conventions conclues les 18 juin 1963 et 10 juillet 1980. En jugeant que ces servitudes pouvaient être opposées à M. et Mme L..., propriétaires du terrain concerné, alors même qu'elles n'avaient pas été publiées au livre foncier, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, son arrêt doit être annulé.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme L..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce que soit mise à la charge de ces derniers, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société Enedis au même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 17 mars 2020 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : La société Enedis versera à M. et Mme L... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par la société Enedis au même titre sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. G... L... et Mme Q..., épouse L..., et à la société Enedis.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 octobre 2021 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. I... K..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. J... N..., Mme A... M..., M. D... H..., M. E... O..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 5 novembre 2021.
Le président :
Signé : M. P... C...
Le rapporteur :
Signé : M. Thomas Pez-Lavergne
La secrétaire :
Signé : Mme F... B...