Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiée (SAS) Boréalis Chimie a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de lui accorder la restitution des redevances pour pollution de l'eau d'origine non domestique, d'un montant de 481 763, 20 euros, mises à sa charge au titre des années 2011 et 2012 par ordre de recettes des 13 et 14 août 2014 de l'agence de l'eau Seine-Normandie. Par un jugement n° 1701059 du 25 septembre 2018, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n° 18VE03882 du 22 septembre 2020, la cour administrative d'appel de Versailles, saisie en appel par l'agence de l'eau Seine-Normandie, a réformé ce jugement, remis à la charge de la SAS Boréalis Chimie ces redevances et a assorti la restitution des majorations et intérêts moratoires initialement mis à la charge de la société au titre des années 2011 et 2012 des intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2016.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 novembre 2020, 22 février 2021 et 26 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Boréalis Chimie demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il fait droit à l'appel de l'agence de l'eau Seine-Normandie ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions d'appel de l'agence de l'eau Seine-Normandie tendant à ce que les redevances pour pollution de l'eau d'origine non domestique au titre des années 2011 et 2012 soient remises à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de l'agence de l'eau Seine-Normandie la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Boréalis Chimie et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'agence de l'eau Seine-Normadie ;
Considérant ce qui suit :
1. Par deux titres exécutoires en date des 13 et 14 août 2014, l'agence de l'eau Seine-Normandie a mis à la charge de la société Boréalis Chimie la somme de 481 763,20 euros au titre de la redevance pour pollution d'origine domestique pour les années 2011 et 2012 et des intérêts de retard et pénalités. Par un jugement du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a accordé à cette société la restitution de ces redevances. Celle-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 22 septembre 2020 en tant qu'il a fait droit à l'appel formé par l'agence de l'eau Seine-Normandie contre ce jugement en remettant à sa charge ces redevances. L'agence de l'eau, par la voie du pourvoi incident, demande, pour sa part, l'annulation de cet arrêt en tant qu'il a statué sur les majorations et intérêts de retard.
Sur le pourvoi de la société Boréalis Chimie :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 213-10 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors en vigueur : " En application du principe de prévention et du principe de réparation des dommages à l'environnement, l'agence de l'eau établit et perçoit auprès des personnes publiques ou privées des redevances pour pollution de l'eau, pour modernisation des réseaux de collecte, pour pollutions diffuses, pour prélèvement sur la ressource en eau, pour stockage d'eau en période d'étiage, pour obstacle sur les cours d'eau et pour protection du milieu aquatique ". Aux termes de l'article L. 213-10-2 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " I.- Toute personne, (...), dont les activités entraînent le rejet d'un des éléments de pollution mentionnés au IV dans le milieu naturel directement ou par un réseau de collecte, est assujettie à une redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique. / II.- L'assiette de la redevance est la pollution annuelle rejetée dans le milieu naturel égale à douze fois la moyenne de la pollution moyenne mensuelle et de la pollution mensuelle rejetée la plus forte. Elle est composée des éléments mentionnés au IV. / Elle est déterminée directement à partir des résultats du suivi régulier de l'ensemble des rejets, le dispositif de suivi étant agréé et contrôlé par un organisme mandaté par l'agence de l'eau. Toutefois, lorsque (...) le suivi régulier des rejets s'avère impossible, l'assiette est déterminée indirectement par différence entre, d'une part, un niveau théorique de pollution correspondant à l'activité en cause et, d'autre part, le niveau de pollution évitée par les dispositifs de dépollution mis en place par le redevable ou le gestionnaire du réseau collectif. / Le niveau théorique de pollution d'une activité est calculé sur la base de grandeurs et de coefficients caractéristiques de cette activité déterminés à partir de campagnes générales de mesures ou d'études fondées sur des échantillons représentatifs. / La pollution évitée est déterminée à partir de mesures effectuées chaque année, le dispositif de suivi étant agréé par l'agence de l'eau ou, à défaut, à partir de coefficients évaluant l'efficacité du dispositif de dépollution mis en œuvre. (...) / III.- Sur demande du redevable, le suivi régulier des rejets visé au II a pour objet de mesurer la pollution annuelle ajoutée par l'activité (...) ". Aux termes de l'article L. 213-11 du même code : " Les personnes susceptibles d'être assujetties aux redevances mentionnées aux articles L. 213-10-2, (...) déclarent à l'agence de l'eau les éléments nécessaires au calcul des redevances mentionnées à l'article L. 213-10 avant le 1er avril de l'année suivant celle au titre de laquelle ces redevances sont dues (...) ". Aux termes de l'article R. 238-24 du même code : " Pour la détermination de la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique mentionnée à l'article L. 213-10-2 (...) la déclaration comporte notamment : / 1° La désignation des lieux de rejet et les caractéristiques de l'activité à l'origine des rejets ; / 2° Les résultats mensuels du suivi régulier des rejets (...) ou, à défaut d'un tel suivi, le nombre d'unités de la grandeur caractérisant l'activité polluante (...) et les données relatives au fonctionnement de l'ouvrage de dépollution mis en place par l'établissement (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 213-11-6 du même code : " I.- Sont établies d'office les redevances dues par les personnes : / 1° Qui n'ont pas produit la déclaration des éléments nécessaires à leur calcul à la date fixée à l'article L. 213-11, après l'expiration d'un délai de trente jours suivant la mise en demeure préalable qui leur est adressée par l'agence ; / 2° Qui se sont abstenues de répondre dans les délais fixés aux demandes de renseignements ou d'éclaircissements prévus à l'article L. 213-11-1 ; / 3° Qui ont refusé de se soumettre aux contrôles ou qui ont fait obstacle à leur déroulement. / II. - En cas d'imposition d'office, les éléments servant au calcul des redevances sont portés à la connaissance du contribuable au moins trente jours avant la mise en recouvrement au moyen d'une notification précisant les modalités de détermination des éléments et le montant des redevances dues, ainsi que la faculté pour le contribuable de présenter ses observations ". Aux termes de l'article L. 213-11-3 du même code : " Lorsque l'agence constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des redevances, elle adresse au contribuable une proposition de rectification motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation dans un délai de trente jours. / Lorsque l'agence rejette les observations du contribuable, sa réponse doit également être motivée ".
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Boréalis Chimie, qui n'avait pas mis en œuvre de dispositif agréé de suivi régulier des rejets des substances polluantes inhérents à son activité, a adressé à l'agence de l'eau Seine-Normandie, dans les délais impartis, les déclarations visées par les dispositions des articles L. 213-11 et R. 213-48-8 du code de l'environnement en vue de la détermination de l'assiette de la redevance pour pollution d'origine non domestique au titre des années 2011 et 2012 suivant la méthode indirecte prévue au deuxième alinéa du II de l'article L. 213-10-2 du code de l'environnement. L'agence de l'eau Seine-Normandie, pour sa part, a entendu faire application des dispositions du 1° de l'article L. 213-11-6 du code de l'environnement prévoyant la taxation d'office des personnes assujetties à la redevance pour pollution d'origine non domestique n'ayant pas fourni la déclaration des éléments nécessaires à son calcul à la date fixée à l'article L. 213-11.
5. Les redevances perçues par les agences de l'eau en application de l'article L. 213-10 du code de l'environnement constituent des impositions de toute nature. Il n'appartient pas au juge de l'impôt, lorsqu'il n'y a pas été invité par l'administration défenderesse au cours de l'instance, de substituer d'office au fondement de l'imposition contestée un autre fondement justifiant son maintien.
6. En jugeant, après avoir relevé, d'une part, que la société Boréalis Chimie n'avait été privée d'aucune des garanties inhérentes à la procédure contradictoire de contrôle prévue par l'article L. 213-11-3 du code de l'environnement et, d'autre part, que l'agence de l'eau avait déterminé, en l'espèce, l'assiette des redevances dues conformément à l'article R. 213-48-7 du code de l'environnement en se fondant sur les informations déclarées par la société, que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de taxation d'office était inopérant, la cour administrative d'appel de Versailles a nécessairement procédé à une substitution de base légale. Dès lors qu'elle n'avait pas été invitée à le faire par l'agence de l'eau, la cour a méconnu son office.
7. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Boréalis Chimie est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a fait droit à l'appel de l'agence de l'eau Seine-Normandie.
8. En application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond.
9. Il résulte des dispositions de l'article L. 213-11-6 du code de l'environnement, citées au point 3, que la procédure de taxation d'office prévue par le 1° du I de cet article n'est susceptible d'être appliquée qu'aux personnes qui n'ont pas produit la déclaration des éléments nécessaires à leur calcul. Il résulte de l'instruction que si la société Boréalis Chimie n'avait pas mis en œuvre de dispositif agréé de suivi régulier des rejets de substances polluantes résultant de son activité, elle avait adressé dans les délais impartis les déclarations requises par les dispositions du code de l'environnement en faisant application de la méthode indirecte prévue au deuxième alinéa du II de l'article L. 213-10-2 du code de l'environnement. C'est, par suite, à tort que l'agence de l'eau Seine-Normandie a appliqué à la société Boréalis Chimie la procédure de taxation d'office prévue par les dispositions du 1° de l'article L. 213-11-6 du code de l'environnement.
10. Toutefois, l'administration, qui est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, pour justifier le bien-fondé d'une imposition, de substituer une base légale à celle qui a été primitivement invoquée par elle dès lors que cette substitution peut être faite sans méconnaître les règles de la procédure d'imposition, fait valoir devant le Conseil d'Etat, dans l'hypothèse d'un règlement au fond après cassation, que les redevances litigieuses peuvent être maintenues sur le fondement de la méthode indirecte prévue au deuxième alinéa du II de l'article L. 213-10-2 à partir des informations qui ont été communiquées par la société, conformément à l'article R. 213-48-7 du code de l'environnement. Il y a lieu de faire droit à cette demande de substitution de base légale, qui ne prive la contribuable d'aucune garantie de procédure.
11. Il s'ensuit que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prononcé la décharge des impositions litigieuses au motif qu'elles ont été établies à l'issue d'une procédure de redressement irrégulière. Du fait de la substitution de base légale, les moyens relatifs aux impositions litigieuses soulevés par la société Boréalis Chimie devant le tribunal administratif ne peuvent qu'être écartés comme inopérants.
12. Il résulte de ce qui précède que l'agence de l'eau Seine-Normandie est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prononcé la restitution à la société Boréalis Chimie de la redevance pour pollution d'origine non domestique au titre des années 2011 et 2012.
Sur le pourvoi incident de l'agence de l'eau Seine-Normandie :
13. Aux termes de l'article L. 213-11-7 du code de l'environnement : " En cas de défaut de déclaration, de déclaration tardive des éléments nécessaires à la détermination des redevances, lorsque la déclaration fait apparaître des éléments insuffisants, inexacts ou incomplets, ou en cas de taxation d'office en application des 2° et 3° du I de l'article L. 213-11-6, les redevances mises à la charge du contribuable sont assorties d'intérêts de retard et, le cas échéant, de majorations selon les modalités prévues en matière d'impôt sur le revenu par le code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 1er janvier de l'année au titre de laquelle les redevances sont dues ". Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / a. 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; / b. 40 % lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai; / (...) ".
14. En jugeant que la société Boréalis Chimie n'entrait pas dans le champ de ces dispositions des articles L. 213-11-7 du code de l'environnement et 1728 du code général des impôts et que l'agence de l'eau Seine-Normandie n'avait pu légalement lui appliquer une majoration de 40 % au titre des deux années en cause ni n'était fondée à demander, à titre subsidiaire, la substitution de la majoration de 10 % à celle de 40 %, la cour administrative d'appel de Versailles, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.
15. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi incident de l'agence de l'eau Seine-Normandie doit être rejeté.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 22 septembre 2020 est annulé en tant qu'il a fait droit à l'appel de l'agence de l'eau Seine-Normandie.
Article 2 : Les redevances pour pollution de l'eau d'origine non domestique mises à la charge de la société Boréalis Chimie au titre des années 2011 et 2012 sont remises à sa charge.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 25 septembre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le pourvoi incident de l'agence de l'eau Seine-Normandie est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la société Boréalis Chimie et par l'agence de l'eau Seine-Normandie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Boréalis Chimie et à l'agence de l'eau Seine-Normandie
Délibéré à l'issue de la séance du 6 janvier 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 25 janvier 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain