La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/09/2024 | FRANCE | N°460057

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 09 septembre 2024, 460057


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 2 janvier 2022 et le 4 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le Premier ministre et le garde des sceaux, ministre de la justice ont rejeté son recours gracieux tendant à l'annulation de deux arrêtés conjoints du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre chargé du budget, du 7 septembre 2021, portant respectivement modifica

tion des articles A. 43-6 et A. 43-6-1 du code de procédure pénale.



...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 2 janvier 2022 et le 4 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le Premier ministre et le garde des sceaux, ministre de la justice ont rejeté son recours gracieux tendant à l'annulation de deux arrêtés conjoints du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre chargé du budget, du 7 septembre 2021, portant respectivement modification des articles A. 43-6 et A. 43-6-1 du code de procédure pénale.

Il soutient qu'en faisant bénéficier les médecins experts psychiatres exerçant dans le cadre d'un régime de travailleurs non-salariés d'une revalorisation de leurs honoraires et de la possibilité de bénéficier d'une rémunération sur devis dans la limite d'un plafond de 750 euros hors taxe, mais en excluant de cette revalorisation et de cette possibilité les médecins experts psychiatres qui réalisent ces expertises en tant que collaborateurs occasionnels du service public, les arrêtés attaqués créent une rupture d'égalité entre ces deux catégories d'experts.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 2014-841 du 24 juillet 2014 ;

- le décret n° 2017-248 du 27 février 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., psychiatre des hôpitaux, praticien hospitalier et expert près la cour d'appel de Paris demande au Conseil d'Etat d'annuler les décisions implicites par lesquelles le Premier ministre, d'une part, le garde des sceaux, ministre de la justice, d'autre part, ont rejeté ses demandes tendant à l'annulation de deux arrêtés conjoints du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre chargé du budget, en date du 7 septembre 2021, portant respectivement modification des articles A. 43-6 et A. 43-6-1 du code de procédure pénale.

2. D'une part, en vertu du 21° de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, sont obligatoirement affiliés aux assurances sociales du régime général " les personnes qui contribuent à l'exécution d'une mission de service public à caractère administratif pour le compte d'une personne publique ou privée lorsque cette activité revêt un caractère occasionnel, à l'exception des experts requis, commis ou désignés par les juridictions de l'ordre judiciaire ou par les personnes agissant sous leur contrôle afin d'accomplir une mission d'expertise indépendante et qui sont affiliées à un régime de travailleurs non-salariés ". Le 3° de l'article D. 311-1 du même code prévoit que contribuent de façon occasionnelle à l'exécution d'une mission de service public à caractère administratif au sens du 21° de l'article L. 311-3 " les médecins et psychologues exerçant des activités d'expertise médicales, psychiatriques, psychologiques ou des examens médicaux, rémunérés par l'Etat en application des dispositions de l'article R. 91 du code de procédure pénale ou par les parties au procès en application des dispositions des articles 264 et 695 du code de procédure civile et qui ne sont pas affiliés à un régime de travailleurs non-salariés ". D'autre part, aux termes de l'article R. 117 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue du décret du 27 février 2017 relatif aux modalités de fixation des tarifs des actes prescrits dans le domaine de la médecine légale, de la psychologie légale, de la toxicologie, de la biologie et de la radiologie et relevant des frais de justice : " Chaque médecin régulièrement requis ou commis perçoit une rémunération ou des honoraires calculés par référence aux tarifs conventionnels d'honoraires fixés sur le fondement de l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale, en appliquant aux valeurs des lettres clés de la sécurité sociale des coefficients déterminés par arrêté du ministre chargé de la justice et du ministre chargé du budget. / Cet arrêté distingue les lettres clés et les coefficients applicables selon la nature et l'étendue des actes prescrits. Il peut tenir compte, le cas échéant, de l'obligation prévue à l'article L. 311-2 du code sécurité sociale qui s'impose pour les personnes mentionnées au 3° de l'article D. 311-1 du code de la sécurité sociale. Il peut prévoir une ou plusieurs indemnités complémentaires selon le lieu, le jour ou l'heure de réalisation de la mission. / Cet arrêté détermine les conditions dans lesquelles, à titre exceptionnel et par une décision motivée de l'autorité requérante, certains experts, en raison de la complexité, de l'ampleur ou de la durée de la procédure pour laquelle ils sont commis ou requis, peuvent être rémunérés, dans la limite d'un plafond, sur présentation d'un devis ". L'article R. 120-2 du même code prévoit des dispositions analogues pour les experts psychologues.

3. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

Sur l'arrêté du 7 septembre 2021 portant modification de l'article A. 43-6 du code de procédure pénale :

4. Aux termes de l'article A. 43-6 du code de procédure pénale : " Conformément aux dispositions des articles R. 117, R. 120 et R. 120-2, la rémunération ou les honoraires versés aux médecins, experts psychologues ou radiologues régulièrement requis ou commis est déterminée, pour les prestations mentionnées, par application aux lettres clés de la sécurité sociale des coefficients figurant aux tableaux annexés au présent article. / S'agissant d'un examen radiologique d'une personne vivante, les cotations fixées dans la deuxième partie de la classification commune des actes médicaux sont appliquées. / II.- Les tableaux annexés à l'article A. 43-6 dans sa rédaction résultant du I du présent article, mentionnés au premier alinéa du même article A. 43-6, sont ceux qui figurent en annexe du présent arrêté ". Le premier des deux arrêtés attaqués du 7 septembre 2021 a remplacé, aux b) des 1° et 2° du tableau II relatif aux tarifs applicables aux actes de psychiatrie légale, les coefficients 11 et 11,5 applicables aux expertises psychiatriques comportant un ou plusieurs examens réalisés par des médecins affiliés à un régime de travailleurs non-salariés par les coefficients 13 et 13,5.

5. Il ressort des pièces du dossier que la modification de ces coefficients a pour objet d'augmenter la rémunération brute des expertises réalisées par les médecins psychiatres libéraux pour tenir compte des cotisations sociales, correspondant à un taux de 37,5 %, que les intéressés doivent eux-mêmes déduire du montant perçu pour les verser aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), afin de porter la rémunération de ces experts psychiatres à un niveau équivalent à celui dont bénéficient les experts psychiatres mentionnés au 3° de l'article D. 311-1 du code de la sécurité sociale et résultant de l'application des coefficients prévus par les a) des 1° et 2° du même tableau, qui assurent aux intéressés une rémunération nette de toutes charges sociales, ces dernières étant prises en charge par les juridictions judiciaires qui leur confient des missions d'expertise. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté qu'il attaque méconnaît le principe d'égalité.

Sur l'arrêté du 7 septembre 2021 portant modification de l'article A. 43-6-1 du code de procédure pénale :

6. Aux termes de l'article A. 43-6-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l'article 2 du second arrêté attaqué du 7 septembre 2021 : " Les médecins experts psychiatres et les experts psychologues affiliés à un régime de travailleurs non-salariés peuvent, par décision spécialement motivée de l'autorité requérante, être rémunérés sur présentation d'un devis, dans la limite d'un plafond de 750 euros hors taxe, lorsqu'ils sont commis ou requis pour réaliser une expertise répondant à l'un des critères suivants : / -mission d'expertise comportant des questions inhabituelles nécessitant des recherches spécifiques ; / -mission d'expertise ordonnée dans une procédure complexe ou s'inscrivant dans un contexte particulier ". Il résulte de ces dispositions que les experts psychiatres et psychologues affiliés à un régime de travailleurs non-salariés peuvent bénéficier, lorsqu'ils réalisent une mission d'expertise, d'une rémunération sur présentation d'un devis, à la différence des experts mentionnés au 3° de l'article D. 311-1 du code de la sécurité sociale, non affiliés à un régime de travailleurs non-salariés.

7. Le garde des sceaux, ministre de la justice ne saurait utilement justifier cette différence de traitement en invoquant la possibilité dont disposent les praticiens hospitaliers, dans les limites et sous les conditions prévues par les dispositions du code de la santé publique qui leur sont applicables, de réaliser des expertises dans le cadre d'une activité libérale donnant lieu à affiliation au régime des professions libérales, dès lors que ces dispositions, qui du reste ne s'appliquent pas aux médecins salariés des établissements privés de santé, ne font pas obstacle à ce que les praticiens hospitaliers réalisent des expertises en étant affiliés au régime général sur le fondement du 3° de l'article D. 311 1 du code de la sécurité sociale.

8. Contrairement à ce que soutient également le ministre, il n'est pas établi que la complexité des expertises litigieuses exclurait par principe qu'elles puissent être confiées, compte tenu des obligations de service qui leur incombent, aux praticiens hospitaliers ni, d'ailleurs, aux médecins salariés des établissements privés de santé.

9. De même, la circonstance que le mode de rémunération sur devis autoriserait les médecins relevant du 3° de l'article D. 311-1 du code de la sécurité sociale à déterminer eux-mêmes le montant des cotisations sociales mises à la charge de l'employeur, et incombant par suite à l'Etat, ne saurait caractériser une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la réglementation ni un motif d'intérêt général justifiant la différence de traitement ainsi opérée alors, au demeurant, que la juridiction qui commande l'expertise reste à même de discuter le devis qui lui est présenté.

10. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article A. 43-6-1 du code de procédure pénale introduisent une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et portent ainsi atteinte au principe d'égalité. M. B... est, par suite, fondé à soutenir que les dispositions de l'article A. 43-6-1 du code de procédure pénale sont illégales en tant qu'elles fixent des règles relatives aux actes prescrits par les psychiatres, et à demander, en conséquence, l'annulation des dispositions de l'arrêté du 7 septembre 2021 qui les ont modifiées. Compte tenu des effets excessifs d'un retour immédiat à l'article A. 43-6-1 du code de procédure pénale dans sa version issue de l'arrêté du 27 février 2017 pris pour l'application des 2° et 7° de l'article 2 et de l'article 3 du décret du 27 février 2017 relatif aux modalités de fixation du tarif des actes prescrits dans le domaine de la médecine légale, de la psychologie légale, de la toxicologie, de la biologie et de la radiologie et relevant des frais de justice, et des risques qu'il comporterait pour l'établissement et le règlement des frais des expertises, il y a lieu de différer l'effet de l'annulation jusqu'à quatre mois après la présente décision, en précisant que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision, les effets des dispositions litigieuses doivent être regardés comme définitifs.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêté du 7 septembre 2021 portant modification de l'article A. 43-6-1 du code de procédure pénale est annulé en tant qu'il fixe des règles concernant les médecins experts psychiatres. Cette annulation prendra effet à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la lecture de la présente décision.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée à la ministère de travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 juillet 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 9 septembre 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. Antoine Berger

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 460057
Date de la décision : 09/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 sep. 2024, n° 460057
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Antoine Berger
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 12/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:460057.20240909
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award