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18/07/2024 | FRANCE | N°492938

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 18 juillet 2024, 492938


Vu la procédure suivante :



L'association Narendre Hassontsi Na Ya Maecha Na Amani, dite NAYMA, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, à titre principal, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 551-13 du même code, d'annuler la procédure d'attribution du marché de la collecte des déchets dans les quartiers inaccessibles à la collecte traditionnelle sur le territoire de la communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou (CADEMA).

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Vu la procédure suivante :

L'association Narendre Hassontsi Na Ya Maecha Na Amani, dite NAYMA, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, à titre principal, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 551-13 du même code, d'annuler la procédure d'attribution du marché de la collecte des déchets dans les quartiers inaccessibles à la collecte traditionnelle sur le territoire de la communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou (CADEMA).

Par une ordonnance nos 2304727, 2304728, 2304729, 2304730 du 12 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a rejeté ces demandes.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mars, 11 avril et 1er juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association NAYMA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de l'association Narendre Hassontsi Na Ya Maecha Na Amani dite NAYMA, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou et à Me Bardoul, avocat de la société La Mahoraise des travaux publics et de la société La Mahoraise de l'environnement ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 11 août 2023, la communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou (CADEMA) a lancé une consultation en vue de la passation d'un marché de collecte de déchets dans les " quartiers inaccessibles " sur le territoire communautaire divisé en quatre lots. L'association NAYMA a déposé des offres pour chacun des lots, qui ont été rejetées comme irrégulières par des courriers notifiés le 21 décembre 2023. Par quatre requêtes enregistrées le 28 décembre 2023, l'association NAYMA a demandé au juge des référés, à titre principal, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 551-13 du même code, l'annulation de la procédure de passation de ces marchés publics pour chacun des quatre lots. Les marchés ont été signés le 2 janvier 2024. Par une ordonnance du 12 février 2024, contre laquelle l'association NAYMA se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a rejeté ces demandes.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation (...) / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Selon l'article R. 551-1 de ce code : " Le représentant de l'Etat ou l'auteur du recours est tenu de notifier son recours au pouvoir adjudicateur. / Cette notification est réputée accomplie à la date de sa réception par le pouvoir adjudicateur ". Aux termes l'article L. 551-4 du même code : " Le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle ". Selon l'article L. 551-13 du même code : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section ". Aux termes de l'article L. 551-14 du même code : " Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local ". Selon l'article L. 551-18 du même code : " (...) Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat ". Enfin, aux termes de l'article L. 551-20 du même code : " Dans le cas où le contrat a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière ".

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Selon l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la CADEMA a rejeté les quatre offres de l'association NAYMA comme irrégulières au motif que celle-ci avait, en méconnaissance de l'article 1.4 du règlement de la consultation, présenté une offre sur plus de deux des quatre lots qui composaient le marché. Si l'article II.1.6 de l'avis d'appel public à la concurrence indiquait, contrairement au règlement de consultation, qu'il était possible de soumettre des offres sur tous les lots, cette contradiction entre les documents du marché était aisément décelable par les candidats qui ne pouvaient se méprendre de bonne foi sur les exigences du pouvoir adjudicateur telles qu'elles étaient formulées dans le règlement de la consultation, auquel ils devaient se conformer. Par conséquent, en jugeant que, faute d'avoir interrogé le pouvoir adjudicateur pour lever cette ambigüité, l'association NAYMA ne pouvait soutenir que celui-ci avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en écartant ses offres comme irrégulières, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte n'a pas commis d'erreur de droit. Par suite, il n'a pas davantage commis d'erreur de droit, ni insuffisamment motivé son ordonnance, ni dénaturé les écritures de la requérante en retenant que celle-ci ne démontrait pas que les obligations de publicité et de mise en concurrence avaient été méconnues d'une manière affectant ses chances d'obtenir le contrat au sens de l'article L. 551-18 du code de justice administrative.

5. En second lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 que le pouvoir adjudicateur, lorsqu'est introduit un recours en référé précontractuel dirigé contre la procédure de passation d'un contrat, doit suspendre la signature de ce contrat à compter, soit de la communication du recours par le greffe du tribunal administratif, soit de sa notification par le représentant de l'Etat ou l'auteur du recours agissant conformément aux dispositions de l'article R. 551-1 du code de justice administrative. S'agissant d'un recours envoyé au service compétent du pouvoir adjudicateur par des moyens de communication permettant d'assurer la transmission d'un document en temps réel, la circonstance que la notification ait été faite en dehors des horaires d'ouverture de ce service est dépourvue d'incidence, le délai de suspension courant à compter non de la prise de connaissance effective du recours par le pouvoir adjudicateur, mais de la réception de la notification qui lui a été faite. En vertu des dispositions de l'article L. 551-14 du même code, la méconnaissance par le pouvoir adjudicateur de l'obligation de suspendre la signature du contrat ouvre la voie du recours en référé contractuel au demandeur qui avait fait usage du référé précontractuel. En outre, en vertu des dispositions de l'article L. 551-20 du même code, qui doivent être lues à la lumière de celles de l'article 2 sexies de la directive du Conseil du 21 décembre 1989 dont elles assurent la transposition, en cas de conclusion du contrat avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre, ou, comme en l'espèce, pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 du même code, le juge du référé contractuel est tenu soit de priver d'effets le contrat en l'annulant ou en le résiliant, soit de prononcer une sanction de substitution consistant en une pénalité financière ou une réduction de la durée du contrat. Enfin, le rejet des conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-18 du code de justice administrative ne fait pas obstacle à ce que soit prononcée, même d'office, une sanction sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-20 du même code, si le contrat litigieux a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 du code de justice administrative.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte que les contrats en litige ont été signés le 2 janvier 2024, postérieurement à la réception par les services de la CADEMA du courrier de l'avocat de l'association requérante lui notifiant son référé précontractuel. Les marchés ont ainsi été signés par la collectivité en méconnaissance de l'obligation prévue à l'article L. 551-4 du code de justice administrative. Par suite, alors même qu'il avait rejeté les conclusions de la requérante présentées sur le fondement de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, le juge du référé contractuel du tribunal administratif était tenu de prononcer l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20 du même code. En s'abstenant de prononcer l'une d'entre elles, il a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que l'association requérante est seulement fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant que le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a omis de prononcer l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20 du code de justice administrative.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au titre de la procédure de référé engagée en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. Pour déterminer la sanction à prononcer en application des dispositions de l'article L. 551-20 du code de justice administrative, il incombe au juge du référé contractuel qui constate que le contrat a été signé prématurément, en méconnaissance des obligations de délai rappelées à l'article L. 551-20 du code de justice administrative, d'apprécier l'ensemble des circonstances de l'espèce, en prenant notamment en compte la gravité du manquement commis, son caractère plus ou moins délibéré, la plus ou moins grande capacité du pouvoir adjudicateur à connaître et à mettre en œuvre ses obligations ainsi que la nature et les caractéristiques du contrat.

10. Il résulte de l'instruction que l'association NAYMA a adressé un courrier reçu le 29 décembre 2023 par la CADEMA informant cette dernière de son référé précontractuel et rappelant expressément l'obligation prévue à l'article L. 551-4 du code de justice administrative. Dès lors, cette collectivité a signé les contrats litigieux le 2 janvier 2024 alors qu'elle était informée de l'existence d'un référé précontractuel. Il y a lieu, dans ces conditions, de lui infliger une pénalité financière d'un montant de 20 000 euros en application des dispositions de l'article L. 551-20 du code de justice administrative.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou la somme de 3 000 euros à verser à l'association NAYMA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'association NAYMA qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 12 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte est annulée en tant qu'elle ne prononce pas l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20 du code de justice administrative.

Article 2 : Une pénalité de 20 000 euros, qui sera versée au Trésor public, est infligée à la communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou en application des dispositions de l'article L. 551-20 du code de justice administrative.

Article 3 : La communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou versera à l'association NAYMA une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de l'association NAYMA est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou et par les sociétés La Mahoraise des travaux publics et La Mahoraise de l'environnement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'association Narendre Hassontsi Na Ya Maecha Na Amani, à la communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou, à la société La Mahoraise des travaux publics et à la société La Mahoraise de l'environnement.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 492938
Date de la décision : 18/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2024, n° 492938
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : BARDOUL ; SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH ; SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492938.20240718
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