Vu la procédure suivante :
L'association " La salamandre de l'Asnée " et autres ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 16 novembre 2018 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle a délivré, sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, d'une part, à la SA Batigère Habitat, d'autre part, à la SA Batigère Maison Familiale des dérogations aux interdictions de capture avec relâché et de destruction de spécimens de salamandres tachetées.
Par un jugement nos 1901302, 1901303 du 30 octobre 2020, le tribunal administratif a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 20NC03693 du 28 septembre 2023, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Batigère Habitat et la société Batigère Maison familiale contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 28 novembre 2023 et les 27 février et 17 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Batigère Habitat et autre demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'association " La salamandre de l'Asnée " et autres la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Batigère Habitat et autre, et à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de l'association La Salamandre de l'Asnée et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les sociétés Batigère Habitat et Batigère Maison Familiale, titulaires de permis de construire portant sur la construction, rue de Versigny à Villers-lès-Nancy, de trois bâtiments comprenant soixante logements locatifs sociaux et dix-huit logements en accession sociale à la propriété délivrés le 24 février 2017 par le maire de Villers-lès-Nancy, ont déposé auprès du préfet de Meurthe-et-Moselle, au titre des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, une demande de dérogation au régime de protection des espèces, eu égard à la présence de spécimens de salamandres tachetées le long du ruisseau de l'Asnée sur le territoire de la commune de Villers-lès-Nancy, à proximité du site d'implantation de leur projet. Par deux arrêtés du 16 novembre 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle les a autorisées à déroger à l'interdiction de capture temporaire avec relâché et de destruction des spécimens de salamandres tachetées. Par un arrêt du 28 septembre 2023 contre lequel ces deux sociétés se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté leur appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 octobre 2020 annulant, sur demande de l'association " La salamandre de l'Asnée " et autres, les deux arrêtés du préfet de Meurthe-et-Moselle du 16 novembre 2018.
2. L'article L. 411-1 du code de l'environnement prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, l'interdiction de " 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...). ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / (...) 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. En présence d'un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en estimant que le projet litigieux ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur au motif que celui-ci n'était pas nécessaire, à la date des arrêtés litigieux, pour permettre à la commune d'atteindre ses objectifs d'intérêt public d'aménagement durable et de politique du logement social et qu'il n'était pas démontré que le secteur auquel appartient la commune de Villers-lès-Nancy connaîtrait une situation de tension particulière dans ce domaine alors, d'une part que la construction de ces logements est destinée soit à permettre à une population modeste d'accéder à la propriété, soit à assurer le logement des populations les plus fragiles, et, d'autre part, que le taux de logements sociaux de la commune, observé sur une période significative de dix ans, était structurellement inférieur à l'objectif de 20 % fixé par le législateur et l'un des plus faibles de la métropole du Grand-Nancy, et qu'au demeurant les objectif fixés par la loi en termes de logements locatifs sociaux constituaient des seuils à atteindre et non des plafonds, la cour administrative d'appel de Nancy a inexactement qualifié les faits de l'espèce.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Batigère Habitat et la société Batigère Maison Familiale sont fondées à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association " La salamandre de l'Asnée " et autres la somme de 3 000 euros à verser à la société Batigère Habitat et autre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des sociétés requérantes qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 28 septembre 2023 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : L'association " La salamandre de l'Asnée " et autres verseront à la société Batigère Habitat et autre la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'association " La salamandre de l'Asnée " et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Batigère Habitat et à la société Batigère Maison Familiale, à l'association " La salamandre de l'Asnée ", première dénommée pour l'ensemble des autres défendeurs, et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 janvier 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 29 janvier 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain