Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 21 décembre 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a, d'une part, retiré sa décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours hiérarchique de la société Debonix contre la décision du 16 mai 2020 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle Bassin Annécien de l'unité départementale de Haute-Savoie a refusé d'autoriser son licenciement, d'autre part, annulé cette décision, enfin, autorisé son licenciement. Par un jugement n° 2101131 du 14 octobre 2022, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22LY03621 du 6 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par Mme B... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 septembre et 7 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Debonix la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le décret n° 2017-1725 du 21 décembre 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de Mme B... et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Debonix ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 novembre 2024, présentée par la société Debonix ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Debonix, en raison de sa cessation totale et définitive d'activité, a sollicité l'autorisation de licencier pour motif économique Mme B..., salariée protégée, employée depuis le 2 mai 2017 en qualité d'acheteuse. Par une décision du 16 mai 2020, l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle Bassin Annécien de l'unité départementale de Haute-Savoie a refusé d'autoriser son licenciement. Par une décision du 21 décembre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a, d'une part, retiré sa décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours hiérarchique formé par la société Debonix contre la décision de l'inspecteur du travail, d'autre part, annulé cette décision, enfin, autorisé le licenciement de la salariée. Par un jugement du 14 octobre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de la décision du 21 décembre 2020 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion. Par un arrêt du 6 juillet 2023, contre lequel Mme B... se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / (...) L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. "
3. Aux termes de l'article D. 1233-2-1 du même code, dans sa rédaction résultant du décret du 21 décembre 2017 relatif à la procédure de reclassement interne sur le territoire national en cas de licenciements pour motif économique : " I.- Pour l'application de l'article L. 1233-4, l'employeur adresse des offres de reclassement de manière personnalisée ou communique la liste des offres disponibles aux salariés, et le cas échéant l'actualisation de celle-ci, par tout moyen permettant de conférer date certaine. / II.- Ces offres écrites précisent : / a) L'intitulé du poste et son descriptif ; / b) Le nom de l'employeur ; / c) La nature du contrat de travail ; / d) La localisation du poste ; / e) Le niveau de rémunération ; / f) La classification du poste. / III.- En cas de diffusion d'une liste des offres de reclassement interne, celle-ci comprend les postes disponibles situés sur le territoire national dans l'entreprise et les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / La liste précise (...) le délai dont dispose le salarié pour présenter sa candidature écrite. / Ce délai ne peut être inférieur à quinze jours francs à compter de la publication de la liste, sauf lorsque l'entreprise fait l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire. / Dans les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours francs à compter de la publication de la liste. / L'absence de candidature écrite du salarié à l'issue du délai mentionné au deuxième alinéa vaut refus des offres. "
4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié.
5. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié protégé, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu, à ce titre, comme les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment de ce que les recherches de reclassement ont débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié.
6. Il résulte des dispositions des articles L. 1233-4 et D. 1233-2-1 du code du travail citées aux points 2 et 3 que l'autorité administrative doit, au titre de son contrôle de la précision des offres de reclassement, s'assurer que celles-ci comportent l'ensemble des mentions prévues au II de cet article D. 1233-2-1 et, lorsque l'employeur communique une liste des postes disponibles aux salariés, que ces mentions sont aisément accessibles.
Sur le pourvoi :
7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour, pour écarter le moyen tiré de ce que la décision du 21 décembre 2020 de la ministre chargée du travail méconnaissait les dispositions des articles L. 1233-4 et D. 1233-2-1 du code du travail faute de comporter les mentions requises, s'est bornée à relever, d'une part, que les listes de postes diffusées aux salariés par l'employeur comportaient, pour chaque poste, la " famille métiers ", le libellé, le type de contrat, le salaire de base, la date de création, la catégorie, la société, la ville et l'identité du responsable des ressources humaines correspondants, d'autre part, qu'un site internet précisait les fonctions et la localisation géographique des postes. Eu égard à ce qui a été dit au point 6, en statuant ainsi, sans rechercher, si les offres communiquées comportaient l'ensemble des mentions prévues au II de l'article D. 1233-2-1 du code du travail, en particulier le descriptif et la classification des postes, et si celles-ci étaient aisément accessibles, la cour a commis une erreur de droit.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la société Debonix une somme de 1 500 euros chacun à verser à Mme B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 6 juillet 2023 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : L'Etat et la société Debonix verseront à Mme B... une somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Debonix au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., à la société Debonix et à la ministre du travail et de l'emploi.