Vu la procédure suivante :
Par une décision du 14 février 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de Mme B... C... et M. D... C..., dirigées contre l'arrêt n° 20TL22696 du 7 mars 2023 de la cour administrative d'appel de Toulouse statuant sur l'appel qu'ils ont formé contre le jugement n° 1705280-1705281 du 18 juin 2020 du tribunal administratif de Toulouse, en tant seulement que cet arrêt a relevé d'office l'irrecevabilité des conclusions de leur demande tendant à l'indemnisation de préjudices liés aux conditions d'accueil et de vie réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2024, le ministre des armées conclut à ce qu'il soit fait droit aux conclusions tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué et au rejet de la requête d'appel de Mme C... et M. C....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de Mme C... et autre ;
Considérant ce qui suit :
1. Par des demandes enregistrées le 14 novembre 2017 au greffe du tribunal administratif de Toulouse, Mme B... C... et M. D... C... ont demandé à ce tribunal, à titre principal, de condamner l'État à leur verser, s'agissant de Mme C..., une somme de 84 337,15 euros et, s'agissant de M. C..., une somme de 1 530 971,01 euros, en réparation des préjudices subis par eux-mêmes et par leur père, décédé, M. A... C..., du fait de l'absence de dispositions prises par l'État afin d'éviter ou de minorer les violences perpétrées à leur encontre en Algérie, ainsi que du fait du manquement de l'État aux droits et libertés fondamentaux dans le traitement qui leur a été réservé à leur arrivée en France, dans des camps et jusqu'à la date d'introduction de leur requête. Par un jugement du 18 juin 2020, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes. Par une décision n° 473846 du 14 février 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission partielle de leur pourvoi contre l'arrêt n° 20TL22696 du 7 mars 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté leur appel formé contre ce jugement, en tant que cet arrêt a relevé d'office l'irrecevabilité des conclusions de leur demande tendant à l'indemnisation de préjudices liés aux conditions d'accueil et de vie réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles.
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français : " La Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu'elle a abandonnés./ Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l'indignité des conditions d'accueil et de vie sur son territoire, à la suite des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l'Algérie, des personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et des membres de leurs familles, hébergés dans des structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu'à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles qui ont été source d'exclusion, de souffrances et de traumatismes durables ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " Les personnes mentionnées à l'article 1er, leurs conjoints et leurs enfants qui ont séjourné, entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975, dans l'une des structures destinées à les accueillir et dont la liste est fixée par décret peuvent obtenir réparation des préjudices résultant de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans ces structures. / La réparation prend la forme d'une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures, versée dans des conditions et selon un barème fixés par décret. Son montant est réputé couvrir l'ensemble des préjudices de toute nature subis en raison de ce séjour. En sont déduites, le cas échéant, les sommes déjà perçues en réparation des mêmes chefs de préjudice ". L'article 4 de cette même loi institue une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement sous statut civil de droit local et les membres de leurs familles, qui est chargée notamment de statuer sur les demandes de réparation présentées sur le fondement de l'article 3.
3. Les dispositions de la loi du 23 février 2022, citées au point 2, instituent un mécanisme de réparation forfaitaire des préjudices résultant de l'indignité des conditions d'accueil et de vie dans les lieux où ont été hébergés en France, entre 1962 et 1975, les harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie ainsi que les membres de leurs familles. Ce régime particulier d'indemnisation fait obstacle, depuis son entrée en vigueur, à ce que la responsabilité de droit commun de l'Etat puisse être recherchée au titre des mêmes dommages.
4. En l'absence de dispositions transitoires en ce sens, les dispositions de la loi du 23 février 2022 ne sont pas applicables aux instances engagées antérieurement, mettant en cause la responsabilité de l'Etat à raison de ces conditions d'accueil et de vie en France, qui étaient en cours devant les juridictions administratives à la date d'entrée en vigueur de la loi. Pour ces instances, il appartient au juge administratif de régler les litiges dont il demeure saisi en faisant application des règles de droit commun régissant la responsabilité de l'Etat, y compris le cas échéant les règles de prescription si elles ont été opposées à la demande d'indemnisation, les personnes concernées restant pour leur part susceptibles de saisir la commission nationale créée par l'article 4 de la loi du 23 février 2022 d'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions de cette loi.
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 4, que la cour a commis une erreur de droit en jugeant, pour rejeter la requête des consorts C..., que leurs conclusions indemnitaires, fondées sur le seul droit commun de la responsabilité de la puissance publique et présentées avant l'entrée en vigueur de la loi du 23 février 2022, étaient irrecevables compte tenu de l'application exclusive et immédiate du régime spécial plus favorable défini par cette loi. Par suite, son arrêt doit être annulé.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que les consorts C... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser conjointement aux consorts C..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Toulouse du 7 mars 2023 est annulé en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions des consorts C... tendant à l'indemnisation de préjudices liés aux conditions d'accueil et de vie réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Toulouse.
Article 3 : L'Etat versera la somme globale de 2 000 euros à Mme C... et à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... C..., M. D... C... et au ministre des armées.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 décembre 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 14 février 2024.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq