Vu la procédure suivante :
La Confédération française démocratique du travail Hôtel, Tourisme et Restauration (CFDT - HTR), Mme C... D... et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 mai 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a validé l'accord collectif fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société de l'hôtel Dabicam. Par un jugement n° 2114833/3-3 du 28 septembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 21PA05776 du 9 février 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la CFDT - HTR, Mme D... et M. B... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 avril et 11 juillet 2022 et le 2 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CFDT - HTR, Mme D... et M. B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de la société de l'hôtel Dabicam la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la CFDT - HTR, de Mme D... et de M. B... et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société de l'hôtel Dabicam ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société de l'hôtel Dabicam a conclu, le 12 avril 2021, avec la confédération française de l'encadrement - confédération générale des cadres (CFE-CGC) INOVA, le syndicat Hôtels, cafés, restaurants, collectivités, tourisme - Force ouvrière Prestige et Luxe (HCRCT-FO) et l'Union syndicale confédération générale du travail (CGT) du commerce et des services Paris, organisations syndicales, un accord fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de cette société. Par une décision du 11 mai 2021, le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a validé cet accord. Par un jugement du 28 septembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande d'annulation pour excès de pouvoir de cette décision de validation, formée par Mme D..., M. B..., salariés de la société de l'hôtel Dabicam, et la Confédération française démocratique du travail (CFDT) Hôtel, Tourisme et Restauration. Ces mêmes requérants se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 9 février 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur appel contre ce jugement.
Sur le pourvoi :
2. Aux termes, de première part, de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-24-1 de ce même code : " Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63 ainsi que les modalités de consultation du comité social et économique et de mise en œuvre des licenciements. Cet accord est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants, ou par le conseil d'entreprise dans les conditions prévues à l'article L. 2321-9. L'administration est informée sans délai de l'ouverture d'une négociation en vue de l'accord précité ".
3. Aux termes, de deuxième part, de l'article L. 1233-57-2 du code du travail : " L'autorité administrative valide l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 dès lors qu'elle s'est assurée de : / 1° Sa conformité aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-3 ; / (...) ". Aux termes de l'article D. 1233-14-1 du même code : " Le délai prévu à l'article L. 1233-57-4 [pour la notification à l'employeur de la décision de validation de l'accord collectif] court à compter de la réception par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du dossier complet. / Le dossier est complet lorsqu'il comprend les informations permettant de vérifier le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, les modalités d'information et de consultation du comité social et économique, la pondération et le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements, le calendrier des licenciements, le nombre de suppressions d'emploi et les catégories professionnelles concernées, et les modalités de mise en œuvre des mesures de formation, d'adaptation et de reclassement et, lorsqu'un accord est conclu en application de l'article L. 1233-24-1, les informations relatives à la représentativité des organisations syndicales signataires (...) ".
4. Aux termes, de dernière part, de l'article L. 2121-1 du code du travail : " La représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après les critères cumulatifs suivants : 1° Le respect des valeurs républicaines ; / 2° L'indépendance ; / 3° La transparence financière ; / 4° Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s'apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ; / 5° L'audience établie selon les niveaux de négociation conformément aux articles L. 2122-1, L. 2122-5, L. 2122-6 et L. 2122-9 ; / 6° L'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience ; / 7° Les effectifs d'adhérents et les cotisations ".
5. Il résulte des dispositions citées aux points 2 à 4 qu'il appartient à l'administration, saisie d'une demande de validation d'un accord d'entreprise portant plan de sauvegarde de l'emploi de vérifier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'accord d'entreprise qui lui est soumis a été régulièrement signé pour le compte d'une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives lors du premier tour des dernières élections professionnelles au sein de l'entreprise. A ce titre, il lui incombe de vérifier que le ou les syndicats signataires satisfont aux critères de représentativité énoncés par l'article L. 2121-1 du code du travail, dont celui de transparence financière.
6. Il résulte des termes mêmes de sa décision que, pour écarter le moyen tiré de l'illégalité de la décision de validation attaquée au motif que le syndicat Hôtels, cafés, restaurants, collectivités, tourisme - Force ouvrière Prestige et Luxe (HCRCT-FO) ne répondait plus au critère de transparence financière prévu par les dispositions précitées de l'article L. 2121-1 du code du travail et, par suite, n'avait pas qualité pour signer l'accord du 12 avril 2021, la cour administrative d'appel s'est fondée sur les seules circonstances que, d'une part, les requérants ne produisaient pas de décision judiciaire établissant que ce syndicat ne pouvait plus être regardé comme une organisation syndicale représentative, d'autre part, ils n'avaient pas contesté cette représentativité devant le juge judiciaire. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de vérifier elle-même que ce syndicat satisfaisait à un tel critère, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que l'arrêt du 9 février 2022 de la cour administrative d'appel de Paris doit être annulé.
Sur la requête d'appel :
8. Le délai de trois mois imparti par les dispositions de l'article L. 1235-7-1 du code du travail à la cour administrative d'appel pour statuer étant expiré, il y a lieu pour le Conseil d'Etat, en application des mêmes dispositions, de statuer immédiatement sur l'appel formé par la CFDT-HTR et autres contre le jugement du 28 septembre 2021 du tribunal administratif de Paris.
9. L'article L. 2135-1 du code du travail dispose que les organisations syndicales et professionnelles sont soumises aux obligations comptables définies à l'article L. 123-12 du code de commerce. Le même article prévoit que, lorsque leurs ressources annuelles n'excèdent pas un seuil fixé par décret, les syndicats concernés peuvent " adopter une présentation simplifiée de leurs comptes avec la possibilité de n'enregistrer leurs créances et leurs dettes qu'à la clôture de l'exercice ". L'article L. 2135-5 du même code dispose que " Les syndicats professionnels de salariés (...) mentionnés à l'article L. 2135-1 tenus d'établir des comptes assurent la publicité de leurs comptes dans des conditions déterminées par décret pris après avis de l'Autorité des normes comptables (...) ". Pour l'application de ces dernières dispositions, l'article D. 2135-3 du même code dispose que " Les comptes annuels des syndicats professionnels de salariés (...) mentionnés à l'article L. 2135-1 dont les ressources au sens de l'article D. 2135-9 sont inférieures ou égales à 230 000 euros à la clôture de l'exercice peuvent être établis sous la forme d'un bilan, d'un compte de résultat et d'une annexe simplifié, selon des modalités fixées par règlement de l'Autorité des normes comptables. Ils peuvent n'enregistrer leurs créances et leurs dettes qu'à la clôture de l'exercice. (...) ". L'article D. 2135-8 du code du travail précise que : " Les syndicats professionnels de salariés (...) mentionnés à l'article L. 2135-1 dont les ressources au sens de l'article D. 2135-9 sont inférieures à 230 000 euros à la clôture d'un exercice assurent la publicité de leurs comptes (...) dans un délai de trois mois à compter de leur approbation par l'organe délibérant statutaire soit dans les conditions prévues à l'article D. 2135-7 ", à savoir une publicité sur le site internet de la direction de l'information légale et administrative, " soit par publication sur leur site internet ou, à défaut de site, en direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. (...) Ces comptes annuels sont librement consultables ". Aux termes de l'article D. 2135-9 de ce code : " Le seuil prévu à l'article L. 2135-6 est fixé à 230 000 euros à la clôture d'un exercice (...) ". Le respect de l'obligation de publicité des comptes fixée par ces dernières dispositions doit être regardé, pour les organisations qu'elles concernent, comme une des conditions à remplir pour répondre au critère de transparence financière requis pour établir leur représentativité, sauf à ce qu'elles puissent faire état de l'accomplissement de cette obligation de publicité par des mesures équivalentes.
10. Il ressort des pièces du dossier que le syndicat Hôtels, cafés, restaurants, collectivités, tourisme - Force ouvrière Prestige et Luxe (HCRCT-FO), dont il n'est pas contesté que les ressources étaient inférieures à 230 000 euros à la clôture du dernier exercice ayant précédé la signature de l'accord, et qui, ainsi qu'il lui était loisible de le faire, n'avait pas encore approuvé à la date de la signature de l'accord ses comptes de ce dernier exercice, n'avait pas à cette date publié ses comptes au titre de l'exercice l'ayant précédé. Une publication au titre de ces exercices, au demeurant limitée aux seuls comptes de résultats, n'est intervenue sur le site internet de la direction de l'information légale et administrative que le 25 janvier 2022 et il n'est pas soutenu que le respect de l'obligation de publicité des comptes aurait été assurée dans les délais prescrits par une mesure équivalente à la publication sur le site internet de la direction de l'information légale et administrative. Ainsi, à défaut d'avoir satisfait au respect de l'obligation de publicité de ses comptes, le syndicat HCRCT-FO ne remplissait pas le critère de transparence financière requis par les dispositions de l'article L. 2121-1 du code du travail et ne pouvait, par suite, être légalement reconnu représentatif au sens de ces dispositions.
11. En outre, il ressort des pièces du dossier que le syndicat HCRCT-FO, signataire de l'accord du 12 avril 2021, a obtenu 58,73 % de l'ensemble des suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales lors des dernières élections professionnelles de la société de l'hôtel Dabicam. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 que cet accord ne peut être regardé comme respectant les conditions de représentativité et de majorité requises par les dispositions de l'article L. 1233-24-1 du code du travail citées au point 2, et que l'administration ne pouvait légalement valider, par sa décision du 11 mai 2021, cet accord.
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 11, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs conclusions tendant à l'annulation de la décision du 11 mai 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a validé l'accord collectif fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société de l'hôtel Dabicam.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la société de l'hôtel Dabicam le versement de la somme de 500 euros chacun respectivement à la CFDT - HTR, à Mme D... et à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des requérants qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 9 février 2022 de la cour administrative de Paris est annulé.
Article 2 : Le jugement du 28 septembre 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : La décision du 11 mai 2021 du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France est annulée.
Article 4 : L'Etat et la société de l'hôtel Dabicam verseront chacun la somme de 500 euros respectivement à la CFDT - HTR, à Mme D... et à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées, en cassation et en appel, par la société de l'hôtel Dabicam au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la Confédération française démocratique du travail Hôtel, Tourisme et Restauration, à Mme C... D..., à M. A... B..., à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la société de l'hôtel Dabicam.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 février 2024 où siégeaient : M. Alban de Nervaux, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Camille Belloc, auditrice-rapporteure.
Rendu le 27 mars 2024.
Le président :
Signé : M. Alban de Nervaux
La rapporteure :
Signé : Mme Camille Belloc
Le secrétaire :
Signé : M. Jean-Marie Baune