Vu la procédure suivante :
La société BATIMAP a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la commune de Nogent-sur-Seine, à titre principal, à lui verser la somme de 11 305 544,98 euros correspondant au montant de l'indemnité irrévocable exigible aux termes de la convention tripartite qu'elle a conclue avec cette commune et la société Nogent Musée, assortie des intérêts moratoires à compter du 7 décembre 2016 et de leur capitalisation et, à titre subsidiaire, à lui verser la somme de 6 472 989 euros correspondant au montant des sommes versées par cette commune à la société Nogent Musée à titre d'indemnité de résiliation du contrat de partenariat conclu le 8 mars 2012 pour le transfert, la restructuration et l'agrandissement du musée Dubois-Boucher, assortie des intérêts moratoires à compter du 7 décembre 2016 et de leur capitalisation. Par un jugement n° 1701462 du 5 mars 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 19NC01359 du 22 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société BATIMAP contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 février, 22 mai et 15 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société BATIMAP demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Nogent-sur-Seine la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société BATIMAP et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Nogent-sur-Seine ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 décembre 2023, présentée par la société BATIMAP ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Nogent-sur-Seine et la société Nogent Musée ont conclu, le 8 mars 2012, un contrat de partenariat pour le transfert, la restructuration et l'agrandissement du musée Dubois-Boucher. Ce contrat prévoyait la possibilité d'une cession de créances au bénéfice d'un ou plusieurs établissements de crédit. Le financement de l'opération a donné lieu à l'établissement d'un contrat de crédit-bail conclu le 15 juin 2012 entre la société Nogent Musée et la société BATIMAP. Une convention tripartite du même jour conclue entre les deux sociétés précitées et la commune de Nogent-sur-Seine avait notamment pour objet de prévoir les conséquences de la rupture anticipée du contrat de partenariat. Par actes des 31 octobre 2014 et du 13 avril 2015, la société Nogent Musée a cédé à la société BATIMAP les créances qu'elle détenait sur la commune de Nogent-sur-Seine. Cette cession a été notifiée au comptable public et la commune de Nogent-sur-Seine a signé deux actes d'acceptation les 27 novembre 2014 et 23 avril 2015. Par un courrier du 29 novembre 2016, la commune de Nogent-sur-Seine a résilié le contrat de partenariat avec prise d'effet au 7 décembre 2016 et a procédé au règlement à la société Nogent Musée de l'indemnité de résiliation. Par un courrier du 24 mars 2017, elle a rejeté la demande que lui présentait la société BATIMAP tendant au paiement des créances cédées par la société Nogent Musée. La société BATIMAP a alors demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la commune de Nogent-sur-Seine à lui verser, à titre principal, la somme de 11 305 544, 98 euros correspondant à l'indemnité irrévocable et à titre subsidiaire, la somme de 6 472 989 euros correspondant à l'indemnité de résiliation. Par un jugement du 5 mars 2019, le tribunal administratif a rejeté cette demande. Par un arrêt du 22 décembre 2022, contre lequel la société BATIMAP se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par cette société contre ce jugement.
2. En premier lieu, en estimant qu'il résultait de l'article 7 de l'avenant n° 2 au contrat de partenariat signé le 27 novembre 2014, qui stipule que la date effective de mise à disposition s'entend de la date de mise à disposition des bâtiments uniquement pour l'application de l'article III.1 relatif aux mécanismes de paiement, que cet avenant n'avait pas modifié le sous-titre III.2 du contrat de partenariat, qui subordonne l'acceptation de la cession de créances à la mise à disposition des bâtiments et des équipements, la cour a porté sur les stipulations de cet avenant une appréciation souveraine exempte de dénaturation. Les circonstances que le conseil municipal de Nogent-sur-Seine a, par une délibération du 27 octobre 2014, confirmé l'acceptation de la cession des créances et que la commune a versé, à compter du 2 janvier 2015, la somme de 1 236 160,51 euros TTC à la société BATIMAP au titre des loyers irrévocables ne permettent pas de remettre en cause l'interprétation faite par la cour de ces stipulations.
3. En deuxième lieu, la requérante ne peut utilement soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en s'abstenant de rechercher si l'interprétation des stipulations contractuelles qu'elle a retenue était cohérente avec l'économie générale du contrat.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-28 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige : " L'établissement de crédit peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ou nantie de payer entre les mains du signataire du bordereau. A compter de cette notification, dont les formes sont fixées par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 313-35, le débiteur ne se libère valablement qu'auprès de l'établissement de crédit ". Selon l'article L. 313-29 du même code : " Sur la demande du bénéficiaire du bordereau, le débiteur peut s'engager à le payer directement : cet engagement est constaté, à peine de nullité, par un écrit intitulé : " Acte d'acceptation de la cession ou du nantissement d'une créance professionnelle " / Dans ce cas, le débiteur ne peut opposer à l'établissement de crédit ou à la société de financement les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du bordereau, à moins que l'établissement de crédit ou la société de financement, en acquérant ou en recevant la créance, n'ait agi sciemment au détriment du débiteur ". Aux termes de l'article L. 313 29 1 du même code : " Lorsque tout ou partie de la rémunération due en vertu d'un contrat de partenariat ou d'un contrat mentionné au premier alinéa de l'article L. 6148-5 du code de la santé publique au titre des coûts d'investissement, lesquels comprennent notamment les coûts d'étude et de conception, les coûts de construction et ses coûts annexes, les frais financiers intercalaires, et des coûts de financement, est cédé en application des articles L. 313-23 à L. 313-29 du présent code, le contrat peut prévoir que cette cession fait l'objet de l'acceptation prévue à l'article L. 313-29, dans la limite prévue à l'article L. 313-29-2 (...) ". Selon l'article R. 313-17-1 du même code : " Lorsque la créance est cédée ou nantie au titre d'un contrat de partenariat ou d'un contrat mentionné au premier alinéa de l'article L. 6148-5 du code de la santé publique, la notification est faite entre les mains du comptable public assignataire désigné dans les documents contractuels (...) ".
5. Il ressort des termes de l'arrêt attaqué que la société BATIMAP demandait à la cour, à titre très subsidiaire, de condamner la commune à lui verser la somme de 6 472 989 euros perçue par la société Nogent Musée au titre de l'indemnité de résiliation et qui aurait dû, selon elle, lui être versée, en application de l'article L. 313-28 du code monétaire et financier, dès lors qu'elle avait, conformément aux dispositions de l'article R. 313-17-1 du même code, notifié la cession de créances au comptable public assignataire désigné par le contrat de partenariat. Contrairement à ce que soutient la société requérante, la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé et qui a, par une interprétation souveraine exempte de dénaturation, estimé que les stipulations de l'article III.2 du contrat de partenariat subordonnaient le versement par la commune au cessionnaire des loyers et de l'indemnité correspondant à la créance cédée à l'entrée en vigueur de l'acte d'acceptation de la créance, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que cette condition n'étant pas remplie, la société requérante ne pouvait utilement invoquer le bénéfice de sa cession de créances pour obtenir le paiement de l'indemnité de résiliation.
6. En quatrième lieu, les parties à un contrat dont le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d'office, l'absence ou la nullité, peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de leur responsabilité quasi-contractuelle ou quasi-délictuelle.
7. Pour rejeter les conclusions tendant à la condamnation de la commune au paiement de la somme de 11 305 544,98 euros sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle, la cour a estimé, d'une part, qu'il n'était pas établi que les stipulations en cause seraient entachées de nullité et qu'elles n'étaient affectées d'aucune cause de nullité que le juge devrait relever d'office, d'autre part, que le caractère non définitivement acquis des cessions de créances ne résultait pas de fautes, au demeurant non établies, qu'aurait commises la commune. La société BATIMAP n'ayant invoqué, en appel, aucune cause de nullité, la cour, qui a répondu à l'ensemble des moyens soulevés à l'appui de ces conclusions, a, en statuant comme elle l'a fait, suffisamment motivé son arrêt et n'a pas commis d'erreur de droit.
8. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société BATIMAP doit être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société BATIMAP la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Nogent-sur-Seine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société BATIMAP est rejeté.
Article 2 : La société BATIMAP versera à la commune de Nogent-sur-Seine la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société BATIMAP et à la commune de Nogent-sur-Seine.