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11/02/2025 | FRANCE | N°491128

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 11 février 2025, 491128


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 janvier et 12 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Médiflash demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et par le ministre de la santé et de la prévention sur sa demande tendant à l'abrogation de la lettre n° D21-031940/CA/VS du 30 décembre 2021 relative aux pl

ateformes électroniques proposant la mise en relation avec des professionnels paramédicaux...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 janvier et 12 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Médiflash demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et par le ministre de la santé et de la prévention sur sa demande tendant à l'abrogation de la lettre n° D21-031940/CA/VS du 30 décembre 2021 relative aux plateformes électroniques proposant la mise en relation avec des professionnels paramédicaux exerçant sous statut indépendant ;

2°) d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion d'abroger cette lettre ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Médiflash ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 janvier 2025, présentée par la société Médiflash ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Médiflash doit être regardée comme ayant demandé à la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et au ministre de la santé et de la prévention, par un courrier du 4 octobre 2023, d'abroger la lettre qu'ils avaient adressée, le 30 décembre 2021, aux directeurs des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux sur le recours aux services de personnels paramédicaux sous un statut de travailleur indépendant, par l'intermédiaire de plateformes de mise en relation, en tant qu'elle vise la profession d'aide-soignant. La société requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle les ministres ont rejeté sa demande.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre du travail, de la santé et des solidarités :

2. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif, peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.

3. La lettre du 30 décembre 2021 de la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et du ministre des solidarités et de la santé vise explicitement à mettre en garde les directeurs d'établissements de santé, sociaux et médico-sociaux quant au recours aux services de certains professionnels paramédicaux, dont les aides-soignants, sous un statut de travailleur indépendant, en faisant valoir l'illégalité de cette situation au regard des dispositions du code de la santé publique et du code du travail et le risque, en cas de contentieux, de requalification des contrats conclus avec ces professionnels en contrat de travail ainsi que de possibles sanctions pénales pour travail dissimulé. Eu égard à sa teneur et à l'interprétation du droit positif qu'elle comporte, cette lettre est susceptible d'avoir des effets notables sur la situation des professionnels médicaux et paramédicaux qui exercent sous un tel statut comme sur celle de la société requérante, dont l'activité exclusive est de mettre en relation ces professionnels et des établissements de santé, sociaux et médico-sociaux. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par le ministre du travail, de la santé et des solidarités tirée de ce que cette lettre et, partant, la décision implicite rejetant la demande de son abrogation formée par la société requérante, seraient insusceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, doit être écartée.

Sur la légalité de la décision attaquée :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 8221-6 du code du travail : " I.- Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription : / 1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au registre national des entreprises en tant qu'entreprise du secteur des métiers et de l'artisanat, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales (...). II.- L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci. / Dans ce cas, la dissimulation d'emploi salarié est établie si le donneur d'ordre s'est soustrait intentionnellement par ce moyen à l'accomplissement des obligations incombant à l'employeur mentionnées à l'article L. 8221-5 (...) ". Aux termes de l'article L. 8221-6-1 du même code : " Est présumé travailleur indépendant celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d'ordre. " Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, l'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle. Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 4311-4 du code de la santé publique : " Lorsque les actes accomplis et les soins dispensés relevant de son rôle propre sont dispensés dans un établissement ou un service à domicile à caractère sanitaire, social ou médico-social, l'infirmier ou l'infirmière peut, sous sa responsabilité, les assurer avec la collaboration d'aides-soignants, d'auxiliaires de puériculture ou d'accompagnants éducatifs et sociaux qu'il encadre et dans les limites respectives de la qualification reconnue à chacun du fait de sa formation. Cette collaboration peut s'inscrire dans le cadre des protocoles de soins infirmiers mentionnés à l'article R. 4311-3. / L'infirmier ou l'infirmière peut également confier à l'aide-soignant ou l'auxiliaire de puériculture la réalisation, le cas échéant en dehors de sa présence, de soins courants de la vie quotidienne, définis comme des soins liés à un état de santé stabilisé ou à une pathologie chronique stabilisée et qui pourraient être réalisés par la personne elle-même si elle était autonome ou par un aidant ".

6. Il résulte des dispositions de l'article R. 4311-4 du code de la santé publique, qui seules définissent les actes pouvant être réalisés par les aides-soignants dans les établissements à caractère sanitaire, social ou médico-social, que les aides-soignants ne peuvent, dans ces établissements, exercer leur activité que sous la responsabilité d'un infirmier ou d'une infirmière, ce qui implique qu'ils sont placés sous la conduite d'un infirmier ou d'une infirmière. En outre, au sein d'un établissement de santé ou d'un établissement social ou médico-social, les aides-soignants ne peuvent exercer leur activité que dans le respect de l'organisation interne de l'établissement et des emplois du temps arrêtés à cette fin et qu'avec les moyens de l'établissement s'agissant des soins à donner aux patients. Il en résulte que, lorsqu'ils exercent au sein d'un tel établissement, les aides-soignants doivent nécessairement être regardés comme étant placés sous l'autorité et le contrôle de la hiérarchie de cet établissement. Par suite, les ministres ont pu légalement, par la lettre du 30 décembre 2021, mettre en garde les directeurs des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux quant au recours aux services, par l'intermédiaire de plateformes de mise en relation, d'aides-soignants sous le statut de travailleur indépendant, en qualité d'auto-entrepreneur ou de micro-entrepreneur, au regard tant des dispositions de l'article R. 4311-4 du code de la santé publique que des dispositions du II de l'article L. 8221-6 du code du travail, en dépit de la présomption qui, aux termes du I du même article, s'attache à l'activité des personnes affiliées au régime de la micro-entreprise.

7. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que, ce faisant, les ministres auraient porté une atteinte illégale à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie.

8. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et le ministre de la santé et de la prévention ont rejeté sa demande tendant à l'abrogation de la lettre du 30 décembre 2021 en tant qu'elle vise la profession d'aide-soignant.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font dès lors obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Médiflash est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Médiflash et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 janvier 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat, Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat, M. Laurent Cabrera et M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 11 février 2025.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Ségolène Cavaliere

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 491128
Date de la décision : 11/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-035 SANTÉ PUBLIQUE. - PROFESSIONS MÉDICALES ET AUXILIAIRES MÉDICAUX. - AIDES-SOIGNANTS – EXERCICE DANS DES ESSMS – AIDES-SOIGNANTS DEVANT NÉCESSAIREMENT ÊTRE REGARDÉS COMME PLACÉS SOUS L’AUTORITÉ ET LE CONTRÔLE DE LA HIÉRARCHIE DE L’ÉTABLISSEMENT – CONSÉQUENCE – RECOURS À DES AIDES-SOIGNANTS SOUS LE STATUT DE TRAVAILLEUR INDÉPENDANT – LÉGALITÉ – ABSENCE.

61-035 Il résulte des dispositions de l’article R. 4311-4 du code de la santé publique (CSP), qui seules définissent les actes pouvant être réalisés par les aides-soignants dans les établissements à caractère sanitaire, social ou médico-social (ESSMS), que les aides-soignants ne peuvent, dans ces établissements, exercer leur activité que sous la responsabilité d’un infirmier ou d’une infirmière, ce qui implique qu’ils sont placés sous la conduite d’un infirmier ou d’une infirmière. En outre, au sein d’un tel établissement, les aides-soignants ne peuvent exercer leur activité que dans le respect de l’organisation interne de l’établissement et des emplois du temps arrêtés à cette fin et qu’avec les moyens de l’établissement s’agissant des soins à donner aux patients. Il en résulte que, lorsqu’ils exercent au sein d’un tel établissement, les aides-soignants doivent nécessairement être regardés comme étant placés sous l’autorité et le contrôle de la hiérarchie de cet établissement. ...Par suite, l’autorité administrative a pu légalement mettre en garde les directeurs des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux quant au recours aux services, par l’intermédiaire de plateformes de mise en relation, d’aides-soignants sous le statut de travailleur indépendant, en qualité d’auto-entrepreneur ou de micro-entrepreneur, en faisant valoir l’illégalité de cette situation au regard tant de l’article R. 4311-4 du CSP que du II de l’article L. 8221-6 du code du travail, et le risque, en cas de contentieux, de requalification des contrats conclus avec ces professionnels en contrat de travail ainsi que de possibles sanctions pénales pour travail dissimulé.


Publications
Proposition de citation : CE, 11 fév. 2025, n° 491128
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ségolène Cavaliere
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:491128.20250211
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