Vu la procédure suivante :
La commune de Grabels a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner, d'une part, la suspension de l'exécution de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 12 décembre 2023, complémentaire à l'arrêté du 8 juillet 2019 et à l'arrêté du 26 octobre 2021 portant dérogation aux interdictions de destruction et de perturbations d'espèces protégées pour le projet d'aménagement de la route départementale RD 68 entre l'autoroute A 750 à Bel-Air et la route départementale RD 986 au nord de Saint-Gély-du-Fesc (Hérault) et, d'autre part, la production, par le département de l'Hérault, des résultats relatifs aux transplantations de glaïeuls douteux réalisées dans le cadre des deux arrêtés précités de 2019 et 2021.
Par une ordonnance n° 2307436 du 12 janvier 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'État les 29 janvier, 7 février et 20 novembre 2024, la commune de Grabels demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'ordonnance qu'elle attaque est entachée :
- d'irrégularité de procédure, faute pour le juge des référés d'avoir fait droit à sa demande tendant à ce que soit différée la clôture de l'instruction pour garantir le caractère contradictoire de la procédure ;
- d'erreur de droit et d'une méconnaissance, par le juge des référés, de son office en rejetant ses conclusions à fin de suspension sans ordonner de mesure d'instruction de nature à vérifier l'effet des précédentes transplantations de glaïeuls douteux réalisées par le département de l'Hérault dans le cadre des deux précédents arrêtés pris en 2019 et 2021 ;
- d'erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier, en jugeant que n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement ;
- d'erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier en jugeant que n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait le principe de participation du public dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'une consultation du public ;
- d'erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier en jugeant que n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de ce qu'elle serait intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière, en l'absence de consultation du Conseil national de la protection de la nature et du conseil scientifique régional du patrimoine naturel.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 19 février 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable, fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la commune de Grabels et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat du département de l'Hérault ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier que, par un arrêté du 8 juillet 2019, le préfet de l'Hérault a délivré au département de l'Hérault une dérogation aux interdictions de destruction et de perturbation d'espèces protégées pour le projet d'aménagement de la route départementale RD 68, dénommé " Liaison intercantonale d'évitement nord " (Lien), entre l'autoroute A 750 et la route départementale RD 986 au nord de Saint-Gély-du-Fesc (Hérault), portant sur cent-neuf espèces protégées et autorisant, notamment, la destruction de trente spécimens de glaïeuls douteux (gladiolus dubius). Par un arrêté du 26 octobre 2021, complémentaire à celui du 8 juillet 2019, le préfet de l'Hérault a autorisé, notamment, la destruction de vingt spécimens supplémentaires de glaïeuls douteux. Par un arrêté du 12 décembre 2023, complémentaire aux arrêtés du 8 juillet 2019 et du 26 octobre 2021, le préfet de l'Hérault a autorisé, au bénéfice du département de l'Hérault, la destruction de trois-cent-quarante pieds supplémentaires de glaïeuls douteux.
2. La commune de Grabels se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 12 janvier 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, la suspension de l'exécution de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 12 décembre 2023 et, d'autre part, la production, par le département de l'Hérault, des résultats relatifs aux précédentes transplantations de glaïeuls douteux réalisées dans le cadre des deux arrêtés précités du 8 juillet 2019 et du 26 octobre 2021.
Sur le non-lieu :
3. S'il est soutenu en défense par la ministre chargée de l'environnement que l'arrêté du 12 décembre 2023 a permis au département de l'Hérault de procéder à la transplantation de trois-cent quarante pieds de glaïeuls douteux et que les opérations de destruction de cette espèce sur l'emprise du projet ont été réalisées lors de l'hiver 2023-2024, il ressort de cet arrêté que les mesures compensatoires et de suivi qu'il prévoit doivent être réalisées sur une période de trente ans. Cet arrêté n'ayant pas épuisé ses effets à la date de la présente décision, le pourvoi conserve, dès lors, un objet.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
4. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale ". Selon l'article R. 522-4 du même code : " Notification de la requête est faite aux défendeurs. Les délais les plus brefs sont donnés aux parties pour fournir leurs observations. Ils doivent être rigoureusement observés, faute de quoi il est passé outre sans mise en demeure ". L'article R. 522-7 du même code dispose que : " L'affaire est réputée en état d'être jugée dès lors qu'a été accomplie la formalité prévue au premier alinéa de l'article R. 522-4 et que les parties ont été régulièrement convoquées à une audience publique pour y présenter leurs observations ". Enfin, en vertu des dispositions de l'article R. 522-8 du même code : " L'instruction est close à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. / (...) L'instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience ".
5. Sauf dans le cas où il est fait application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, ces dispositions font obligation au juge des référés, afin que soit respecté le caractère contradictoire de la procédure, de communiquer au demandeur, par tous moyens, les observations écrites de la partie adverse, y compris lors de l'audience pendant laquelle se poursuit l'instruction de la demande de suspension. Il lui revient, lorsque ces observations sont produites au cours de l'audience ou peu de temps avant, d'apprécier au cas par cas, en tenant compte notamment de ce que lui demande l'autre partie, qui peut souhaiter faire valoir des éléments nouveaux qu'elle n'était pas en mesure d'invoquer précédemment, s'il y a lieu soit de suspendre l'audience ou de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure à celle-ci, soit au contraire de ne pas le faire.
6. D'une part, si le mémoire en défense que le département de l'Hérault a produit le 10 janvier 2024 en fin d'après-midi n'a été communiqué à la commune de Grabels que le 11 janvier à 8 heures 25, alors que l'audience était fixée ce même jour à 9 heures 30, il était loisible à la commune d'y répondre au cours de l'audience alors, au demeurant, que la commune avait été destinataire, le 10 janvier 2024, du mémoire produit par le préfet de l'Hérault, autre codéfendeur, qui tendait aux mêmes conclusions et développait les mêmes moyens. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés que la commune requérante, qui, ainsi que le mentionnent les visas de l'ordonnance attaquée, était représentée à l'audience de référé, aurait sollicité du juge des référés du tribunal administratif que soit suspendue l'audience à la suite de la production du mémoire du département ou que soit différée la clôture de l'instruction à une date postérieure à celle-ci. En tout état de cause, elle n'a pas non plus produit, à l'issue de l'audience, d'éléments nouveaux susceptibles de justifier un report de la clôture de l'instruction ou, ultérieurement, une réouverture de celle-ci. Dans ces conditions, la circonstance que le mémoire du département de l'Hérault aurait été communiqué dans un délai court n'est pas de nature à méconnaître le caractère contradictoire de la procédure.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
8. La commune de Grabels n'est pas fondée à soutenir que le juge des référés aurait commis une erreur de droit ou méconnu son office en rejetant ses conclusions à fin de suspension sans ordonner de mesure d'instruction de nature à vérifier l'effet des précédentes transplantations de glaïeuls douteux réalisées par le département de l'Hérault dans le cadre des deux précédents arrêtés pris en 2019 et 2021.
9. En retenant que n'étaient pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée les moyens tirés de ce qu'elle méconnaîtrait les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, que le principe de participation aurait été méconnu et de ce qu'elle serait intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière, faute de consultation du Conseil national de la protection de la nature et du conseil scientifique régional du patrimoine naturel, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit, méconnu son office ni entaché son appréciation des pièces du dossier de dénaturation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par la ministre, la commune de Grabels n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque. Son pourvoi doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Grabels la somme de 2 000 euros à verser au département de l'Hérault, au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Grabels est rejeté.
Article 2 : La commune de Grabels versera au département de l'Hérault une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Grabels, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et au département de l'Hérault.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 janvier 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.
Rendu le 10 février 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Magalie Café