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30/12/2024 | FRANCE | N°489134

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 30 décembre 2024, 489134


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 octobre 2023 et les 30 janvier et 16 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée Pierre Fabre Médicament demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont rejeté sa demande, présentée le 20 octobre 2022, tendant à l'inscription d

e la spécialité Nerlynx, 40 mg, comprimé pelliculé, sur la liste des spécialités remboursables...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 octobre 2023 et les 30 janvier et 16 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée Pierre Fabre Médicament demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont rejeté sa demande, présentée le 20 octobre 2022, tendant à l'inscription de la spécialité Nerlynx, 40 mg, comprimé pelliculé, sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision expresse du 29 août 2023 par laquelle les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont rejeté cette demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet, Kacenelenbogen, avocat de la société Pierre Fabre Médicament ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 décembre 2024, présentée par la société Pierre Fabre Médicament ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les spécialités pharmaceutiques ne peuvent être prises en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'elles sont dispensées en officine, que si elles figurent sur une liste, dite " ville ", établie, selon l'article R. 163-2 du même code, par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale. En vertu de l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, l'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation de ces spécialités par les collectivités publiques sont limités aux produits agréés dont la liste, dite " collectivités ", est établie par arrêté des mêmes ministres. Ces listes précisent les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge des médicaments. Il résulte, d'une part, de l'article R. 163-4 du code de la sécurité sociale et, d'autre part, des dispositions combinées des articles L. 5123-3 du code de la santé publique et L. 161-37 du code de la sécurité sociale que l'inscription sur ces listes est prononcée après avis de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé.

2. Il ressort des pièces du dossier que la spécialité Nerlynx (nératinib) 40 mg, comprimé pelliculé, développée par la société Pierre Fabre Médicament a obtenu une autorisation de mise sur le marché centralisée délivrée par la Commission européenne le 31 août 2018 dans l'indication du " traitement adjuvant prolongé du cancer du sein précoce à récepteurs hormonaux positifs caractérisé par une surexpression/amplification de HER2 et ayant terminé le traitement adjuvant à base de trastuzumab depuis moins d'un an ". Le 12 décembre 2019, la société Pierre Fabre Médicament a demandé l'inscription de cette spécialité dans cette indication sur la liste " ville " et sur la liste " collectivités ". Par un avis du 24 juin 2020, la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé a conclu à l'absence de service médical rendu suffisant et a indiqué être défavorable à son remboursement. La société Pierre Fabre Médicament a déposé une nouvelle demande le 20 octobre 2022. Par un avis du 19 avril 2023 confirmé le 24 mai suivant après l'audition de la société, la commission de la transparence s'est prononcée défavorablement sur cette demande. La société Pierre Fabre Médicament demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet de sa demande d'inscription et de la décision du 29 août 2023 par laquelle les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont rejeté expressément sa demande.

Sur la décision implicite de refus d'inscription :

3. La décision du 29 août 2023, par laquelle les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont refusé de manière expresse l'inscription de la spécialité en cause, s'est substituée à la décision de refus implicitement née auparavant du silence gardé sur la demande d'inscription dans les conditions mentionnées à l'article R. 163-9 du code de la sécurité sociale. Dès lors, les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite doivent être regardées comme dirigées contre la décision explicite du 29 août 2023.

Sur la décision expresse de refus d'inscription :

4. Aux termes de l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale : " I.- Les médicaments sont inscrits sur les listes ou l'une des listes prévues aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique au vu de l'appréciation du service médical rendu qu'ils apportent indication par indication. Cette appréciation prend en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le cas échéant, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux le cas échéant, et son intérêt pour la santé publique. Les médicaments dont le service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles ne sont pas inscrits sur l'une des listes. Le cas échéant, cette appréciation tient compte de l'incertitude résultant de l'absence, constatée au moment de la nouvelle évaluation, d'informations ou d'études complémentaires indispensables exigées dans un avis antérieur de la commission mentionnée à l'article R. 163-15. (...) " Il résulte de l'article R. 163-4 du même code que l'inscription d'un médicament sur l'une des listes prévues aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique est prononcée après avis de la commission de la transparence mentionnée à l'article R. 163-15 du de ce code. L'article R. 163-16 du même code prévoit que les avis rendus par cette commission sont motivés.

En ce qui concerne la légalité externe :

5. Il ressort des pièces du dossier que, dans son avis du 24 mai 2023 rendu après l'audition de la société Pierre Fabre Médicaments, la commission de la transparence a procédé à une analyse précise de la nouvelle demande déposée par cette société et s'est notamment prononcée sur les compléments apportés à sa précédente demande, provenant, s'agissant de l'efficacité de la spécialité Nerlynx, de nouvelles analyses issues de l'étude " ExteNET ", et, s'agissant du profil de tolérance de cette spécialité, de nouvelles données tirées de l'étude " Control " et des nouvelles études observationnelles " Eleanor " et " US Chart Review ". Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la commission de la transparence a suffisamment motivé son avis. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée aurait été prise sur la base d'un avis insuffisamment motivé, en méconnaissance du II de l'article R. 163-16 du code de la sécurité sociale, doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

6. Par la décision contestée, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale se sont appropriés l'avis rendu le 24 mai 2023 par la commission de la transparence selon lequel la spécialité Nerlynx présentait un service médical rendu insuffisant, en raison d'un niveau de preuve insuffisant pour démontrer son efficacité dans l'indication validée par l'autorisation de mise sur le marché ainsi que d'un profil de tolérance médiocre dû à une toxicité gastro-intestinale importante et une hépatotoxicité.

7. En premier lieu, si, s'agissant de l'efficacité de la spécialité Nerlynx, la société requérante fait valoir que l'étude " ExteNET " de phase III, dont le critère de jugement principal était la survie sans maladie invasive, a démontré la supériorité de cette spécialité par rapport au placebo, elle ne conteste pas utilement les critiques formulées par la commission de la transparence, selon lesquelles les données d'efficacité sont en partie issues d'analyses sur des sous-groupes qui n'étaient pas prévues dans le protocole de l'étude et ont été définis " post hoc " sans contrôle du risque d'erreur dû aux possibles biais méthodologiques induits par cette sélection, en se bornant à faire valoir que l'étude " ExteNET " a fait l'objet de publications dans des revues spécialisées et que la commission de la transparence a déjà accepté, pour d'autres spécialités, de restreindre la population à un sous-groupe défini " post hoc ". La requérante ne conteste en outre pas sérieusement que l'analyse du suivi à cinq ans des patientes testées n'a pas fait l'objet d'un contrôle du risque d'erreur, ni que l'analyse de la survie globale à neuf ans des patientes, correspondant au critère de jugement secondaire de l'étude, n'a pas donné lieu à des différences statistiquement significatives.

8. En second lieu, s'agissant de la tolérance de la spécialité Nerlynx, si la société requérante se prévaut de nouvelles données, résultant des études observationnelles " Control ", " Eleanor " et " US Chart Review ", attestant d'une baisse de la toxicité gastro-intestinale par rapport aux résultats mentionnés dans sa précédente demande, il ressort de ces études que l'incidence des diarrhées de grade 3 induites par le traitement reste élevée y compris quand sont prises des mesures de prophylaxie. La société requérante ne conteste par ailleurs pas l'hépatotoxicité du traitement également relevée par la commission de la transparence.

9. Par suite, alors même qu'elle est destinée à traiter une maladie grave engageant le pronostic vital pour laquelle il existe un besoin médical insuffisamment couvert, qu'elle a bénéficié d'une autorisation de mise sur le marché et qu'elle a été admise au remboursement dans d'autres Etats, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale pouvaient, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, considérer, compte tenu de ses effets indésirables et en l'absence de preuve suffisante de son efficacité, qu'il n'y avait pas lieu d'inscrire la spécialité Nerlynx sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités.

10. Il s'ensuit que les conclusions de la requérante à fin d'annulation doivent être rejetées. Il en va de même, par suite, des conclusions qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Pierre Fabre Médicament est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Pierre Fabre Médicament et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 489134
Date de la décision : 30/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2024, n° 489134
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyril Noël
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot
Avocat(s) : SCP POUPET & KACENELENBOGEN

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:489134.20241230
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