Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 7 octobre 2022 et les 29 juin et 1er novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Bloom demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-527 du 12 avril 2022 pris en application de l'article L. 110-4 du code de l'environnement et définissant la notion de protection forte et les modalités de la mise en œuvre de cette protection forte, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Première ministre sur le recours gracieux formé le 8 juin 2022 par l'association contre ce décret ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention sur la diversité biologique, adoptée à Rio de Janeiro le 22 mai 1992 ;
- le plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020, adopté lors de la convention de Nagoya en 2010 ;
- le code de l'environnement ;
- le code forestier ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury et Maître, avocat de l'association Bloom ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 septembre 2024, présentée par l'association Bloom ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 110-4 du code de l'environnement, créé par l'article 227 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : "I.- L'Etat élabore et met en œuvre, sur la base des données scientifiques disponibles et en concertation avec des représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements ainsi que des autres parties prenantes, une stratégie nationale des aires protégées dont l'objectif est de couvrir, par un réseau cohérent d'aires protégées en métropole et en outre-mer, sur terre et en mer, au moins 30 % de l'ensemble du territoire national et des espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction française. Ce réseau vise également la mise sous protection forte d'au moins 10 % de l'ensemble du territoire national et des espaces maritimes sous souveraineté ou sous juridiction française. / La stratégie mentionnée au premier alinéa du présent I vise à la protection de l'environnement et des paysages, à la préservation et la reconquête de la biodiversité, à la prévention et à l'atténuation des effets du dérèglement climatique ainsi qu'à la valorisation du patrimoine naturel et culturel des territoires. / Cette stratégie est actualisée au moins tous les dix ans. La surface totale ainsi que la surface sous protection forte atteintes par le réseau d'aires protégées ne peuvent être réduites entre deux actualisations. / Cette stratégie établit la liste des moyens humains et financiers nécessaires à la réalisation des missions et objectifs fixés au présent article. / Un décret précise la définition et les modalités de mise en œuvre de la protection forte mentionnée au premier alinéa. (...) ". Le décret du 12 avril 2022 définissant la notion de protection forte et les modalités de la mise en œuvre de cette protection forte a été pris sur le fondement de cette disposition législative. L'association Bloom en demande l'annulation, ainsi que celle de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la première ministre sur son recours gracieux.
2. L'article 1er du décret attaqué définit la zone de protection forte " comme une zone géographique dans laquelle les pressions engendrées par les activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques sont absentes, évitées, supprimées ou fortement limitées, et ce de manière pérenne, grâce à la mise en œuvre d'une protection foncière ou d'une réglementation adaptée, associée à un contrôle effectif des activités concernées ".
3. Le I de son article 2 précise que sont reconnus comme zones de protection forte les espaces terrestres compris dans les cœurs de parcs nationaux prévus à l'article L. 331-1 du code de l'environnement, dans les réserves naturelles prévues à l'article L. 332-1 du même code, dans les arrêtés de protection pris en application des articles L. 411-1 et L. 411-2 du même code et dans les réserves biologiques prévues à l'article L. 212-2-1 du code forestier. Le I de son article 3 prévoit que sont également reconnus comme des zones de protection forte les espaces maritimes, créées postérieurement à la date d'entrée en vigueur du décret, compris dans les cœurs de parcs nationaux prévus à l'article L. 331-1 du code de l'environnement, dans les zones de protection renforcée et les zones de protection intégrale créées par les actes de classement en réserve naturelle pris en application des articles L. 332-1 à L. 332-27 du même code et dans les zones couvertes par un arrêté de protection pris en application des articles L. 411-1 et L. 411-2 du même code. Si ces espaces maritimes ont été créées antérieurement à la date d'entrée en vigueur du décret, ils doivent remplir sous 24 mois les critères de l'article 4 et sont reconnus comme zones de protection forte au plus tard à cette échéance.
4. Ainsi que le prévoit le II de l'article 2 du décret attaqué, peuvent par ailleurs être reconnus comme zones de protection forte, sur la base d'une analyse au cas par cas, les espaces terrestres présentant des enjeux écologiques d'importance compris dans " - des sites bénéficiant d'une obligation réelle environnementale prévus par l'article L. 132-3 du code de l'environnement ; / - des zones humides d'intérêt environnemental particulier définies par le a du 4° du II de l'article L. 211-3 du même code ; / - des cours d'eau définis au 1° du I de l'article L. 214-17 du même code ; / - des sites relevant du domaine du conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres au sens de l'article L. 322-9 du même code ; / - des périmètres de protection des réserves naturelles prévus par l'article L. 332-16 du même code ; / - des sites classés prévus par l'article L. 341-1 du même code ; / - des sites prévus par l'article L. 414-11 du même code sur lesquels un conservatoire d'espaces naturels détient une maitrise foncière ou d'usage ; / - des réserves nationales de chasse et de faune sauvage prévues par l'article L. 422-27 du même code ; / - des espaces naturels sensibles prévus par l'article L. 113-8 du code de l'urbanisme ; / - la bande littorale prévue à l'article L. 121-16 du même code ; / - des espaces remarquables du littoral prévus par l'article L. 121-23 du même code ; / - des forêts de protection prévues par l'article L. 141-1 et suivants du code forestier, notamment celles désignées pour des raisons écologiques ; / - des sites du domaine foncier de l'Etat ". Il en est de même, conformément au III de l'article 3, s'agissant des autres espaces maritimes présentant des enjeux écologiques d'importance, prioritairement situés à l'intérieur d'aires marines protégées figurant à l'article L. 334-1 du code de l'environnement.
5. L'article 4 prévoit que les analyses au cas par cas mentionnées au point 4 doivent permettre de s'assurer que les espaces concernés répondent aux trois critères suivants : " 1. Soit ne font pas l'objet d'activités humaines pouvant engendrer des pressions sur les enjeux écologiques notamment de conservation d'espèces ou d'habitats naturels, soit disposent de mesures de gestion ou d'une réglementation spécifique des activités ou encore d'une protection foncière visant à éviter, diminuer significativement ou à supprimer, de manière pérenne, les principales pressions sur les enjeux écologiques justifiant la protection forte, sur une zone ayant une cohérence écologique par rapport à ces enjeux ; / 2. Disposent d'objectifs de protection, en priorité à travers un document de gestion ; / 3. Bénéficient d'un dispositif opérationnel de contrôle des règlementations ou des mesures de gestion ", étant précisé que " L'analyse évalue le caractère pérenne de ces critères et les pressions à venir qui sont connues, notamment en conséquence des projets ou aménagements prévus ".
Sur la légalité externe du décret attaqué :
6. Aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. (...) / II. - (...) le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (...). / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations et propositions. (...). / Dans le cas où la consultation d'un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause est obligatoire et lorsque celle-ci intervient après la consultation du public, la synthèse des observations et propositions du public lui est transmise préalablement à son avis. / Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision. / (...) ". S'il résulte de ces dispositions que la personne publique concernée doit mettre à la disposition du public des éléments suffisants pour que la consultation puisse avoir lieu utilement, elles n'imposent en revanche pas que cette consultation ne puisse intervenir qu'une fois rendus tous les avis des instances techniques et scientifiques dont la consultation est obligatoire en vertu des textes, ni que les avis qui auraient déjà été recueillis lorsque la procédure de participation du public est mise en œuvre soient joints aux éléments mis à la disposition du public.
7. Il résulte de ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que la procédure de participation du public, qui s'est déroulée du 14 janvier au 5 février 2022, aurait été irrégulière faute qu'aient été joints aux éléments mis à disposition du public les avis émis par le Comité national de la Biodiversité, le Conseil national de la protection de la nature, et le Conseil national de la mer et des littoraux consultés. Par ailleurs, l'association requérante n'allègue pas que le dossier de présentation établi en application des dispositions citées ci-dessus n'aurait pas procédé à une présentation suffisante des enjeux du texte. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de participation du public ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
8. En premier lieu, l'article 8 de la Convention sur la diversité biologique adoptée à Rio de Janeiro le 22 mai 1992 et les objectifs " d'Aichi " qui assortissent le plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020 adopté à l'occasion de la Convention sur la diversité biologique, en 2010 à Nagoya, ne produisent pas d'effet direct dans l'ordre juridique interne. L'association requérante ne peut donc utilement soutenir que le décret attaqué les aurait méconnus.
9. En deuxième lieu, les moyens tirés de ce que le décret attaqué méconnaîtrait, d'une part, la convention de Ramsar sur les zones humides, le protocole de Nagoya relatif à l'accès aux ressources génétiques, la convention alpine et l'initiative internationale pour les récifs coralliens et, d'autre part, les directives 92/43/CEE, 2008/56/CE et 2009/147/CE ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
10. En troisième lieu, l'association requérante ne peut utilement se prévaloir à l'encontre du décret attaqué de la définition des zones strictement protégées donnée par la Commission européenne dans un document de travail publié le 28 janvier 2022 relatif aux critères et orientations pour les désignations d'aires protégées établi à la suite d'une communication de la Commission au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des Régions sur la stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030 en date du 20 mai 2020, un tel document de travail étant dépourvu de toute portée normative, comme il le précise au demeurant.
11. En quatrième lieu, l'association requérante ne peut davantage utilement se prévaloir de la définition de la protection forte retenue par l'Union internationale pour la conservation de la nature, dans des documents établis par ses soins, qui sont également dépourvus de portée normative.
12. En cinquième lieu, il résulte des termes mêmes de l'article L. 110-4 du code de l'environnement, comme le confirment au demeurant les travaux préparatoires de la loi du 22 août 2021 dont il est issu, que cet article détermine un cadre pour la stratégie nationale des aires protégées, laquelle doit orienter l'action de l'Etat en la matière, et fixe comme objectif d'atteindre une proportion déterminée du territoire français bénéficiant d'une protection de ses espaces naturels, cet objectif étant également décliné pour les territoires bénéficiant d'une " protection forte " des espaces naturels. Contrairement à ce qui est soutenu par la requête, ces dispositions législatives n'ont ni pour objet ni pour effet d'instituer un nouveau régime de protection pour les aires concernées, qui viendrait compléter les régimes de protections existants, issus notamment du code de l'environnement, du code forestier et du code de l'urbanisme. En revanche, il appartient au pouvoir réglementaire, conformément au dernier alinéa de l'article L. 110-4, de définir les conditions dans lesquelles un espace peut être regardée comme étant " sous protection forte ", afin de permettre d'apprécier le respect des objectifs, fixés dans le cadre de la stratégie nationale des aires protégées, de proportion du territoire national couverte.
13. Compte tenu de la nature de loi de programme des dispositions législatives en cause et de la large marge d'appréciation qu'elles confèrent au pouvoir réglementaire, il ne résulte pas des pièces du dossier que les dispositions du décret attaqué déterminant, d'une part, les espaces regardés dans tous les cas comme faisant l'objet d'une protection forte, mentionnés au point 3, et, d'autre part, les espaces, mentionnés au point 4, pouvant être regardées comme bénéficiant d'une telle protection au terme d'un examen au cas par cas mené par les autorités compétentes au regard des trois critères cumulatifs mentionnés à l'article 4 du décret attaqué, méconnaitraient l'article L. 110-4 précité, en tant notamment qu'il définit, au deuxième alinéa de son I, les objectifs poursuivis par la stratégie nationale des aires protégées, au nombre desquels figurent la préservation et la reconquête de la biodiversité ainsi que la prévention et l'atténuation des effets du dérèglement climatique.
14. En sixième lieu, les critères mentionnés à l'article 4 du décret attaqué, et rappelés au point 5, qui permettent d'apprécier si un espace terrestre ou maritime peut, au terme d'une analyse au cas par cas, être regardé comme bénéficiant d'une protection forte, au sens et pour l'application de l'article L. 110-4 du code de l'environnement, n'apparaissent ni obscurs, ni insuffisants ou en contradiction avec la définition de ta protection forte résultant de l'article 1er du décret, et alors qu'ainsi qu'il a été dit aux points 10 et 11, l'association requérante ne peut utilement se prévaloir à cet égard des définitions retenues par la Commission européenne et par l'Union internationale pour la conservation de la nature. En outre, le pouvoir réglementaire n'était pas tenu de préciser, dans le décret attaqué, l'articulation entre, d'une part, les modalités de reconnaissance d'une mise sous protection forte d'un espace, au sens de l'article L. 110-4 du code de l'environnement, et, d'autre part, l'application des mesures de protection résultant du dispositif Natura 2000. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par le décret attaqué, des principes d'intelligibilité et d'accessibilité de la norme ne peut qu'être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Bloom n'est fondée à demander l'annulation ni du décret du 12 avril 2022 ni de la décision implicite de rejet opposée à son recours gracieux contre ce décret. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, par suite, obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association Bloom est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Bloom, au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, au ministre de l'intérieur et au ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillers d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 6 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain