Vu la procédure suivante :
La société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs a demandé à la cour administrative d'appel de Lyon d'annuler l'arrêté du 22 mai 2019 par lequel le préfet de l'Yonne a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur le territoire de la commune de Préhy. Par un arrêt n° 19LY02806 du 30 septembre 2021, la cour administrative d'appel a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de délivrer à la société l'autorisation demandée.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er décembre 2021 et 1er mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition écologique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs, et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association Vents contre Air ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 22 mai 2019, le préfet de l'Yonne a rejeté la demande, présentée le 21 novembre 2016 par la société d'exploitation du parc éolien (SEPE) de la Tête des Boucs, d'autorisation d'exploitation de sept aérogénérateurs d'une hauteur maximale de 149 mètres en bout de pale et de trois postes de livraison sur le territoire de la commune de Préhy. Par un arrêt du 30 septembre 2021 contre lequel la ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de l'Yonne de délivrer à cette société à la demande de la SEPE de la Tête des Boucs, une autorisation unique d'exploitation un parc éolien, si besoin assortie des prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
2. En vertu de l'article L. 181-3 du code de l'environnement, l'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". Il résulte de ces dispositions que les mesures proposées par le pétitionnaire afin d'éviter et de réduire les atteintes portées par le projet aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement doivent présenter des garanties d'effectivité suffisantes.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le refus du préfet de l'Yonne d'accorder à la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs l'autorisation demandée est notamment fondé sur l'absence de mesure à même de prévenir les dangers ou inconvénients du projet sur une population de busards cendrés, dont elle relevait que le site de nidification a été détecté à moins d'une centaine de mètres du site d'implantation de deux des éoliennes projetées. La cour administrative d'appel a cependant jugé que l'impact du projet sur cette espèce ne pouvait être regardé comme contraire aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, en retenant que le pétitionnaire s'était engagé, dans l'étude d'impact produite dans son dossier de demande, à adapter le déroulement des travaux et l'exploitation des aérogénérateurs aux exigences de cette espèce, telles qu'elles ressortiraient des données à recueillir au cours d'une campagne d'étude et de surveillance conduite en collaboration avec une association de protection des oiseaux. En estimant, ce faisant, que les engagements du pétitionnaire de faire réaliser, postérieurement à la mise en service des installations, une campagne d'étude et de surveillance, puis d'en tirer les conséquences, pouvaient constituer des mesures d'évitement et de réduction de nature à limiter l'impact du projet sur le busard cendré et en en déduisant que ce projet ne pouvait être regardé comme portant atteinte à la protection de la nature et de l'environnement au sens de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, alors qu'il ressortait des motifs mêmes de l'arrêt attaqué que ces mesures n'étaient pas arrêtées et n'offraient, par suite, aucune garantie d'effectivité, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit.
4. En second lieu, aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier (...), sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ". Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
5. Pour juger que le préfet avait commis une erreur d'appréciation en refusant à la société pétitionnaire de lui délivrer l'autorisation unique sollicitée sur le fondement des dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, la cour administrative d'appel a estimé que le nombre d'aérogénérateurs existants ou autorisés dans un rayon de vingt kilomètres ne pouvait, à lui seul, créer un phénomène d'encerclement dès lors que la variabilité des distances d'implantation et la multiplicité des points d'observation faisaient obstacle à ce que ces mâts puissent être perçus simultanément et en totalité avec la même profondeur de champ. En statuant ainsi, alors que l'impact visuel du projet sur le paysage environnant pouvait être pris en compte et le projet refusé s'il était susceptible de générer un phénomène de saturation visuelle à partir d'un seul point d'observation pertinent, y compris si toutes les éoliennes existantes ou autorisées ne pouvaient être perçues à partir de ce point d'observation, la cour a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la ministre de la transition écologique est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 30 septembre 2021 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs et à l'association "Vents contre Air".
Délibéré à l'issue de la séance du 6 juillet 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 11 août 2023.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Laïla Kouas