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09/09/2024 | FRANCE | N°469586

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 09 septembre 2024, 469586


Vu la procédure suivante :



Mme F... B..., M. D... A..., Mme G... B... et M. C... E... ont demandé au tribunal administratif de Bastia, à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 déclarant d'utilité publique les travaux de prélèvement et de dérivation des eaux au captage des sources de Ghjuvan Marcu et de Casale 1 et 2, instaurant des périmètres de protection et autorisant l'utilisation de l'eau en vue de la consommation humaine sur le territoire de la communauté de communes du Sartena

is Valinco et, à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir l'artic...

Vu la procédure suivante :

Mme F... B..., M. D... A..., Mme G... B... et M. C... E... ont demandé au tribunal administratif de Bastia, à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 déclarant d'utilité publique les travaux de prélèvement et de dérivation des eaux au captage des sources de Ghjuvan Marcu et de Casale 1 et 2, instaurant des périmètres de protection et autorisant l'utilisation de l'eau en vue de la consommation humaine sur le territoire de la communauté de communes du Sartenais Valinco et, à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir l'article 4-2 de cet arrêté instaurant un périmètre de protection rapprochée.

Par un jugement n° 1600308 du 15 février 2018, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 18MA01492 du 14 janvier 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par Mme B... et autres contre ce jugement.

Par une décision n° 439424 du 19 novembre 2020, le Conseil d'Etat a, d'une part, refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B... et autres contre les dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique dans leur version issue de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, d'autre part, renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des dispositions du IX de l'article 61 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019.

Par une décision n° 439424 du 30 décembre 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, d'une part, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 14 janvier 2020 en tant qu'il rejette les conclusions de Mme B... et autres dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 15 février 2018 en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 en tant qu'il instaure un périmètre de protection rapprochée et, d'autre part, renvoyé l'affaire, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel.

Par un arrêt n° 22MA00032 du 12 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur renvoi après cassation, a rejeté l'appel formé par Mme B... et autres contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 15 février 2018 en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 en tant qu'il instaure un périmètre de protection rapprochée.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 décembre 2022, 10 mars 2023 et 27 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) à titre subsidiaire, d'abroger l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015, à tout le moins son article 4-2 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat et de la communauté de communes du Sartenais Valinco la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de Mme B... et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 24 décembre 2015, le préfet de la Corse-du-Sud a, d'une part, déclaré d'utilité publique, au profit de la communauté de communes du Sartenais Valinco (CCSV), les travaux de dérivation des eaux des sources de Ghjuvan Marcu et de Casale 1 et 2, situées sur le territoire des communes de Foce-Bilzece et de Granace, ainsi que l'instauration des périmètres de protection de ces points d'eau, d'autre part, autorisé l'utilisation de l'eau de ces sources pour l'alimentation en eau potable de la CCSV et, enfin, déclaré cessibles les parcelles nécessaires à la constitution du périmètre de protection immédiate. Par un arrêt du 14 janvier 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel de Mme B... et autres formé contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 15 février 2018 rejetant leur demande d'annulation de cet arrêté. Par une décision du 30 décembre 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, d'une part, annulé cet arrêt en tant qu'il rejette les conclusions de Mme B... et autres dirigées contre ce jugement en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il instaure un périmètre de protection rapprochée et, d'autre part, renvoyé l'affaire, dans cette mesure, à la cour. Par un arrêt du 12 octobre 2022, contre lequel Mme B... et autres se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par Mme B... et autres contre le jugement du tribunal administratif de Bastia en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 en tant qu'il instaure un périmètre de protection rapprochée.

2. L'autorité de chose jugée qui s'attache à la décision du Conseil d'Etat du 30 décembre 2021, mentionnée au point précédent, annulant l'arrêt précité du 14 janvier 2020 en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme B... et autres dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 15 février 2018 en tant qu'il a rejeté leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 en tant qu'il instaure un périmètre de protection rapprochée n'a pas eu pour effet de faire obstacle à ce que les appelants puissent, après renvoi, utilement se prévaloir devant la cour d'irrégularités ayant entaché l'enquête publique et susceptibles, le cas échéant, d'avoir influé sur la détermination du périmètre de protection rapprochée. Dès lors, en jugeant que les moyens contestant la régularité de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique, eu égard à la composition du dossier d'enquête publique et aux réponses données par le commissaire enquêteur aux observations de Mme B..., étaient inopérants à l'appui de conclusions dirigées contre la partie du jugement du tribunal administratif de Bastia statuant sur l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud en tant qu'il instaure un périmètre de protection rapprochée, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit.

3. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que Mme B... et autres sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.

4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le dossier d'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique établi par la communauté de communes du Sartenais Valinco à l'attention du préfet de la Corse-du-Sud comprend l'ensemble des éléments exigés par l'article R. 112-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

6. En deuxième lieu, si les requérants font valoir que le commissaire-enquêteur se serait abstenu de répondre à leurs observations, ce moyen n'est pas assorti de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

7. En troisième lieu, si les requérants soutiennent que l'arrêté litigieux a été pris au terme d'une procédure irrégulière dès lors que ni l'avis d'enquête publique, ni l'arrêté n'ont été notifiés à Mme B..., il ne résulte, d'une part, d'aucune disposition ni d'aucun principe que l'avis relatif à l'ouverture de l'enquête préalable à une déclaration d'utilité publique doive, à peine d'irrégularité de la procédure, être notifié aux propriétaires concernés. D'autre part, l'absence de notification de l'acte contesté est en tout état de cause sans incidence sur sa légalité.

8. En quatrième lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la décision par laquelle l'autorité administrative, sur le fondement de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, détermine, autour du point de prélèvement, un périmètre de protection rapprochée, à l'intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux, n'est pas au nombre de celles qui doivent être motivées en vertu des dispositions l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs, désormais reprises à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit, par suite, être écarté.

9. Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique : " En vue d'assurer la protection de la qualité des eaux, l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines mentionné à l'article L. 215-13 du code de l'environnement détermine autour du point de prélèvement un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété, un périmètre de protection rapprochée à l'intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux et, le cas échéant, un périmètre de protection éloignée à l'intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols et dépôts ci-dessus mentionnés. ". Le deuxième alinéa de cet article, dans sa version en vigueur à la date d'édiction de l'arrêté contesté, prévoit toutefois que " lorsque les conditions hydrologiques et hydrogéologiques permettent d'assurer efficacement la préservation de la qualité de l'eau par des mesures de protection limitées au voisinage immédiat du captage, l'acte portant déclaration d'utilité publique peut n'instaurer qu'un périmètre de protection immédiate ".

10. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport du cabinet d'études techniques appliquées figurant au dossier d'enquête publique, d'une part, que si les sources de Casale et Ghjuvan Marcu ne sont pas exposées à un risque de pollution majeur, leurs aquifères présentent une certaine vulnérabilité à une pollution issue de la surface, liée à la constitution des terrains du bassin versant des sources et du captage, caractérisés par un sol fragile et irrégulier, la présence d'un réseau de fissures, une altération du socle et une discontinuité de la nappe et, d'autre part, que des cas de pollution aux pesticides ont été identifiés en 2011 et 2013 aux sources Casale 1 et 2 ainsi qu'en 2011 s'agissant de la source Ghjuvan Marcu. Dès lors, eu égard à la vulnérabilité de ces sols au regard du risque d'une pollution de surface sur l'étendue du périmètre de protection rapprochée litigieux, le préfet de la Corse-du-Sud n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, ni porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété des intéressés découlant de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen en instaurant le périmètre de protection rapprochée litigieux et en l'assortissant de mesures propres à prévenir des risques de pollution, liés à l'activité agricole ainsi qu'à l'entretien des parcelles de nature agricole et forestière.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme B... et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 en tant qu'il instaure un périmètre de protection rapprochée.

12. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique issues de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé n'a pu, en tout état de cause, constituer un changement de circonstances de droit rendant illégal l'arrêté attaqué dès lors que celles-ci ne s'appliquent pas aux actes pris, comme en l'espèce, antérieurement à leur entrée en vigueur. Les conclusions subsidiaires à fin d'abrogation des requérants doivent, par suite et en tout état de cause, être rejetées.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la communauté de communes du Sartenais Valinco qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 12 octobre 2022 est annulé.

Article 2 : Les conclusions d'appel de Mme B... et autres dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 15 février 2018 en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 en tant qu'il instaure un périmètre de protection rapprochée sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme F... B..., première dénommée pour l'ensemble des requérants, au ministre de la santé et de la prévention et à la communauté de communes du Sartenais Valinco.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 juillet 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 9 septembre 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Juliette Mongin

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 469586
Date de la décision : 09/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 sep. 2024, n° 469586
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Juliette Mongin
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:469586.20240909
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