Vu la procédure suivante :
La société Gurdebeke a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler la décision, née le 27 novembre 2018, par laquelle le préfet de la Somme a implicitement rejeté son recours gracieux formé contre l'arrêté du 8 août 2018 qui a assorti de prescriptions complémentaires la modification d'une installation de stockage de déchets non dangereux sur le territoire de la commune de Lihons (Somme), d'autre part, de réformer l'article 3.2.4 de cet arrêté en remplaçant les valeurs limites qu'il fixe, enfin, d'annuler ou de réformer plusieurs dispositions contenues dans cet arrêté. Par un jugement n° 1900029 du 25 mars 2021, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 21DA01139 du 27 avril 2023, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société Gurdebeke contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 juin et 25 septembre 2023 et le 26 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Gurdebeke demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'arrêt qu'elle attaque est entaché :
- d'erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 181-14, L. 512-5, R. 181-45 et R. 181-54 du code de l'environnement, en jugeant que l'arrêté préfectoral contesté pouvait, d'une part, en l'absence de valeurs limites d'émission applicables à la catégorie d'installation en cause, fixer lui-même de telles valeurs en s'inspirant de règles générales existantes applicables à d'autres catégories d'installations, d'autre part, déroger aux valeurs limites d'émission prévues par les arrêtés ministériels applicables, alors même que ces arrêtés ne prévoyaient pas de faculté d'adaptation aux circonstances locales ;
- d'erreur de droit, d'insuffisance de motivation et de dénaturation des pièces du dossier en jugeant, par un renversement de la charge de la preuve et sur la base de motifs inopérants et erronés au regard des pièces du dossier, qu'il n'était pas établi que les prescriptions de l'article 3.2.4 de l'arrêté contesté ne seraient pas nécessaires pour garantir la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté de la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement du 2 février 1998 relatif aux prélèvements et à la consommation d'eau ainsi qu'aux émissions de toute nature des installations classées pour la protection de l'environnement soumises à autorisation ;
- l'arrêté du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie du 26 août 2013 relatif aux installations de combustion d'une puissance supérieure ou égale à 20 MW soumises à autorisation au titre de la rubrique 2910 et de la rubrique 2931 ;
- l'arrêté de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat du 15 février 2016 relatif aux installations de stockage des déchets non dangereux ;
- l'arrêté du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire du 3 août 2018 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique 2910 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Guermonprez-Tanner, avocat de la société Gurdebeke ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 27 mars 2006, le préfet de la Somme a autorisé la société Gurdebeke à exploiter une installation de stockage de déchets non dangereux sur le territoire de la commune de Lihons (Somme). Le 17 juillet 2015, le préfet de la Somme a autorisé cette société à étendre son exploitation. La société a présenté une demande de modification des conditions d'exploitation des casiers de son installation, pour être autorisée à exploiter une partie d'entre eux en mode " bioréacteur ". Par un arrêté du 8 août 2018, le préfet de la Somme a fait droit à cette demande et a soumis la société Gurdebeke à de nouvelles prescriptions. Par un jugement du 25 mars 2021, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté la demande de la société Gurdebeke tendant à la réformation ou l'annulation de cet arrêté, en particulier de son article 3.2.4 en remplaçant les valeurs limites qu'il fixe. La société Gurdebeke se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 avril 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif.
Sur le cadre juridique applicable :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ". Aux termes de l'article L. 181-3 du même code : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) ". En vertu de l'article R. 181-43 de ce code : " L'arrêté d'autorisation environnementale fixe les prescriptions nécessaires au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4. (...) / Il comporte également : / (...) 2° Les conditions d'exploitation de l'installation de l'ouvrage, des travaux ou de l'activité (...) ; / 3° Les moyens d'analyses et de mesures nécessaires au contrôle du projet et à la surveillance de ses effets sur l'environnement (...) ".
3. D'autre part, selon l'article L. 181-14 du code de l'environnement : " Toute modification substantielle des activités, installations, ouvrages ou travaux qui relèvent de l'autorisation environnementale est soumise à la délivrance d'une nouvelle autorisation, qu'elle intervienne avant la réalisation du projet ou lors de sa mise en œuvre ou de son exploitation. / En dehors des modifications substantielles, toute modification notable intervenant dans les mêmes circonstances est portée à la connaissance de l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation environnementale dans les conditions définies par le décret prévu à l'article L. 181-32. / L'autorité administrative compétente peut imposer toute prescription complémentaire nécessaire au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4 à l'occasion de ces modifications, mais aussi à tout moment s'il apparaît que le respect de ces dispositions n'est pas assuré par l'exécution des prescriptions préalablement édictées ". En vertu de l'article R. 181-45 du même code : " Les prescriptions complémentaires prévues par le dernier alinéa de l'article L. 181-14 sont fixées par des arrêtés complémentaires du préfet (...). Ces arrêtés peuvent imposer les mesures additionnelles que le respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4 rend nécessaire ou atténuer les prescriptions initiales dont le maintien en l'état n'est plus justifié (...) ".
4. Enfin, aux termes de l'article L. 512-5 du code de l'environnement : " Pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, le ministre chargé des installations classées peut fixer par arrêté (...) les règles générales et prescriptions techniques applicables aux installations soumises aux dispositions de la présente section. Ces règles et prescriptions déterminent les mesures propres à prévenir et à réduire les risques d'accident ou de pollution de toute nature susceptibles d'intervenir ainsi que les conditions d'insertion dans l'environnement de l'installation et de réhabilitation du site après arrêt de l'exploitation. / Ces arrêtés s'imposent de plein droit aux installations nouvelles. (...) Ces arrêtés fixent également les conditions dans lesquelles certaines de ces règles peuvent être adaptées aux circonstances locales par l'arrêté préfectoral d'autorisation ". Aux termes de l'article R. 181-54 du même code : " Le présent article s'applique aux projets relevant du 2° de l'article L. 181-1. (...) / Pour les installations soumises à des règles techniques fixées par un arrêté ministériel pris en application de l'article L. 512-5, l'arrêté d'autorisation peut créer des modalités d'application particulières de ces règles (...) ". Et en vertu de l'article R. 515-60 du même code : " Sans préjudice des dispositions des articles R. 181-43 et R. 181-54, l'arrêté d'autorisation fixe au minimum : / a) Des valeurs limites d'émission pour les substances polluantes dont la liste est arrêtée par le ministre chargé des installations classées et pour les autres substances polluantes qui, eu égard à leur nature et à leur potentiel de transferts de pollution d'un milieu à l'autre, sont susceptibles d'être émises en quantités significatives. Ces valeurs limites d'émission peuvent être remplacées par des paramètres ou des mesures techniques garantissant un niveau équivalent de protection de l'environnement. L'arrêté fixe également des prescriptions permettant d'évaluer le respect de ces valeurs limites à moins qu'il ne se réfère aux règles générales et prescriptions techniques fixées par les arrêtés pris en application de l'article L. 512-5 ; (...) ".
Sur le pourvoi :
En ce qui concerne les motifs de l'arrêt attaqué portant sur la compétence du préfet pour édicter l'arrêté du 8 août 2018 :
5. Les prescriptions générales que le ministre chargé des installations classées peut rendre applicables à ces installations, sur le fondement et dans les conditions fixées par l'article L. 512-5 du code de l'environnement, ne privent pas le préfet des pouvoirs propres de police spéciale qu'il tient des dispositions des articles L. 181-3, L. 181-14, R. 181-43, R. 181-45 et R. 181-54 du même code et qui lui permettent de prendre, à tout moment, des mesures relatives à une installation donnée afin d'assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 de ce code.
6. Il en résulte que la circonstance que le ministre n'aurait pas défini, en application des dispositions de l'article L. 512-5, certaines prescriptions, notamment des valeurs limites d'émission pour les substances polluantes résultant du fonctionnement ou de l'exploitation d'une installation, ou encore celle qu'il n'aurait pas fixé les conditions dans lesquelles certaines de ces règles peuvent être adaptées aux circonstances locales par le préfet, ne fait pas obstacle à ce que le préfet impose à une installation donnée les prescriptions qu'il estime nécessaires pour préserver les intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, ni qu'il se réfère, pour cela, aux prescriptions applicables à d'autres installations, ainsi que le prévoient les dispositions de l'article R. 515-60 du code pour les valeurs limites d'émission.
7. Il résulte de ce qui précède que la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant que le préfet pouvait, d'une part, en l'absence de valeurs limites d'émission applicables à la catégorie d'installation en cause, fixer lui-même de telles valeurs en s'inspirant de règles générales existantes pour d'autres catégories d'installations, d'autre part, déroger aux valeurs limites d'émission prévues par les arrêtés ministériels applicables, et notamment retenir des valeurs plus strictes, alors même que ces arrêtés ne prévoyaient pas de faculté d'adaptation aux circonstances locales.
En ce qui concerne les motifs de l'arrêt attaqué portant sur le caractère nécessaire des prescriptions contenues dans l'arrêté du 8 août 2018 :
8. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que les prescriptions de l'article 3.2.4 de l'arrêté préfectoral du 8 août 2018 relatives aux valeurs limites des concentrations dans les rejets atmosphériques et aux quantités maximales rejetées étaient nécessaires pour garantir la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, la cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'il ressortait d'un rapport de l'inspection des installations classées la présence de sulfure d'hydrogène à proximité de l'installation et qu'un fonctionnement en mode " bioréacteur " aurait pour effet une augmentation de la production de biogaz. Elle a également relevé, d'une part, que l'arrêté préfectoral d'autorisation initial du 17 juillet 2015 imposait déjà des valeurs limites d'émission que la société Gurdebeke n'avait pas de difficultés à respecter et, d'autre part, que la plupart des valeurs prescrites dans l'arrêté du 8 août 2018 étaient supérieures à celles retenues dans l'arrêté initial. En prenant en compte ces considérations relatives à la nécessité des prescriptions litigieuses, afin de se prononcer sur la légalité de l'arrêté du 8 août 2018 fixant des prescriptions complémentaires, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit.
9. En second lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel était saisie à la fois de conclusions tendant à l'annulation des prescriptions fixées à l'article 3.2.4, mais également de conclusions tendant à leur réformation pour les remplacer par d'autres valeurs limites proposées par la société requérante. En jugeant, eu égard à l'argumentation dont la société l'avait saisie, que cette dernière ne produisait aucun élément de nature à établir que les valeurs limites dont elle demandait l'application étaient sans danger pour l'environnement et la santé ou que cette société ne serait pas en mesure, pour des raisons techniques ou économiques, de respecter les seuils fixés par l'arrêté préfectoral litigieux, la cour administrative d'appel, qui n'a pas méconnu son office, n'a entaché son arrêt ni d'erreur de droit ni d'insuffisance de motivation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Gurdebeke n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Par suite, son pourvoi doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Gurdebeke est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Gurdebeke et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 novembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 20 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain