Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 27 février, 28 août 2023 et 9 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de La Ville-aux-Dames demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-1702 du 29 décembre 2022 authentifiant les chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion, et des collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, et de Saint-Pierre-et-Miquelon, en tant qu'il fixe à 5 670 habitants le chiffre de sa population ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 ;
- la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 ;
- le décret n° 2003-485 du 5 juin 2003 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La commune de La Ville-aux-Dames demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 décembre 2022 authentifiant les chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion, et des collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, et de Saint-Pierre-et-Miquelon, en tant que ce décret arrête sa population à 5 670 habitants, valeur qu'elle estime inférieure à la réalité.
2. En vertu du II de l'article 1er de la loi du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, l'Autorité de la statistique publique " veille au respect du principe d'indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion de statistiques publiques ainsi que des principes d'objectivité, d'impartialité, de pertinence et de qualité des données produites ". Aux termes de l'article 156 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité : " I.- Le recensement de la population est effectué sous la responsabilité et le contrôle de l'Etat. II.- (...) Les données recueillies sont régies par les dispositions de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques (...). III.- La collecte des informations est organisée et contrôlée par l'Institut national de la statistique et des études économiques. / Les enquêtes de recensement sont préparées et réalisées par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (...). V.- Les enquêtes de recensement sont effectuées par des agents recenseurs, agents de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale affectés à cette tâche ou recrutés par eux à cette fin. (...) VI. - (...) Pour les communes dont la population est inférieure à 10 000 habitants, les enquêtes sont exhaustives et ont lieu chaque année par roulement au cours d'une période de cinq ans (...) ". Aux termes du II de l'article 38 du décret du 5 juin 2003 relatif aux opérations de recensement : " En cas d'absence d'un logement d'un immeuble à recenser ou d'impossibilité d'en joindre les occupants, la commune (...) transmet à l'Institut national de la statistique et des études économiques les informations suivantes : la localisation précise et la catégorie du logement, le nombre de personnes supposées y résider et le nom de l'occupant principal (...) ". Enfin, en vertu de l'article 39 du même décret, l'INSEE peut procéder à un contrôle d'exhaustivité de la collecte réalisée par les communes au moyen d'enquêtes portant sur les logements à enquêter pour le recensement de la population, ou en utilisant les fichiers transmis par l'administration fiscale. En application de ces dispositions, d'une part, il appartient à l'INSEE, dans le respect des textes régissant la statistique et le recensement, de déterminer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, les méthodes sur la base desquelles sont établis les résultats du recensement, d'autre part l'INSEE est responsable du contrôle de la collecte des informations réalisées par les communes et peut notamment être amené à procéder, pour ce contrôle, à des enquêtes sur place.
3. En premier lieu, la commune de La Ville-aux-Dames soutient que, pour établir le nombre d'habitants des 158 logements dont les habitants n'avaient pas répondu à l'enquête et qui ont donné lieu à l'établissement de " fiches de logements non enquêtés ", l'INSEE a utilisé une méthode de redressement statistique consistant à appliquer un taux moyen de 2 habitants par logement, très inférieur au taux moyen d'occupation des logements dans la commune, soit 2,4, ce qui aurait amené à omettre du total de sa population 63 habitants. Toutefois, l'INSEE fait valoir, sans être sérieusement contesté, que, après que les agents recenseurs de la commune de La Ville-aux-Dames lui ont transmis 190 " fiches de logement non enquêté ", dont 188 avaient été " renseignées " d'un nombre supposé d'habitants, il a procédé lui-même à des opérations de contrôle sur ces 190 logements, au terme desquelles il ne restait plus que 158 " fiches de logement non enquêté ", néanmoins toutes " renseignées " par ses soins, qui faisaient apparaître un total de 318 habitants, nombre qu'il a retenu et qui correspond à une moyenne de 2,012 habitants par logement. Alors que l'INSEE fournit ces deux listes de 190 et 158 logements, comprenant chacune le chiffre, variant de 1 à 6, d'habitants " renseigné " à chaque adresse, la commune de La Ville-aux-Dames, qui se borne à se référer à un courrier faisant mention de l'application d'un taux uniforme lorsqu'aucune indication n'a pu être recueillie sur le nombre d'habitants d'un logement (logement " non renseigné "), n'établit nullement que le nombre d'habitants des 158 logements en litige aurait été fixé par application d'un taux uniforme de 2 habitants par logement et non en utilisant, comme le soutient l'INSEE, les informations qu'il a recueillies. Par suite, elle n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la méthode utilisée par l'INSEE serait, au motif qu'elle repose sur l'utilisation d'un tel taux uniforme, erronée ou contraire aux principes fixés au II de l'article 1er de la loi du 7 juin 1951.
5. En deuxième lieu, la commune produit huit fiches de logements déclarés " non enquêtés " à la clôture des opérations de recensement qu'elle a effectuées, en faisant valoir que les données recueillies postérieurement ont fait apparaître un total de 22 habitants dans ces logements, soit une moyenne de 2,75 habitants par logement. Cette circonstance ne permet pas de démontrer que les données retenues par l'INSEE seraient erronées, alors que, d'une part, un tel échantillon est de faible dimension et que, d'autre part, la comparaison, sur cet échantillon, entre les chiffres avancés par la commune et les listes établies par l'INSEE ne fait apparaître qu'une différence d'une unité, concernant un logement " renseigné " comme accueillant quatre habitants alors que cinq fiches individuelles ont été, en définitive, reçues. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait fondé sur des faits matériellement inexacts doit être écarté.
6. En dernier lieu, la circonstance que la population de la commune connaît une forte croissance, révélée par les constructions de logements neufs et l'augmentation du nombre des électeurs, n'est pas de nature, en tant que telle, à établir que la méthode mise en œuvre par l'INSEE aurait eu pour effet d'entacher d'erreur manifeste d'appréciation l'estimation de la population communale qu'il a retenue.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de La Ville-aux-Dames n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué en tant qu'il fixe sa population à 5 670 habitants.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la commune de La Ville-aux-Dames est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de La Ville-aux-Dames, au Premier ministre, à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 novembre 2024 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 20 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
La rapporteure :
Signé : Mme Nicole da Costa
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova