Vu les procédures suivantes :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de réformer la décision du 6 décembre 2021 par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a approuvé, après réformation, le compte de campagne qu'il a déposé au titre de l'élection des conseillers régionaux des 20 et 27 juin 2021 dans la région Bretagne. Par un jugement n° 2202638 du 29 juin 2023, le tribunal administratif a partiellement fait droit à sa demande en réformant ce compte pour y réintégrer une somme de 19 200 euros relative à des frais d'affichage et en fixant le montant du remboursement qui dû par l'État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral à la somme de 227 492 euros, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par un arrêt n° 23PA03382 du 22 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. B..., réformé ce jugement et la décision de la CNCCFP pour réintégrer au compte de campagne du candidat la somme de 3 959 euros relative à des frais d'entretien de ses véhicules de campagne, a porté en conséquence le montant du remboursement qui lui était dû par l'État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral à la somme de 253 676 euros, et a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
1° Sous le n° 491632, par un pourvoi enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 9 février 2024, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt en tant qu'il réintègre les frais de réparation de véhicules de M. B... dans son compte de campagne et en tant qu'il omet de déduire du montant du remboursement dû par l'Etat la somme de 4 080 euros correspondant à des frais de flocage de ces véhicules.
2° Sous le n° 492123, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 26 février et 27 mai 2024, M. B... demande au Conseil d'Etat d'annuler le même arrêt en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions d'appel, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du I de l'article L. 52-12 du code électoral : " Chaque (...) candidat tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11 est tenu d'établir un compte de campagne lorsqu'il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés (...). / Pour la période mentionnée à l'article L. 52-4 du présent code, le compte de campagne retrace, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection par (...) le candidat tête de liste ou pour son compte, à l'exclusion des dépenses de la campagne officielle. / Sont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l'accord de celui-ci, par les personnes physiques qui lui apportent leur soutien, ainsi que par les partis et groupements politiques qui ont été créés en vue de lui apporter leur soutien ou qui lui apportent leur soutien. Le candidat estime et inclut, en recettes et en dépenses, les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont il a bénéficié. Le compte de campagne doit être en équilibre ou excédentaire et ne peut présenter un déficit. (...) ". Aux termes de l'article L. 52-11-1 du même code : " Les dépenses électorales des candidats aux élections auxquelles l'article L. 52-4 est applicable font l'objet d'un remboursement forfaitaire de la part de l'État égal à 47,5 % de leur plafond de dépenses. Ce remboursement ne peut excéder le montant des dépenses réglées sur l'apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne. / Le remboursement forfaitaire n'est pas versé aux candidats qui ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés au premier tour de scrutin (...) ". Aux termes de l'article L. 52-15 du même code : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l'article L. 52-11-1. (...) / Le remboursement total ou partiel des dépenses retracées dans le compte de campagne, quand la loi le prévoit, n'est possible qu'après l'approbation du compte de campagne par la commission (...) ".
2. Les dépenses électorales susceptibles de faire l'objet, en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral, d'un remboursement forfaitaire de la part de l'Etat sont celles qui ont pour finalité l'obtention des suffrages des électeurs. Il appartient au juge de se prononcer sur le droit au remboursement du candidat et de réformer le cas échéant son compte de campagne, en arrêtant le montant du remboursement auquel le candidat peut prétendre de la part de l'État.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 6 décembre 2021, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a approuvé, après l'avoir réformé, le compte de campagne déposé par M. B..., candidat tête de liste à l'élection des conseillers régionaux qui s'est déroulée les 20 et 27 juin 2021 dans la région Bretagne. Par cette décision, la Commission a notamment retenu, d'une part, qu'il y avait lieu de retrancher du compte, en dépenses et en recettes, les sommes de 19 200 euros correspondant à des frais d'affichage et de 3 959 euros correspondant à des frais de réparation de véhicules et, d'autre part, qu'une somme de 4 080 euros correspondant à des frais de flocage de véhicules, constitutif d'un affichage électoral irrégulier, ne pouvait, de ce fait, donner lieu à remboursement par l'Etat. La Commission a, en conséquence, arrêté le montant des dépenses du compte de M. B... à 233 551 euros, le montant de ses recettes à 235 326 euros et le montant du remboursement dû par l'État à 226 797 euros.
4. Sur la demande de M. B..., le tribunal administratif de Paris a réformé la décision de la Commission pour réintégrer dans le compte de M. B... au titre de ses seules dépenses la somme de 19 200 euros correspondant à des frais d'affichage. Il a, en conséquence, arrêté le montant des dépenses du compte de M. B... à 252 751 euros, le montant de ses recettes à 235 326 euros et le montant du remboursement dû par l'État à 227 492 euros, et rejeté le surplus des conclusions de la demande. Sur appel de M. B..., la cour administrative d'appel de Paris, par un arrêt du 22 décembre 2023, a réformé ce jugement et la décision de la CNCCFP pour réintégrer dans le compte de campagne, en recettes et en dépenses, la somme correspondant à cinq des six factures de réparation de véhicules rejetées par la commission et pour arrêter, en conséquence, le montant des dépenses du compte de M. B... à 256 350 euros, le montant de ses recettes à 258 125 euros et le montant du remboursement dû par l'État à 253 676 euros.
5. Sous le n° 491632, la CNCCFP demande l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il réintègre les factures de réparation de véhicules de M. B... dans son compte de campagne et en tant qu'il omet de déduire du montant du remboursement dû par l'Etat la somme de 4 080 euros correspondant à des frais de flocage de véhicules. Sous le n° 492123, M. B... demande l'annulation de cet arrêt en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions d'appel. Les pourvois de la CNCCFP et de M. B... étant dirigés contre le même arrêt, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur le pourvoi de M. B... :
6. Aux termes de l'article L. 51 du code électoral : " Pendant la durée de la période électorale, dans chaque commune, des emplacements spéciaux sont réservés par l'autorité municipale pour l'apposition des affiches électorales. / Dans chacun de ces emplacements, une surface égale est attribuée à chaque candidat, chaque binôme de candidats ou à chaque liste de candidats. / Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l'élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l'emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu'en dehors des panneaux d'affichage d'expression libre lorsqu'il en existe. / En cas d'affichage électoral apposé en dehors des emplacements prévus au présent article, le maire ou, à défaut, le préfet peut, après une mise en demeure du ou des candidats en cause, procéder à la dépose d'office des affiches. "
7. La cour administrative d'appel a retenu qu'il résultait de l'instruction que M. B... avait fait circuler durant les six mois précédant les élections régionales, dans toute la circonscription, deux véhicules utilitaires revêtus d'un flocage de larges dimensions illustré par sa photographie et par celle de certains de ses colistiers ainsi que par un slogan électoral invitant à voter pour eux. En jugeant qu'il résultait de ces constats, suffisants et exempts de dénaturation, que ce flocage excédait le marquage nécessaire au simple signalement à la vue du public de la présence d'une permanence électorale, même mobile, elle a exactement qualifié les faits de l'espèce. En en déduisant qu'il constituait un affichage électoral apposé en dehors des emplacements autorisés à cette fin, au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 51 du code électoral, et que les frais correspondant à son apposition constituaient, par suite, une dépense irrégulière ne pouvant donner lieu à remboursement, elle a exactement qualifié les faits de l'espèce et n'a pas commis d'erreur de droit.
Sur le pourvoi de la CNCCFP :
8. Les dépenses correspondant aux frais de réparation de véhicules de location n'ayant pas eu en elles-mêmes, alors même que ces véhicules avaient été employés par M. B... comme permanences de campagne mobiles, l'obtention des suffrages pour finalité, la cour administrative d'appel de Paris a inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'elles devaient être regardées comme engagées ou effectuées en vue de l'élection. La CNCCFP est, par suite, fondée à soutenir que son arrêt doit être annulé en tant qu'il réintègre ces dépenses dans le compte de campagne du candidat.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêt du 22 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris doit être annulé en tant qu'il réintègre dans les dépenses et recettes du compte de campagne de M. B... les frais de réparation de véhicules du candidat et, en conséquence, en tant qu'il fixe le montant du remboursement dû au candidat par l'Etat et en tant qu'il condamne l'Etat à verser la somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi de la CNCCFP.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
11. En premier lieu, il résulte de l'instruction que sont restés à la charge de M. B..., en plus des frais de location des deux véhicules qu'il a employés comme permanences de campagne mobiles, des frais de changement de pneus et de carrosserie, retracés par six factures, d'un montant total de 3 959 euros, excédant la couverture assurancielle prévue par son contrat de location. Bien qu'exposés à l'occasion de la campagne, ces frais de réparation, qui n'ont pas eu pour fin de solliciter les suffrages des électeurs mais seulement, pour le locataire des véhicules, de faire face à sa responsabilité vis-à-vis du loueur du fait des dommages causés à ces véhicules, ne peuvent être regardés comme exposés en vue de l'élection au sens et pour l'application de l'article L. 52-12 du code électoral. Il en résulte que les dépenses du compte de campagne de M. B... doivent être arrêtées à la somme de 252 391 euros et ses recettes à la somme de 254 166 euros, soit un excédent de 1 775 euros.
12. En second lieu, il résulte de l'instruction que le montant ainsi arrêté des dépenses à caractère électoral de M. B..., dont la liste a obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés, est inférieur à 47,5 % du plafond des dépenses, mais supérieur au montant de ses apports personnels diminué de l'excédent de son compte, lequel s'établit à 250 077 euros. Il résulte par suite des dispositions de l'article L. 52-11-1 du code électoral que le montant du remboursement qui lui est dû par l'Etat doit être fixé au montant de son apport personnel diminué de l'excédent de son compte et de la somme de 4 080 euros, correspondant aux frais de flocage de véhicules qui, quoiqu'intégrés dans son compte de campagne, ne peuvent, du fait de l'irrégularité de la dépense, donner lieu à remboursement.
13. Il y a lieu, par suite, de fixer le montant du remboursement forfaitaire dû par l'État à M. B... à la somme de 245 997 euros, et de réformer en conséquence le jugement du 29 juin 2023 du tribunal administratif de Paris et la décision du 6 décembre 2021 de la CNCCFP.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que les sommes demandées par M. B... soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi présenté sous le n° 492123 par M. B... est rejeté.
Article 2 : L'arrêt du 22 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il réintègre dans les dépenses et recettes du compte de campagne de M. B... la somme correspondant à des frais de réparation de véhicules, en tant qu'il fixe le montant du remboursement dû au candidat par l'Etat et en tant qu'il met à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le compte de campagne de M. B..., déposé au titre de l'élection des conseillers régionaux des 20 et 27 juin 2021 dans la région Bretagne, est modifié conformément aux motifs de la présente décision.
Article 4 : Le montant du remboursement dû par l'État à M. B... en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral est fixé à la somme de 245 997 euros.
Article 5 : Le jugement du 29 juin 2023 du tribunal administratif de Paris et la décision du 6 décembre 2021 de la CNCCFP sont réformés en ce qu'ils ont de contraire à la présente décision.
Article 6 : Les conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative devant la cour administrative d'appel de Paris et le Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 janvier 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat, Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat ; M. Laurent Cabrera et M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes et M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 11 février 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Dominique Langlais
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet