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18/07/2024 | FRANCE | N°489200

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 18 juillet 2024, 489200


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 novembre et 13 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 12 septembre 2023 accordant son extradition aux autorités américaines ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Vu les autres pièces du dossier ;



Vu :

- la convention européenne de sauvegarde...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 novembre et 13 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 12 septembre 2023 accordant son extradition aux autorités américaines ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique du 23 avril 1996 ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Par le décret du 12 septembre 2023, la Première ministre a accordé aux autorités américaines l'extradition de M. A... B..., de nationalité allemande, aux fins de poursuites fondées sur un mandat d'arrêt délivré le 21 décembre 2017 par le tribunal fédéral du district du sud de New York pour des faits qualifiés de participation à un complot en vue de tuer des ressortissants des Etats-Unis, participation à un complot en vue de fournir un appui matériel et des ressources à des terroristes en relation avec des projets de tuer des citoyens des Etats-Unis et fourniture d'un appui matériel ou des ressources à une organisation terroriste étrangère désignée (Al-Qaïda) ayant pour dessein de tuer des citoyens des Etats-Unis, tout en ajournant la remise de l'intéressé aux autorités américaines.

2. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par la secrétaire générale du Gouvernement, que ce décret a été signé par la Première ministre et contresigné par le garde des sceaux, ministre de la justice. L'ampliation notifiée à M. B... n'avait pas à être revêtue de ces signatures.

3. En deuxième lieu, il résulte des articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne dans ses arrêtés du 6 septembre 2016, Petruhhin (C-182/15) et du 17 décembre 2020, BY (C 398/19), que, lorsqu'un Etat membre dans lequel s'est déplacé un citoyen de l'Union, ressortissant d'un autre Etat membre, se voit adresser une demande d'extradition par un Etat tiers avec lequel le premier Etat membre a conclu un accord d'extradition, cet Etat membre est tenu d'informer l'Etat membre dont ce citoyen a la nationalité non seulement de l'existence d'une demande d'extradition, mais encore de l'ensemble des éléments de droit et de fait communiqués par l'Etat tiers requérant dans le cadre de cette demande d'extradition, ainsi que de tout changement de la situation dans laquelle se trouve le citoyen réclamé, pertinent aux fins de l'éventuelle émission contre lui d'un mandat d'arrêt européen.

4. Il ressort des pièces du dossier que les autorités allemandes ont été informées par courriel de l'existence d'une demande d'extradition vers les Etats-Unis de M. B.... Ce courriel décrivait les faits, commis entre 1999 et 2006, reprochés à M. B.... Il faisait état de ce que l'intéressé avait été placé sous écrou extraditionnel et était par ailleurs incarcéré au titre d'une procédure française. Il invitait les autorités allemandes, " conformément à la jurisprudence développée dans l'arrêt Petruhhin de la Cour de justice de l'Union européenne ", à faire savoir si elles entendaient engager à l'encontre de M. B... des poursuites pour les faits visés dans la demande d'extradition en délivrant un mandat d'arrêt européen, invitation que les autorités allemandes ont déclinée, sans demander d'informations complémentaires. Dès lors que les informations fournies précisaient suffisamment le cadre extraditionnel dans lequel intervenait la demande, son objet et les éléments de droit et de fait communiqués par les autorités américaines pour justifier leur demande, les autorités allemandes doivent être regardées comme ayant été mises à même de réclamer leur ressortissant dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen. Par suite, le moyen tiré de ce que les autorités françaises auraient manqué à leur obligation d'information des autorités allemandes doit être écarté.

5. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que la demande d'extradition formulée par les autorités américaines n'aurait pas été accompagnée des documents prévus par l'article 10 du traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique du 23 avril 1996 n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

6. En quatrième lieu, les dispositions de l'article 696-4 du code de procédure pénale, aux termes desquelles : " L'extradition n'est pas accordée : / (...) 4o Lorsque les crimes ou délits, quoique commis hors du territoire de la République, y ont été poursuivis et jugés définitivement (...) ", qui ont, en vertu de l'article 696 du même code, un caractère supplétif, ne sont pas applicables à la demande d'extradition formulée contre M. B.... Sont applicables, en revanche, les stipulations de l'article 8 du traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique du 23 avril 1996, aux termes desquelles : " L'extradition n'est pas accordée lorsque la personne réclamée a fait l'objet dans l'Etat requis d'un jugement d'acquittement ou de condamnation ayant acquis un caractère définitif, pour l'infraction à raison de laquelle l'extradition est demandée ".

7. Il ressort des pièces du dossier, notamment des extraits de l'arrêt de mise en accusation de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris du 6 mars 2007 cités dans l'arrêt de la chambre de l'instruction du 6 avril 2022, que les faits qui ont justifié la condamnation de M. B... à une peine de dix-huit ans de réclusion par la cour d'assises spéciale de Paris le 5 février 2009 sont limités à la période allant de 2001 à avril 2002 et se rattachent à sa participation à l'attentat à la voiture piégée commis à la sortie de la synagogue de Ghriba à Djerba le 11 avril 2002, tandis que les faits qui lui sont reprochés par les autorités américaines s'étendent de 1999 à 2006 et se rattachent à son implication dans les attentats commis par Al-Qaïda contre les intérêts américains en Afrique en 1999 et 2000 et à New York le 11 septembre 2001. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 du traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique du 23 avril 1996 doit être écarté.

8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". A l'appui de sa requête, M. B... fait valoir que son extradition serait contraire à ces stipulations dans la mesure où elle l'exposerait au risque d'une condamnation, dans l'Etat requérant, à une peine incompressible de réclusion à perpétuité, sans possibilité de réexamen et, le cas échéant, d'élargissement.

9. Aux termes du paragraphe 2 de l'article 16 du traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique du 23 avril 1996 : " L'Etat requis peut ajourner l'extradition à l'encontre d'une personne si des poursuites sont en cours à son encontre ou si elle exécute une peine dans cet Etat. Cet ajournement peut continuer jusqu'à la fin des poursuites contre la personne réclamée et jusqu'à l'exécution définitive de toute peine prononcée ". Le décret attaqué dispose qu'en application de ces stipulations, la remise de M. B... aux autorités américaines sera ajournée jusqu'à ce qu'il soit satisfait à la justice française à raison d'infractions distinctes. Or M. B... a été condamné, le 16 juin 2023, par la cour d'assises spéciale de Paris, à une peine de vingt ans de réclusion pour des faits, qualifiés de tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste, commis au cours de sa détention en France pour exécuter la peine de réclusion à laquelle il avait été condamné en 2009. Ainsi, en vertu même du décret attaqué, M. B... est insusceptible d'être remis aux autorités américaines pour être jugé à raison des faits retracés dans le mandat d'arrêt délivré par le tribunal fédéral du district du sud de New York avant l'exécution définitive de cette peine de réclusion, soit avant un délai particulièrement long. Dès lors, il ne peut être regardé comme étant exposé, par l'effet et à la date du décret attaqué, à un risque réel d'imposition d'une peine incompressible de réclusion à perpétuité, sans possibilité de réexamen et, le cas échéant, d'élargissement. Par suite, et alors que l'intéressé pourra, le cas échéant, d'une part demander l'abrogation du décret attaqué et, en cas de refus, saisir le Conseil d'Etat par la voie du recours pour excès de pouvoir, d'autre part présenter un recours contre une éventuelle décision de remise à l'Etat requérant, le moyen tiré de ce que ce décret violerait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, en l'état, être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 juillet 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 18 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Christophe Pourreau

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 489200
Date de la décision : 18/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DÉCRET D’EXTRADITION NE PERMETTANT LA REMISE À L’ETAT REQUÉRANT QU’À L’ISSUE D’UN DÉLAI PARTICULIÈREMENT LONG – MOYEN DIRIGÉ CONTRE CE DÉCRET - TIRÉ DE CE QUE L’INTÉRESSÉ SERAIT SOUMIS - DANS CET ETAT - À UN RISQUE DE TELS TRAITEMENTS – MOYEN DEVANT - EN L’ÉTAT - ÊTRE ÉCARTÉ.

26-055-01-03 Recours pour excès de pouvoir (REP) dirigé contre un décret adopté en 2023 accordant une extradition aux autorités américaines mais précisant que la remise de l’intéressé sera ajournée jusqu’à ce qu’il soit satisfait à la justice française à raison d’infractions distinctes. Requérant faisant valoir que son extradition serait contraire à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (conv. EDH) dans la mesure où elle l’exposerait au risque qu’il soit exposé, dans l’Etat requérant, à une peine incompressible de réclusion à perpétuité, sans possibilité de réexamen et, le cas échéant, d’élargissement. Requérant ayant été condamné par la France, en 2023, à une peine de vingt ans de réclusion. ...En vertu même du décret attaqué, le requérant est insusceptible d’être remis aux autorités américaines et d’être jugé à raison des faits retracés dans le mandat d’arrêt délivré par les autorités américaines avant l’exécution définitive de cette peine de réclusion, soit avant un délai particulièrement long. Dès lors, il ne peut être regardé comme étant exposé, par l’effet et à la date du décret attaqué, à un risque réel d’imposition d’une peine incompressible de réclusion à perpétuité, sans possibilité de réexamen et, le cas échéant, d’élargissement. ...Par suite, et alors que l’intéressé pourra, le cas échéant, d’une part demander l’abrogation du décret attaqué et, en cas de refus, saisir le Conseil d’Etat par la voie du REP, d’autre part présenter un recours contre une éventuelle décision de remise à l’Etat requérant, le moyen tiré de ce que ce décret violerait l’article 3 de la convention EDH doit, en l’état, être écarté.

ÉTRANGERS - EXTRADITION - DÉCRET D'EXTRADITION - LÉGALITÉ INTERNE - DÉCRET NE PERMETTANT LA REMISE À L’ETAT REQUÉRANT QU’À L’ISSUE D’UN DÉLAI PARTICULIÈREMENT LONG – MOYEN DIRIGÉ CONTRE CE DÉCRET - TIRÉ DE CE QUE L’INTÉRESSÉ SERAIT SOUMIS - DANS CET ETAT - À UN RISQUE DE TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS (ART - 3 DE LA CONV - EDH) – MOYEN DEVANT - EN L’ÉTAT - ÊTRE ÉCARTÉ.

335-04-03-02 Recours pour excès de pouvoir (REP) dirigé contre un décret adopté en 2023 accordant une extradition aux autorités américaines mais précisant que la remise de l’intéressé sera ajournée jusqu’à ce qu’il soit satisfait à la justice française à raison d’infractions distinctes. Requérant faisant valoir que son extradition serait contraire à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (conv. EDH) dans la mesure où elle l’exposerait au risque qu’il soit exposé, dans l’Etat requérant, à une peine incompressible de réclusion à perpétuité, sans possibilité de réexamen et, le cas échéant, d’élargissement. Requérant ayant été condamné par la France, en 2023, à une peine de vingt ans de réclusion. ...En vertu même du décret attaqué, le requérant est insusceptible d’être remis aux autorités américaines et d’être jugé à raison des faits retracés dans le mandat d’arrêt délivré par les autorités américaines avant l’exécution définitive de cette peine de réclusion, soit avant un délai particulièrement long. Dès lors, il ne peut être regardé comme étant exposé, par l’effet et à la date du décret attaqué, à un risque réel d’imposition d’une peine incompressible de réclusion à perpétuité, sans possibilité de réexamen et, le cas échéant, d’élargissement. ...Par suite, et alors que l’intéressé pourra, le cas échéant, d’une part demander l’abrogation du décret attaqué et, en cas de refus, saisir le Conseil d’Etat par la voie du REP, d’autre part présenter un recours contre une éventuelle décision de remise à l’Etat requérant, le moyen tiré de ce que ce décret violerait l’article 3 de la convention EDH doit, en l’état, être écarté.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2024, n° 489200
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Christophe Pourreau
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 25/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:489200.20240718
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