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10/07/2023 | FRANCE | N°464528

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 10 juillet 2023, 464528


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 30 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés demandent au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire n° CRIM-2022-11/H2 du 28 mars 2022 du garde des sceaux, ministre de la justice, présentant des dispositions résultant de la loi n° 2022-52 du 24 ja

nvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure permettant...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 30 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire n° CRIM-2022-11/H2 du 28 mars 2022 du garde des sceaux, ministre de la justice, présentant des dispositions résultant de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure permettant le recours à des relevés signalétiques contraints et le maintien en détention d'un prévenu en dépit d'une erreur sur sa majorité ou sa minorité ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 62 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code de la justice pénale des mineurs ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 ;

- le décret n° 87-249 du 8 avril 1987 ;

- la décision n° 464528 du 29 novembre 2022 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Syndicat de la magistrature et autres ;

- la décision n° 2022-1034 QPC du 10 février 2023 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Syndicat de la magistrature et autres ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat du Syndicat de la magistrature et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de l'intervention de la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et la sécurité intérieure, le garde des sceaux, ministre de la justice a pris, le 28 mars 2022, une circulaire présentant les dispositions de cette loi permettant le recours à des relevés signalétiques contraints, issues de son article 30, qui a notamment ajouté un quatrième alinéa à l'article 55-1 du code de procédure pénale et inséré les articles L. 413-16 et L. 413-17 dans le code de la justice pénale des mineurs, et le maintien en détention d'un prévenu en dépit d'une erreur sur sa majorité ou sa minorité, issues de son article 25, qui a notamment inséré l'article 397-2-1 dans le code de procédure pénale. Le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette circulaire.

2. La circulaire contestée présente un caractère impératif et est donc susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment si elle fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si l'interprétation du droit positif qu'elle comporte en méconnaît le sens ou la portée ou si elle est prise en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.

Sur la circulaire attaquée en tant qu'elle porte sur l'application des dispositions du quatrième alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale et des articles L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs, dans leur rédaction issue de l'article 30 de la loi du 24 janvier 2022 :

3. Aux termes de l'article 55-1 du code de procédure pénale, relatif à la procédure d'enquête en cas de crimes et délits flagrants, dans sa rédaction issue de la loi du 24 janvier 2022 : " L'officier de police judiciaire peut procéder, ou faire procéder sous son contrôle, sur toute personne susceptible de fournir des renseignements sur les faits en cause ou sur toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre l'infraction, aux opérations de prélèvements externes nécessaires à la réalisation d'examens techniques et scientifiques de comparaison avec les traces et indices prélevés pour les nécessités de l'enquête. / Il procède, ou fait procéder sous son contrôle, aux opérations de relevés signalétiques et notamment de prise d'empreintes digitales, palmaires ou de photographies nécessaires à l'alimentation et à la consultation des fichiers de police selon les règles propres à chacun de ces fichiers. / Le refus, par une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, de se soumettre aux opérations de prélèvement, mentionnées aux premier et deuxième alinéas ordonnées par l'officier de police judiciaire est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. / Sans préjudice de l'application du troisième alinéa, lorsque la prise d'empreintes digitales ou palmaires ou d'une photographie constitue l'unique moyen d'identifier une personne qui est entendue en application des articles 61-1 ou 62-2 pour un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement et qui refuse de justifier de son identité ou qui fournit des éléments d'identité manifestement inexacts, cette opération peut être effectuée sans le consentement de cette personne, sur autorisation écrite du procureur de la République saisi d'une demande motivée par l'officier de police judiciaire. L'officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, un agent de police judiciaire recourt à la contrainte dans la mesure strictement nécessaire et de manière proportionnée. Il tient compte, s'il y a lieu, de la vulnérabilité de la personne. Cette opération fait l'objet d'un procès-verbal, qui mentionne les raisons pour lesquelles elle constitue l'unique moyen d'identifier la personne ainsi que le jour et l'heure auxquels il y est procédé. Le procès-verbal est transmis au procureur de la République, copie en ayant été remise à l'intéressé. "

4. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 413-16 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction issue du même article 30 de la loi du 24 janvier 2022 : " L'officier ou l'agent de police judiciaire qui envisage de procéder ou de faire procéder, en application du deuxième alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale, à une opération de prise d'empreintes digitales ou palmaires ou de photographies d'un mineur entendu en application des articles L. 412-1 et L. 413-6 du présent code doit s'efforcer d'obtenir le consentement de ce mineur. / Il informe le mineur, en présence de son avocat, des peines prévues au troisième alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale s'il refuse de se soumettre à cette opération. / Lorsque les conditions prévues à l'article L. 413-17 du présent code sont réunies, il l'informe également, en présence de son avocat, de la possibilité de procéder à cette opération sans son consentement, en application du même article L. 413-17. " Aux termes de l'article L. 413-17 du même code, issu du même article 30 de la loi du 24 janvier 2022 : " L'opération de prise d'empreintes digitales ou palmaires ou de photographies peut être effectuée sans le consentement du mineur, sur autorisation écrite du procureur de la République saisi par une demande motivée de l'officier de police judiciaire, lorsque les conditions ci-après sont réunies : / 1° Cette opération constitue l'unique moyen d'identifier le mineur qui refuse de justifier de son identité ou qui fournit des éléments d'identité manifestement inexacts ; / 2° Le mineur apparaît manifestement âgé d'au moins treize ans ; / 3° L'infraction dont il est soupçonné constitue un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement. / L'officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, un agent de police judiciaire recourt à la contrainte de manière strictement nécessaire et proportionnée, compte tenu de la situation particulière du mineur. / L'avocat du mineur ainsi que, sauf impossibilité, ses représentants légaux ou, à défaut, l'adulte approprié mentionné à l'article L. 311-1 sont préalablement informés de cette opération. / Cette opération fait l'objet d'un procès-verbal, qui mentionne les raisons pour lesquelles elle constitue l'unique moyen d'identifier la personne ainsi que le jour et l'heure auxquels il y est procédé. / Le procès-verbal est transmis au procureur de la République, copie en ayant été remise à l'intéressé ainsi qu'aux représentants légaux ou à l'adulte approprié. "

5. Par sa décision n° 2022-1034 QPC du 10 février 2023, le Conseil constitutionnel a, d'une part, déclaré les mots " 61-1 ou " figurant au quatrième alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale contraires à la Constitution, dans la mesure où ils permettent de recourir à des opérations de prise d'empreinte digitales ou palmaires ou de photographies à l'égard d'une personne entendue dans le cadre du régime de l'audition libre, alors que le respect des droits de la défense exige que la personne intéressée soit entendue sans contrainte et en droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue. D'autre part, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution le reste des dispositions du quatrième alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale, ainsi que les articles L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs, sous la réserve que les opérations de prise d'empreintes digitales ou palmaires ou de photographies sans le consentement de la personne, qu'elle soit mineure ou majeure, ne sauraient être effectuées hors la présence de son avocat, des représentants légaux ou de l'adulte approprié et, s'agissant de l'article L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs, que ces dispositions ne sauraient être interprétées comme s'appliquant aux mineurs entendus sous le régime de l'audition libre. Par ailleurs, après avoir rappelé qu'en principe une déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et que la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de sa décision, le Conseil constitutionnel a estimé qu'en l'espèce aucun motif ne justifiait de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité portant sur les mots " 61-1 ou " figurant au quatrième alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale et que celle-ci devait donc intervenir à la date de publication de la décision. Toutefois, il a précisé que les mesures prises avant la publication de sa décision ne pouvaient être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

6. En premier lieu, les dispositions de la partie A du I de la circulaire attaquée ont pour objet d'exposer les conditions de fond permettant la mise en œuvre d'un relevé signalétique sans consentement, que la personne soit majeure ou mineure, en application, respectivement, des dispositions du quatrième alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale et de l'article L. 413-17 du code de la justice pénale des mineures, et de rappeler les garanties dont doivent être entourées ces opérations. Ainsi, son paragraphe 1, relatif aux critères cumulatifs communs aux majeurs et aux mineurs permettant de recourir à la mise en œuvre d'un relevé signalétique sans consentement, précise notamment qu'il peut y être recouru " à l'égard d'une personne entendue : - qui est entendue sous le régime de l'audition libre ou de la garde à vue pour un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois ans si elle est majeure et cinq ans si elle est mineure ; (...) ". Par ailleurs, s'agissant des mineurs, son paragraphe 2 rappelle que : " l'avocat du mineur ainsi que, sauf impossibilité qu'il conviendrait alors de faire acter en procédure, ses représentants légaux ou, à défaut, l'adulte approprié mentionné à l'article L. 311-1 du CJPM, doivent être informés de l'opération de prise d'empreintes digitales, palmaires ou de photographies sans consentement, avant la réalisation de celle-ci ".

7. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 5, par sa décision du 10 février 2023 précitée, le Conseil constitutionnel a, sous la réserve énoncée au paragraphe 23 de sa décision, déclaré les dispositions du quatrième alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale conformes à la Constitution, à l'exception des mots " 61-1 ou ", qui font référence aux dispositions de l'article 61-1 du code de procédure pénale, relatives au champ d'application et aux modalités de l'audition libre des personnes à l'égard desquelles il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction, sans préjudice des garanties spécifiques applicables aux mineurs. Ces mots, jugés contraires à la Constitution, ont été abrogés par la décision du Conseil constitutionnel à compter de sa date de publication. Il suit de là que les dispositions du paragraphe 1 de la partie A du I de la circulaire attaquée comportant les mots " de l'audition libre ou " qui se rapportent, en tant qu'ils concernent les personnes majeures, aux dispositions jugées contraires à la Constitution, doivent être réputés caduques. Par voie de conséquence, les conclusions de la requête dirigées contre ces dispositions doivent être regardées comme ayant perdu leur objet.

8. D'autre part, par sa décision du 10 février 2023 précitée, le Conseil constitutionnel a pour le reste déclaré conformes à la Constitution le reliquat des dispositions du quatrième alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale ainsi que les articles L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs sous les réserves rappelées au point 5, qui sont revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée et qui lient tant les autorités administratives que le juge pour l'application et l'interprétation des dispositions en cause. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la circulaire attaquée serait privée de base légale à raison de l'inconstitutionnalité de ces dispositions.

9. En second lieu, les dispositions du quatrième alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale et des articles L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale poursuivent l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions pénales. Par ailleurs, la possibilité de recourir à des opérations de prise d'empreintes digitales ou palmaires ou de photographies sans le consentement de la personne concernée qu'elles prévoient ne peuvent intervenir que sur autorisation du procureur de la République, à la demande de l'officier de police judiciaire compétent, lorsque cette opération constitue l'unique moyen d'identifier la personne alors que cette dernière est entendue sous le régime de la garde à vue pour un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement si elle est majeure ou d'au moins cinq ans d'emprisonnement si elle est mineure. Ces opérations ne peuvent également être mises en œuvre que dans la mesure strictement nécessaire et de manière proportionnée, en tenant compte, le cas échéant, de la vulnérabilité de la personne concernée, notamment de son état de minorité, et, eu égard à la réserve dont le Conseil constitutionnel a assorti sa décision du 10 février 2023 précitée, en présence de son avocat, ou s'agissant d'une personne mineure, des représentants légaux ou d'un adulte approprié mentionné à l'article L. 311-1 du code de la justice pénale des mineurs. En outre, s'agissant des personnes mineures, l'article L. 413-16 du code de la justice pénale des mineurs prévoit qu'elles doivent préalablement être informées, en présence de leur avocat, des peines encourues en cas de refus de se soumettre à ces opérations ainsi que de la possibilité d'y procéder sans leur consentement. Enfin, si les empreintes relevées sont susceptibles d'être enregistrées au fichier automatisé des empreintes digitales en vertu des dispositions du décret du 8 avril 1987 relatif à ce fichier ou que les photographies réalisées sont susceptibles d'être enregistrées dans le système de traitement des antécédents judiciaires en vertu des articles R. 40-23 à R. 40-34 du code de procédure pénale, les dispositions litigieuses n'ont ni pour objet, ni pour effet, de modifier les conditions d'inscription puis de conservation des données inscrites dans ces dispositifs de traitement de données. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions du quatrième alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale et des articles L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale méconnaitraient, sur ces différents points, le droit au respect de la vie privée garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de l'article 6 de la même convention ainsi que le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant qui consacre la notion d'intérêt supérieur de l'enfant.

Sur la circulaire attaquée en tant qu'elle porte sur l'application des dispositions de l'article 397-2-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de l'article 25 de la loi du 24 janvier 2022 :

10. Aux termes de l'article 397-2-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 24 janvier 2022, relatif aux procédures de convocation par procès-verbal, de comparution immédiate et de comparution différée devant le tribunal correctionnel : " S'il lui apparaît que la personne présentée devant lui est mineure, le tribunal renvoie le dossier au procureur de la République. / S'il s'agit d'un mineur âgé d'au moins treize ans, le tribunal statue au préalable, après avoir entendu les réquisitions du procureur de la République et les observations du mineur et de son avocat, sur son placement ou son maintien en détention provisoire jusqu'à sa comparution soit devant le juge d'instruction spécialisé, soit devant le juge des enfants ou le juge des libertés et de la détention spécialisé, selon les modalités prévues aux articles L. 423-6 ou L. 423-9 du code de la justice pénale des mineurs. La décision est spécialement motivée au regard de la nécessité de garantir le maintien du mineur à la disposition de la justice. La comparution devant le juge compétent doit avoir lieu dans un délai de vingt-quatre heures, à défaut de quoi le mineur est remis en liberté d'office. / Le présent article est également applicable devant le juge des libertés et de la détention statuant en application de l'article 396 du présent code. "

11. En premier lieu, par sa décision n° 2022-1034 QPC du 10 février 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré les deuxième et troisième alinéas de l'article 397-2-1 du code de procédure pénale conformes à la Constitution, sous la réserve qu'afin d'assurer le respect des exigences constitutionnelles résultant du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs tenant notamment à la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, il appartient à la juridiction saisie " de vérifier que, au regard des circonstances, de la situation personnelle du mineur et de la gravité des infractions qui lui sont reprochées, son placement ou son maintien en détention provisoire n'excède pas la rigueur nécessaire ". Cette réserve d'interprétation est revêtue de l'autorité absolue de la chose jugée et lie tant les autorités administratives que le juge pour l'application et l'interprétation des dispositions en cause. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la circulaire attaquée serait privée de base légale à raison de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 397-2-1 du code de procédure pénale.

12. En second lieu, il résulte des dispositions de l'article 397-2-1 du code de procédure pénale ainsi que de la réserve d'interprétation dont le Conseil constitutionnel a assorti sa décision du 10 février 2023, d'une part, qu'elles prévoient l'assistance d'un avocat lorsque la juridiction compétente statue sur le placement ou le maintien en détention provisoire de la personne qui s'est révélée être mineure, d'autre part, que cette juridiction ne saurait légalement prononcer le placement ou le maintien en détention d'un mineur, pour une durée maximale de 24 heures - le non-respect de ce délai entraînant la remise en liberté d'office du mineur -, qu'après avoir vérifié que, au regard des circonstances, de sa situation personnelle et de la gravité des infractions qui lui sont reprochées, ce placement ou ce maintien en détention provisoire n'excède pas la rigueur nécessaire. La décision de la juridiction doit à cet égard être spécialement motivée au regard de la nécessité de garantir le maintien du mineur à la disposition de la justice. Par ailleurs, en vertu de l'article L. 124-1 du code de la justice pénale des mineurs, la détention doit nécessairement être effectuée soit dans un établissement pénitentiaire spécialisé, soit dans un établissement garantissant la séparation entre détenus mineurs et majeurs. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ces dispositions, qui poursuivent un objectif de sauvegarde de l'ordre public, méconnaîtraient les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 et de l'article 37 de la convention relative aux droits de l'enfant, qui imposent, d'une part, d'accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants pour toutes les décisions qui les concernent et qui prévoient, d'autre part, que leur placement en détention ne doit constituer qu'une mesure de dernier ressort, ainsi que du paragraphe 3 de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à la liberté et à la sûreté. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance des stipulations combinées des articles 5 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où les dispositions de l'article 397-2-1 du code de procédure pénale instaureraient une différence de traitement injustifiée entre les mineurs immédiatement renvoyés devant une juridiction pour mineurs et ceux d'abord renvoyés devant une juridiction pour majeurs en raison de l'ignorance de leur état de minorité, qui se trouvent au demeurant dans des situations différentes, ne peut qu'être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des dispositions de la circulaire attaquée autres que celles mentionnées au point 7.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête en ce qu'elles tendent à l'annulation des mots " de l'audition libre ou " figurant au paragraphe 1 de la partie A du I de la circulaire du 28 mars 2022 du garde des sceaux, ministre de la justice, en tant qu'ils se rapportent à la possibilité de mettre en œuvre des opérations de prise d'empreintes digitales ou palmaires ou de photographies sans le consentement d'une personne majeure entendue dans le cadre du régime de l'audition libre, conformément aux dispositions de l'article 61-1 du code de procédure pénale.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Syndicat de la magistrature, premier requérant dénommé, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 juin 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Airelle Niepce, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 10 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Airelle Niepce

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 464528
Date de la décision : 10/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2023, n° 464528
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Airelle Niepce
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:464528.20230710
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