Vu la procédure suivante :
M. A... et Mme C... F... et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1 ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 7 août 2017 par lequel le maire de Val d'Isère (Savoie) a délivré à la commune un permis de construire pour régulariser un bâtiment d'habitation en accession à la propriété, ainsi que les décisions rejetant leurs recours gracieux. Par un jugement n° 1800452-1800609 du 29 janvier 2019, le tribunal administratif de Grenoble a joint ces deux demandes et a annulé l'arrêté du 7 août 2017 et les décisions implicites de rejet des recours gracieux.
Par un arrêt n° 19LY01205-19LY03746-19LY03754 du 11 février 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la commune de Val d'Isère contre ce jugement, a annulé, sur la requête du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1, le permis de construire délivré le 26 octobre 2018 par le maire de Val d'Isère portant sur le même bâtiment et a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête présentée par M. et Mme F... dirigées contre les permis de construire délivrés les 7 août 2017 et 26 octobre 2018.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril et 29 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions devant la cour administrative d'appel et devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de M. et Mme F..., O... et du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1 le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la commune de Val d'Isère et à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat du syndicat des copropriétaires de l'immeuble le Crêt 1 ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 18 juin 2012, le maire de Val d'Isère a délivré à la société Urbancoop un permis de construire un bâtiment comprenant trente-sept logements, situé au lieu-dit Le Cacholet. Ce permis a été annulé par un jugement du 27 janvier 2015 du tribunal administratif de Grenoble. Par un arrêté du 7 août 2017, le maire de Val d'Isère a délivré à la commune un premier permis de construire visant à régulariser cette construction dont les travaux étaient achevés à la date de l'annulation prononcée par le tribunal. Puis, le 26 octobre 2018, le maire de Val d'Isère a délivré à la commune un second permis de construire, portant sur le même bâtiment, destiné à régulariser le permis du 7 août 2017, compte tenu de l'intervention d'un nouveau plan de prévention des risques naturels approuvé le 30 avril 2018, qui avait mis fin au classement en zone inconstructible d'une partie du terrain d'emprise de la construction. Par un jugement du 29 janvier 2019, le tribunal administratif de Grenoble a annulé, à la demande de M. et Mme F... d'une part, et du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1, d'autre part, le permis de construire délivré le 7 août 2017. Le 29 mars 2019, la commune de Val d'Isère a relevé appel de ce jugement. Parallèlement, le 21 décembre 2018, M. F... et autres ont saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 26 octobre 2018 et, le 10 avril 2019, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1 a saisi le même tribunal de la même demande. Par deux ordonnances du 22 mai 2019, le président du tribunal administratif de Grenoble, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, a renvoyé à la cour le jugement de ces deux affaires. Par un arrêt du 11 février 2020, contre lequel la commune de Val d'Isère se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté la requête d'appel de la commune, a annulé, sur la requête d'appel du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1, le permis de construire délivré le 26 octobre 2018 et a prononcé un non-lieu sur les conclusions de M. et Mme F... dirigées tant contre l'arrêté du 7 août 2017 que contre celui du 26 octobre 2018. Le pourvoi présenté par la commune de Val d'Isère doit être regardé comme tendant à l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a par ses articles 1er, 2 et 4, rejeté sa requête d'appel et fait droit aux conclusions du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1.
2. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir censuré les motifs pour lesquels le tribunal administratif de Grenoble avait jugé illégal le permis de construire délivré le 7 août 2017 par le maire de Val d'Isère, a jugé, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, que l'un des autres moyens invoqués par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1 en première instance, tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article Uc 7 du règlement du plan local d'urbanisme, était fondé. Estimant que ce vice n'était pas susceptible de régularisation, elle a annulé le permis de construire du 7 août 2017 et, par voie de conséquence, celui du 26 octobre 2018.
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur le permis de construire du 7 août 2017 :
En ce qui concerne la légalité du permis de construire au regard de l'article Uc 7 du règlement du plan local d'urbanisme :
3. Aux termes de l'article Uc 7 du règlement du plan local d'urbanisme de Val d'Isère : " 1 - La distance comptée horizontalement entre tout point du bâtiment et le point le plus proche de la limite séparative doit être au moins égale à la moitié de la différence d'altitude entre ces deux points, sans pouvoir être inférieure à trois mètres. / (...) Dans le secteur Ucb les constructions en limite sont autorisées ". Il résulte de ces dispositions que les bâtiments érigés dans le secteur Ucb ne peuvent déroger à la règle générale de retrait par rapport à la limite séparative qu'en se situant sur cette limite. Il s'ensuit que la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit en considérant que, dès lors que l'immeuble " Le Tremplin ", situé dans le secteur Ucb, n'était pas en limite séparative et qu'il était implanté, tant en ce qui concerne le bâtiment A que le bâtiment B, à une distance de la limite séparative inférieure à la distance minimale posée par l'article Uc 7 du règlement du plan local d'urbanisme de Val d'Isère, les dispositions de cet article avaient été méconnues par le permis de construire litigieux.
En ce qui concerne le refus par la cour de faire jouer les mécanismes de régularisation prévus par les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :
4. Aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation, même après l'achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d'annulation partielle est motivé. " Aux termes de l'article L. 600-5-1 du même code dans sa rédaction issue de la même loi : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ".
5. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée, sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme. Le juge n'est toutefois pas tenu de surseoir à statuer, d'une part, si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, d'autre part, si le bénéficiaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation. Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.
6. En l'espèce la cour a considéré qu'il n'y avait pas lieu de faire application des dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme dès lors que le vice tiré de la méconnaissance de l'article Uc 7 du règlement du plan local d'urbanisme affecte la conception d'ensemble du bâtiment, lequel est déjà construit, et qu'il n'apparaissait pas susceptible de régularisation. En statuant ainsi, sans rechercher si le vice entachant le bien-fondé du permis de construire litigieux pouvait être régularisé, même si cette régularisation impliquait de revoir l'économie générale du projet en cause, et dans cette hypothèse, si les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle elle statuait permettaient une mesure de régularisation qui n'impliquait pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la commune de Val d'Isère est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant que, rejetant sa requête d'appel, il confirme l'annulation du permis de construire du 7 août 2017.
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt attaqué en tant qu'il annule l'arrêté du 26 octobre 2018 :
8. Aux termes de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme, issu de l'article 80 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " Lorsqu'un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d'une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d'aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance ". Il résulte de ces dispositions que la légalité d'un permis modificatif, d'une décision modificative ou d'une mesure de régularisation intervenue au cours d'une instance dirigée contre le permis de construire initialement délivré ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance, dès lors que cette mesure leur a été communiquée, qu'elle fasse suite à une décision juridictionnelle ou qu'elle ait été prise spontanément par son auteur en cours d'instance.
9. En l'absence de disposition expresse y faisant obstacle, les dispositions de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme sont applicables aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur, fixée au premier jour du deuxième mois suivant sa promulgation par l'article 80 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, soit le 1er janvier 2019. Dès lors, en jugeant que ces dispositions n'étaient applicables que depuis le 1er janvier 2020, et en écartant, pour ce motif, le moyen soulevé par la commune, tiré de ce que les conclusions dirigées contre le permis de construire du 26 octobre 2018 étaient irrecevables faute d'avoir été présentées dans le cadre de l'instance relative au permis de construire du 7 août 2017, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit.
10. Toutefois, à la date à laquelle, le 10 avril 2019, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1, après avoir formé un recours gracieux, a saisi le tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du permis modificatif du 26 octobre 2018, l'instance devant le tribunal administratif relative au permis initial du 7 août 2017 avait été close par un jugement du 29 janvier 2019. Cette demande ne pouvait donc, en tout état de cause, être jugée irrecevable du seul fait qu'elle n'avait pas été présentée dans le cadre de l'instance initiale. En outre, la commune de Val d'Isère ayant relevé appel, le 29 mars 2019, de ce jugement et les dispositions de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme étant entrées en vigueur, seule la cour administrative d'appel était désormais compétente pour connaître de la légalité du permis de construire modificatif et c'est donc à bon droit que la demande a été transmise à la cour, le 22 mai 2019, par une ordonnance du président du tribunal administratif de Grenoble. La circonstance que la cour l'ait enregistrée comme une requête distincte est, au surplus, sans incidence sur la régularité de l'arrêt attaqué, dès lors qu'elle l'a jointe à la requête d'appel de la commune de Val d'Isère pour statuer par un même arrêt. Dès lors, le moyen tiré de ce que la cour administrative d'appel aurait méconnu les dispositions de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme en regardant comme recevables les conclusions du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1 dirigées contre le permis de construire du 26 octobre 2018 et en statuant elle-même sur ces conclusions ne peut qu'être écarté. Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu par l'arrêt attaqué.
11. Cependant, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que, la cour administrative d'appel n'ayant annulé le permis de construire du 26 octobre 2018 que par voie de conséquence de l'annulation du permis de construire du 7 août 2017, la commune de Val d'Isère est également fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il annule le permis du 26 octobre 2018.
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1 la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Val d'Isère au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Val d'Isère qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er, 2 et 4 de l'arrêt du 11 février 2020 de la cour administrative d'appel de Lyon sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1 versera à la commune de Val d'Isère la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1 tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Val d'Isère et au syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Crêt 1.
Copie en sera adressée à M. A... F... et à Mme C... F....
Délibéré à l'issue de la séance du 13 octobre 2021 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. J... I..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme L... D..., M. M... E..., Mme B... N..., M. G... H..., M. François Weil conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure
Rendu le 8 novembre 2021.
La Présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle
La secrétaire :
Signé : Mme K... P...