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06/11/2024 | FRANCE | N°490435

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 06 novembre 2024, 490435


Vu la procédure suivante :



M. C... B... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 avril 2021 par lequel le Premier ministre, exerçant les attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, a renouvelé l'agrément de l'association Anticor en vue de l'exercice des droits reconnus à la partie civile, en application de l'article 2-23 du code de procédure pénale. Par un jugement n° 2111821 du 23 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a, après avoir jugé que M. D... ne justifiai

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Vu la procédure suivante :

M. C... B... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 avril 2021 par lequel le Premier ministre, exerçant les attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, a renouvelé l'agrément de l'association Anticor en vue de l'exercice des droits reconnus à la partie civile, en application de l'article 2-23 du code de procédure pénale. Par un jugement n° 2111821 du 23 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a, après avoir jugé que M. D... ne justifiait pas d'un intérêt à agir, fait droit à la demande en tant qu'elle émanait de M. B... et prononcé l'annulation de l'arrêté contesté.

Par un arrêt nos 23PA03811, 23PA03813 du 16 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'association Anticor et appel incident de MM. D... et B..., annulé ce jugement en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions présentées par M. A... D... et rejeté les conclusions d'appel formées par l'association Anticor.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 décembre 2023, 6 février, 14 et 20 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Anticor demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de MM. B... et D... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le décret n° 2014-327 du 12 mars 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'association Anticor, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. B... et de M. D... et à la SCP Foussard, Froger avocat du Premier ministre ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article 2-23 du code de procédure pénale dispose que : " Toute association agréée déclarée depuis au moins cinq ans à la date de la constitution de partie civile, se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions suivantes : / 1° Les infractions traduisant un manquement au devoir de probité, réprimées aux articles 432-10 à 432-15 du code pénal ; / 2° Les infractions de corruption et trafic d'influence, réprimées aux articles 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1 du même code ; / 3° Les infractions de recel ou de blanchiment, réprimées aux articles 321-1, 321-2, 324-1 et 324-2 dudit code, du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° du présent article ; / 4° Les infractions réprimées aux articles L. 106 à L. 109 du code électoral. / Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions dans lesquelles les associations mentionnées au premier alinéa du présent article peuvent être agréées. / Toute fondation reconnue d'utilité publique peut exercer les droits reconnus à la partie civile dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que l'association mentionnée au présent article ". Aux termes de l'article 1er du décret du 12 mars 2014 relatif aux conditions d'agrément des associations de lutte contre la corruption en vue de l'exercice des droits reconnus à la partie civile : " L'agrément prévu à l'article 2-23 du code de procédure pénale peut être accordé à une association se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption lorsqu'elle remplit les conditions suivantes : / 1° Cinq années d'existence à compter de sa déclaration ; / 2° Pendant ces années d'existence, une activité effective et publique en vue de lutter contre la corruption et les atteintes à la probité publique, appréciée notamment en fonction de l'utilisation majoritaire de ses ressources pour l'exercice de cette activité, de la réalisation et de la diffusion de publications, de l'organisation de manifestations et la tenue de réunions d'information dans ces domaines ; / 3° Un nombre suffisant de membres, cotisant soit individuellement, soit par l'intermédiaire d'associations fédérées ; / 4° Le caractère désintéressé et indépendant de ses activités, apprécié notamment eu égard à la provenance de ses ressources ; / 5° Un fonctionnement régulier et conforme à ses statuts, présentant des garanties permettant l'information de ses membres et leur participation effective à sa gestion ". Il résulte des articles 2 et 3 de ce décret que l'agrément en cause est accordé par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, pour une durée de trois années, et est renouvelable dans les mêmes conditions que l'agrément initial.

2. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que l'association Anticor, créée en 2002, a obtenu en 2015 un agrément au titre des dispositions de l'article 2-23 du code de procédure pénale, en vue de l'exercice des droits reconnus à la partie civile. Elle a demandé, le 28 septembre 2020, le renouvellement de cet agrément. Par un arrêté du 2 avril 2021, le Premier ministre, exerçant les attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, a renouvelé l'agrément de l'association Anticor, pour une durée de trois ans à compter du même jour. M. B..., ancien membre de l'association Anticor, et M. D..., membre de cette association, ont saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Le tribunal a jugé la demande, en tant qu'elle émanait de M. D..., irrecevable, faute d'intérêt pour agir, mais l'a jugée recevable en tant qu'elle émanait de M. B... et a fait droit aux conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté. Par l'arrêt attaqué, contre lequel l'association Anticor se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a fait droit à l'appel incident s'agissant de l'intérêt pour agir de M. D... et a rejeté l'appel formé par l'association Anticor, en annulant en conséquence le jugement du tribunal administratif en tant seulement qu'il avait rejeté comme irrecevables les conclusions présentées par M. D....

3. Si l'article 3 du décret du 12 mars 2014 précédemment cité dispose que l'agrément est accordé pour trois années, la circonstance que l'arrêté litigieux du 2 avril 2021 aurait, en tout état de cause, cessé de produire ses effets le 2 avril 2024 n'est pas, contrairement à ce que soutiennent MM. B... et D..., de nature à priver d'objet le pourvoi de l'association Anticor, dès lors que l'arrêté litigieux avait reçu application avant son annulation par le tribunal administratif et qu'il était susceptible de produire des effets jusqu'à la date du 2 avril 2024.

4. En premier lieu, pour juger recevable la demande de MM. B... et D..., la cour administrative d'appel a relevé, d'une part, qu'ils se prévalaient de leur qualité de membre ou d'ancien membre de l'association, avec laquelle ils étaient en conflit à propos de son fonctionnement interne et des conditions dans lesquelles elle poursuit son objet social, d'autre part, que M. D... se prévalait d'un intérêt moral personnel résultant de ces dissensions internes et de la méconnaissance, par l'association, des principes qu'elle défend, enfin, que M. B... était ancien vérificateur aux comptes de l'association et membre de son comité d'éthique et qu'il avait, avant sa saisine du tribunal administratif, alerté le ministère de la justice sur des dysfonctionnements de l'association, avant d'en être exclu et de faire l'objet d'une plainte de l'association pour dénonciation calomnieuse. Eu égard à l'objet et à la portée de l'agrément contesté, dont la délivrance est notamment subordonnée, en vertu de l'article 1er du décret du 12 mars 2014, au fonctionnement régulier et désintéressé de l'association, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que MM. B... et D... justifiaient d'un intérêt personnel suffisamment direct et certain leur donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision d'agrément qu'ils attaquaient.

5. En deuxième lieu, pour confirmer l'annulation de l'arrêté attaqué, la cour a retenu que les motifs de l'arrêté faisaient apparaître que le Premier ministre, après avoir relevé différentes circonstances ayant affecté le fonctionnement de l'association, tenant en particulier aux conditions du renouvellement de son conseil d'administration et à l'absence de transparence quant à un don reçu par l'association, après avoir exposé que ces éléments étaient de nature à faire naître un doute sur le caractère désintéressé et indépendant des activités passées de l'association et après avoir souligné que l'absence de formalisation, par les statuts de l'association, des procédures d'information du conseil d'administration conjuguée à la non-information effective de celui-ci n'avait, par le passé, pas garanti l'information de ses membres et leur participation effective à la gestion de l'association, s'était uniquement fondé, pour renouveler l'agrément en cause, sur la circonstance que l'association avait, dans le cadre de la procédure d'instruction de la demande de renouvellement de l'agrément, manifesté l'intention de se doter à l'avenir d'un commissaire aux comptes pour accroître la transparence de son fonctionnement financier et de procéder à une refonte de ses statuts et de son règlement intérieur. La cour a jugé, après avoir énoncé que les dispositions du décret du 12 mars 2014 ne permettent pas de délivrer l'agrément à une association qui ne remplit pas les conditions que ce décret prévoit, que le Premier ministre ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, délivrer l'agrément en se fondant sur la seule circonstance que l'association se serait engagée à prendre des mesures correctives pour satisfaire à l'avenir à ces conditions.

6. En jugeant ainsi que la décision attaquée était illégale comme reposant sur des motifs entachés d'erreur de droit, la cour administrative d'appel, qui n'avait alors pas à se prononcer elle-même sur le point de savoir si les conditions mises à l'agrément par le décret du 12 mars 2014 pouvaient être regardées comme remplies à la date de la décision litigieuse, n'a pas méconnu l'office du juge de l'excès de pouvoir statuant sur la légalité d'une décision administrative. En jugeant en l'espèce la décision illégale pour les motifs indiqués au point 5, la cour, qui n'a pas dénaturé les pièces versées au dossier, n'a pas commis d'erreur de droit.

7. En troisième lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

8. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, dans ses observations, la Première ministre se bornait à soutenir que les conditions de délivrance de l'agrément étaient remplies, ainsi que l'exprimait, selon elle, la motivation de l'arrêté litigieux, sans faire valoir que la décision dont l'annulation était demandée aurait pu être justifiée par un motif de droit ou de fait autre que ceux initialement indiqués. L'association Anticor n'est, par suite, pas fondée à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en s'abstenant de tenir compte d'une demande de substitution de motifs qui aurait été formulée implicitement par l'administration.

9. En dernier lieu, pour rejeter la demande tendant à ce qu'elle réforme le jugement du tribunal administratif afin d'en différer les effets pour une durée de trois mois et de regarder les effets produits par l'agrément comme définitifs jusqu'à la date de son annulation, la cour a relevé qu'eu égard à la finalité poursuivie par les auteurs d'une constitution de partie civile, il n'apparaît pas, alors que l'association requérante n'invoque qu'un nombre limité de procédures judiciaires en cours susceptibles d'être affectées par un risque de prescription ou de nullité, dans des situations où le ministère public avait décidé ou décidera de ne pas poursuivre, que l'annulation du renouvellement d'agrément emporte des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Anticor n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par MM. B... et D... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de ceux-ci, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de l'association Anticor est rejeté.

Article 2 : Les conclusions de MM. B... et D... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Anticor, à M. B..., et à M. D..., au garde des sceaux, ministre de la justice et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; M. David Gaudillère, maître des requêtes et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 6 novembre 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Antoine Berger

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 490435
Date de la décision : 06/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ASSOCIATIONS ET FONDATIONS - QUESTIONS COMMUNES - CONTENTIEUX - CONTESTATION DE L’AGRÉMENT PERMETTANT À UNE ASSOCIATION D’EXERCER LES DROITS RECONNUS À LA PARTIE CIVILE (ART - 2-23 DU CPP) – INTÉRÊT POUR AGIR DE MEMBRES OU ANCIENS MEMBRES – EXISTENCE.

10-01-05 Eu égard à l’objet et à la portée de l’agrément prévu à l’article 2-23 du code de procédure pénale (CPP), dont la délivrance est notamment subordonnée, en vertu de l’article 1er du décret n° 2014-327 du 12 mars 2014, au fonctionnement régulier et désintéressé de l’association, des membres ou anciens membres de celle-ci justifient d’un intérêt personnel suffisamment direct et certain leur donnant qualité pour demander l’annulation pour excès de pouvoir de la décision d’agrément.

PROCÉDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - INTÉRÊT POUR AGIR - EXISTENCE D'UN INTÉRÊT - INTÉRÊT LIÉ À UNE QUALITÉ PARTICULIÈRE - CONTESTATION DE L’AGRÉMENT PERMETTANT À UNE ASSOCIATION D’EXERCER LES DROITS RECONNUS À LA PARTIE CIVILE (ART - 2-23 DU CPP) – MEMBRES OU ANCIENS MEMBRES.

54-01-04-02-01 Eu égard à l’objet et à la portée de l’agrément prévu à l’article 2-23 du code de procédure pénale (CPP), dont la délivrance est notamment subordonnée, en vertu de l’article 1er du décret n° 2014-327 du 12 mars 2014, au fonctionnement régulier et désintéressé de l’association, des membres ou anciens membres de celle-ci justifient d’un intérêt personnel suffisamment direct et certain leur donnant qualité pour demander l’annulation pour excès de pouvoir de la décision d’agrément.


Publications
Proposition de citation : CE, 06 nov. 2024, n° 490435
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Antoine Berger
Rapporteur public ?: M. Frédéric Puigserver
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET ; SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:490435.20241106
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