Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 mai, 3 août et 14 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 14 avril 2023 du Président de la République le suspendant de ses fonctions de conseiller référendaire à la Cour des comptes ;
2°) d'enjoindre au premier président de la Cour des comptes de le réintégrer dans ses fonctions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des juridictions financières ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. B... et à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la Cour des comptes ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 novembre 2023, présentée par M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., conseiller référendaire à la Cour des comptes, a fait l'objet d'une suspension, par un décret du Président de la République du 4 mai 2021 pris sur le fondement de l'article L. 124-10 du code des juridictions financières, pour des faits d'exhibition sexuelle qui auraient été commis dans son bureau de la Cour des comptes le 30 mars 2021. Il a été rétabli dans ses fonctions à l'issue d'une période de suspension de quatre mois, en septembre 2021. Puis, à la suite de sa condamnation par le tribunal correctionnel de Paris pour les mêmes faits d'exhibition sexuelle, par un jugement du 6 juillet 2022, à une peine d'emprisonnement de trois mois avec sursis et une amende de 2 000 euros, et dont le requérant a fait appel, le Président de la République a, par un décret du 18 juillet 2022, de nouveau suspendu l'intéressé sur le fondement des mêmes dispositions. M. B... a ensuite été placé en congé de maladie du 25 août au 11 décembre 2022. Par un décret du 19 décembre 2022, le Président de la République l'a, une nouvelle fois, suspendu de ses fonctions, en application des mêmes dispositions. Puis, par un décret du 17 avril 2023, dont M. B... demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir, le Président de la République a décidé de ne pas rétablir l'intéressé dans ses fonctions, ni de l'affecter ou de le détacher provisoirement dans un autre emploi au terme de la mesure de suspension prononcée par le décret du 19 décembre 2022 et a précisé que la mesure de suspension provisoire prise à l'encontre de M. B... était prolongée jusqu'à l'issue de la procédure pénale.
2. Aux termes de l'article L. 124-10 du code des juridictions financières : " Lorsqu'un magistrat de la Cour des comptes, y compris lorsqu'il a été nommé sur un emploi de président de chambre régionale des comptes ou de vice-président de chambre régionale des comptes, commet une faute grave qui rend impossible, eu égard à l'intérêt du service, son maintien en fonctions et si l'urgence le commande, il peut être immédiatement suspendu de ses fonctions par l'autorité investie du pouvoir de nomination. Celle-ci saisit d'office et sans délai le conseil supérieur de la Cour des comptes. / (...) La suspension ne peut être rendue publique ". Aux termes de l'article L. 124-11 du même code : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 124-14, le magistrat suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires ". En vertu de l'article L. 124-12 de ce code, " la situation du magistrat suspendu doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois à compter de sa suspension ". Selon l'article L. 124-13, " si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. / S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judiciaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, l'intéressé est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. Lorsque, sur décision motivée, il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations. L'affectation provisoire ou le détachement provisoire prend fin lorsque la situation de l'intéressé est définitivement réglée par l'administration ou lorsque l'évolution des poursuites pénales rend impossible sa prolongation (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 124-14 du même code : " Le magistrat qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions, affecté provisoirement ou détaché provisoirement dans un autre emploi, peut subir une retenue, fixée par le premier président ou par le procureur général s'il s'agit d'un magistrat délégué dans les fonctions du ministère public, dans la limite de la moitié de sa rémunération totale, supplément familial de traitement compris. Il continue néanmoins à percevoir les prestations familiales obligatoires ".
3. Il résulte des dispositions de l'article L. 124-13 du code des juridictions financières qu'à l'issue d'une période de suspension de quatre mois d'un magistrat faisant l'objet de poursuites pénales, lorsqu'aucune décision n'a été prise par l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, l'autorité administrative peut décider de ne pas le réintégrer dans ses fonctions si l'intérêt du service y fait obstacle. Elle peut alors lui attribuer provisoirement une autre affectation, procéder à son détachement, ou encore prolonger la mesure de suspension en l'assortissant, le cas échéant, d'une retenue sur traitement.
4. En premier lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, les dispositions des articles L. 124-12 et L. 124-13 du code des juridictions financières précitées ne s'opposent pas à ce qu'un magistrat soit suspendu jusqu'à la fin de la procédure pénale, même si la fixation d'un tel terme ne permet pas de déterminer la durée de la mesure de suspension.
5. En second lieu, eu égard à la nature des faits reprochés à l'intéressé et à l'importance qui s'attache, tant pour le bon fonctionnement interne de l'institution que pour l'efficacité de son action à l'égard des organismes qu'elle contrôle et son image auprès du grand public, à ce que la dignité du comportement des magistrats de la Cour des comptes en fonctions, rappelée dans le serment prévu à l'article L. 120-3 du code des juridictions financières, ne soit pas mise en doute, et alors même, d'une part, que la condamnation dont le requérant a fait l'objet ne revêt pas un caractère définitif en raison de l'appel qu'il a introduit et, d'autre part, que le risque de commission d'un manquement de même nature que celui qui lui est reproché en cas de reprise des fonctions n'est pas avéré, l'auteur du décret attaqué a pu, sans méconnaitre les dispositions des articles L. 214-10 et L. 214-13 du code des juridictions financières et sans entacher sa décision d'erreur manifeste d'appréciation, décider la prolongation de la suspension de M. B... de ses fonctions jusqu'au terme de la procédure pénale en cours.
6. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. B... doit être rejetée dans toutes ses conclusions.
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme demandée par la Cour des comptes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la Cour des comptes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la Première ministre et au premier président de la Cour des comptes.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 18 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain