Vu la procédure suivante :
M. B... A..., l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Saône du 19 février 2015 autorisant la société Parc éolien des Ecoulottes à exploiter sept éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Vars. Par un jugement n° 1501337 du 21 septembre 2017, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 17NC02807 du 22 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par M. A... et autres contre ce jugement.
Par une décision n° 427122 du 3 avril 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel.
Par un arrêt n° 20NC00876 du 26 janvier 2021, la cour administrative d'appel de Nancy a, d'une part, prononcé un sursis à statuer sur la requête présentée par M. A... et autres jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an, courant à compter de la notification dudit arrêt, et imparti à la société requérante ou à l'Etat pour notifier à la cour une autorisation environnementale modificative comprenant une dérogation prévue par le 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, d'autre part, suspendu l'exécution de l'arrêté du préfet de la Haute-Saône du 19 février 2015, devenu autorisation environnementale, jusqu'à l'édiction de l'autorisation environnementale modificative.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 mars et 28 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Parc éolien des Ecoulottes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. A... et autres ;
3°) de mettre à la charge de M. A... et autres la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Parc éolien des Ecoulottes et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. A... et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un arrêté du 19 février 2015, le préfet de la Haute-Saône a délivré à la société Parc éolien des Ecoulottes une autorisation d'exploiter sept éoliennes d'une hauteur de 180 mètres ainsi qu'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Vars. Par un jugement du 21 septembre 2017, le tribunal administratif de Besançon a rejeté la demande de M. A..., de l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et de la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France tendant à l'annulation de cet arrêté portant autorisation d'exploitation. Par un arrêt du 22 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté leur appel contre ce jugement. Par une décision du 3 avril 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 22 novembre 2018 de la cour administrative d'appel de Nancy et renvoyé l'affaire devant elle. Par un arrêt du 26 janvier 2021, la cour administrative d'appel de Nancy a sursis à statuer sur la requête en laissant à la société Par éolien des Ecoulottes et à l'Etat un délai d'un an pour régulariser la demande en informant le public sur les garanties financières du pétitionnaire et en notifiant une autorisation environnementale modificative comprenant une dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement.
2. En premier lieu, le moyen tiré de ce que l'arrêt serait irrégulier en ce qu'il n'analyserait pas avec une précision suffisante les conclusions et moyens des parties n'est pas assorti des éléments permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit, par suite, être rejeté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement dans sa version alors applicable : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ". Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 411-2 du code de l'environnement : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens ".
4. D'une part, les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement mettent en place un régime spécifique de protection des espèces protégées, qui, s'il participe de la protection de la biodiversité et donc de l'environnement, est plus exigeant que les principes généraux consacrés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Par suite, c'est sans contradiction de motifs que la cour administrative d'appel a pu considérer que le projet faisant l'objet de l'autorisation préfectorale nécessitait une dérogation au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement mais n'était pas contraire aux dispositions de l'article L. 511-1 du même code.
5. D'autre part, il résulte des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
6. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
7. En relevant que l'impact du projet sur les espèces protégées de chiroptères était qualifié de moyen en période de migration, en ce qui concernait tant la perte de terrains de chasse que le risque de collision et qu'il était même important pour la Pipistrelle commune, puis en énumérant les mesures d'évitement et de réduction prévues, la cour doit être regardée comme ayant déterminé, comme il lui appartenait de le faire si, après prise en compte de l'effectivité des mesures d'évitement et de réduction, le risque du projet pour les espèces protégées était suffisamment caractérisé. Par suite, la cour a pu, sans entacher son arrêt d'erreur de droit ni d'une inexacte qualification des faits de l'espèce, considérer que le projet nécessitait l'obtention d'une dérogation dans les conditions prévues par l'article L. 411-2 du code de l'environnement.
8. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société Parc éolien des Ecoulottes doit être rejeté, y compris ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Parc éolien des Ecoulottes la somme de 3 000 euros à verser à M. A... et autres, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Parc éolien des Ecoulottes est rejeté.
Article 2 : La société Parc éolien des Ecoulottes versera à M. A... et autres une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Parc éolien des Ecoulottes, à M. A..., premier dénommé, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 février 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.
Rendu le 27 mars 2023.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Laïla Kouas