Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 8 mars 2019 par lequel le préfet de l'Indre a prononcé l'abrogation du droit d'eau fondé en titre attaché à l'ouvrage du moulin de Chambon, situé sur le territoire de la commune de Villedieu sur Indre (Indre). Par un jugement n° 1900783 du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Limoges a annulé cet arrêté.
Par un arrêt n° 21BX01960 du 14 mars 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires contre ce jugement.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 mai 2023 et 6 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de M. B... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er octobre 2024, présentée par M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... est propriétaire du moulin de Chambon, situé sur le territoire de la commune de Villedieu-sur-Indre, au droit de la rivière Indre. Par arrêté du 8 mars 2019, le préfet de l'Indre a prononcé l'abrogation du droit d'eau fondé en titre attaché à cet ouvrage hydraulique. Par un jugement du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Limoges a annulé cet arrêté. Par un arrêt du 14 mars 2023, contre lequel le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel qu'il avait formé contre ce jugement.
2. Sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux. Une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date.
3. La force motrice produite par l'écoulement d'eaux courantes ne peut faire l'objet que d'un droit d'usage et en aucun cas d'un droit de propriété. Il en résulte qu'un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d'eau. Ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit. L'état de ruine, qui conduit en revanche à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l'ouvrage permettant l'utilisation de la force motrice du cours d'eau ont disparu ou qu'il n'en reste que de simples vestiges, de sorte que cette force motrice ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a souverainement relevé, en se fondant en particulier sur les constatations effectuées par la direction départementale des territoires de l'Indre en septembre et novembre 2018, qu'il n'existe plus aucune trace du seuil de prise d'eau de l'ouvrage sur l'Indre, seuls subsistant les départs empierrés latéraux au droit de chacune des deux rives, et que le bief d'amenée, même s'il demeure tracé depuis la rivière jusqu'au moulin, est partiellement comblé et totalement végétalisé. Après avoir ainsi souverainement constaté que les éléments essentiels de l'ouvrage permettant l'utilisation de la force motrice du cours d'eau ne subsistaient plus qu'à l'état de vestiges, la cour ne pouvait, sans commettre d'erreur de qualification juridique, juger que le droit fondé en titre attaché au moulin n'était pas perdu.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Il est constant que le moulin de Chambon, dont est propriétaire M. B..., dispose d'un droit d'usage de l'eau de l'Indre fondé en titre et que, par arrêté du 8 mars 2019, le préfet de l'Indre a prononcé l'abrogation de ce droit.
8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 214-4 du code de l'environnement : " I.- L'autorisation d'installations, ouvrages, travaux et activités présentant un caractère temporaire et sans effet important et durable sur le milieu naturel peut être accordée sans enquête publique préalable réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du présent code, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / II.- L'autorisation peut être abrogée ou modifiée, sans indemnité de la part de l'Etat exerçant ses pouvoirs de police, dans les cas suivants : (...) / 4° Lorsque les ouvrages ou installations sont abandonnés ou ne font plus l'objet d'un entretien régulier (...) ".
9. Si M. B... fait valoir que le préfet de l'Indre aurait commis une erreur de droit en prononçant l'abrogation du droit d'eau fondé en titre alors que seule l'autorisation de fonctionnement de l'installation attachée à cet ouvrage peut, en application des dispositions citées au point 8, faire l'objet d'une abrogation pour des motifs tirés de l'abandon de l'ouvrage ou de son absence d'entretien régulier, il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d'eau.
10. En second lieu, il résulte de l'instruction, en particulier des constatations effectuées par la direction départementale des territoires de l'Indre en septembre et novembre 2018, non contredites sur ces points par le procès-verbal de constat établi le 24 juin 2020 à la demande de M. B..., que le seuil de prise d'eau de l'ouvrage sur l'Indre est complètement effacé, seuls subsistant les départs empierrés latéraux au droit de chacune des deux rives, que l'entrée du bief d'amenée est totalement inexistante et qu'aucune distinction topographique n'est perceptible entre les berges de l'Indre de part et d'autre de cette entrée, de sorte que les travaux de restauration de ce seuil de prise d'eau impliqueraient sa reconstruction complète, plus aucune fonction de retenue de l'eau n'étant, en l'état, assurée. En outre, si les tracés des biefs d'amenée et de fuite sont encore perceptibles, ils sont largement comblés et complètement végétalisés et les deux vannes usinières sont dans un état de délabrement les rendant non fonctionnelles. Il s'ensuit que la force motrice du cours d'eau de l'Indre ne peut plus être utilisée par l'ouvrage du moulin de Chambon sans la reconstruction complète de ses éléments essentiels, nonobstant la présence du bâtiment principal de l'ouvrage. C'est, par suite, à tort, que le tribunal administratif s'est fondé, pour annuler l'arrêté attaqué, sur l'erreur de droit qu'aurait commise le préfet de l'Indre en considérant comme éteint le droit d'eau fondé en titre attaché au moulin de Chambon.
11. Il appartient toutefois au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif.
12. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, par arrêté du 26 décembre 2018 le préfet de l'Indre a donné, à compter du 2 janvier 2019, délégation de signature à Mme Lucile Josse, secrétaire générale de la préfecture, à l'effet de signer, tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances, procès-verbaux de réunion dont elle assure la présidence, notes de service et documents relevant des attributions de l'Etat dans le département de l'Indre, en ce compris les actes à caractère individuel. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué ne peut être qu'écarté.
13. En second lieu, il résulte de l'instruction que l'arrêté attaqué constatant la perte du droit d'eau fondé en titre comporte l'énoncé des circonstances de fait et de droit sur lesquels il se fonde, notamment en ce qui concerne l'état de ruine de l'ouvrage, de sorte que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation, en fait, de cet arrêté doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté attaqué du préfet de l'Indre du 8 mars 2019.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 14 mars 2023 et le jugement du tribunal administratif de Limoges du 11 mars 2021 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Limoges est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à M. A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 30 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; M. David Gaudillère, maître des requêtes et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 6 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Juliette Mongin
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain