Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser la somme de 800 euros par mois à compter du 8 août 2013, assortie des intérêts au taux légal capitalisés, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son absence de relogement.
Par un jugement n° 2111988 du 25 janvier 2023, le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à Mme B... la somme de 1 850 euros.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 janvier et 3 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à son avocat, Maître Benoît Soltner, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 avril 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet du pourvoi. Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Hortense Naudascher, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Soltner, avocat de Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 8 février 2013, la commission de médiation de Paris a désigné Mme A... B... comme prioritaire et devant être logée en urgence, en application des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation. En l'absence de proposition de logement, Mme B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser, en réparation des préjudices ayant résulté de la carence de l'Etat à assurer son relogement, la somme de 800 euros par mois à compter du 8 août 2013, assortie des intérêts au taux légal, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés. Mme B... demande l'annulation du jugement du 25 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif n'a que partiellement fait droit à sa demande.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 300-1 du code de la construction et de l'habitation : " Le droit à un logement décent et indépendant (...) est garanti par l'Etat à toute personne qui (...) n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir ". Aux termes du II de l'article L. 441-2-3 du même code : " (...) Dans un délai fixé par décret, la commission de médiation désigne les demandeurs qu'elle reconnaît prioritaires et auxquels un logement doit être attribué en urgence (...). La commission de médiation transmet au représentant de l'Etat dans le département la liste des demandeurs auxquels doit être attribué en urgence un logement (...). Le représentant de l'Etat dans le département désigne chaque demandeur à un organisme bailleur disposant de logements correspondant à la demande. En Ile-de-France, il peut aussi demander au représentant de l'Etat d'un autre département de procéder à une telle désignation. (...) / En cas de refus de l'organisme de loger le demandeur, le représentant de l'Etat dans le département qui l'a désigné procède à l'attribution d'un logement correspondant aux besoins et aux capacités du demandeur sur ses droits de réservation (...) ".
3. D'autre part, le deuxième alinéa de l'article L. 441-2-1 du code de la construction et de l'habitation dispose, dans sa rédaction alors en vigueur, que toute demande de logement social " fait l'objet (...) d'un enregistrement dans le système national d'enregistrement (...). Chaque demande est identifiée par un numéro unique délivré au niveau régional en Ile-de-France ". Aux termes du neuvième alinéa du même article : " Aucune attribution de logement ne peut être décidée, ni aucune candidature examinée par une commission d'attribution si la demande n'a pas fait l'objet d'un enregistrement assorti de la délivrance d'un numéro unique ". L'article R. 441-2-7 du même code précise que : " La demande de logement social a une durée de validité d'un an à compter de sa présentation initiale ou, le cas échéant, de son dernier renouvellement./ Un mois au moins avant la date d'expiration de validité de la demande, le demandeur reçoit notification, par lettre recommandée avec accusé de réception ou tout autre moyen permettant d'attester la remise ou par voie électronique lorsque le demandeur a enregistré ou renouvelé au moins une fois sa demande par cette voie, de la date à laquelle sa demande cessera d'être valide si la demande n'est pas renouvelée. Cette notification l'informe que le défaut de renouvellement dans le délai imparti entraînera la radiation de sa demande ". Enfin, l'article R. 441-2-8 du même code dispose que : " Une demande ne peut faire l'objet d'une radiation du fichier d'enregistrement que pour l'un des motifs suivants (...) : / e) Absence de renouvellement de la demande dans le délai imparti par la notification adressée au demandeur (...) ".
4. Lorsqu'une personne a été reconnue comme prioritaire et comme devant être logée ou relogée d'urgence par une commission de médiation, en application des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, la carence fautive de l'Etat à exécuter cette décision dans le délai imparti engage sa responsabilité jusqu'à ce qu'un logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités définis par la commission lui ait effectivement été proposé ou, le cas échéant, à ce que l'administration soit déliée de l'obligation qui pèse sur elle si l'intéressé a fait obstacle, par son comportement, à cette exécution.
5. En l'espèce, le tribunal administratif a estimé que la période de responsabilité de l'Etat avait pris fin le 8 juin 2015, au motif que Mme B... avait alors été radiée de la liste des demandeurs de logement social, en application des dispositions précitées de l'article R. 441-2-7 et du e) de l'article R. 441-2-8 du code de la construction et de l'habitation, faute d'avoir renouvelé sa demande de logement social à son échéance, dans le délai qui lui avait été imparti. En se prononçant ainsi, sans rechercher si cette circonstance caractérisait une renonciation à sa demande ou une entrave à l'exécution de la décision de la commission de médiation, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. Son jugement doit, par suite, être annulé.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Il ressort des pièces du dossier que si Mme B... a omis, en mai 2015, de renouveler sa demande de logement social dans les délais qui lui étaient impartis, elle n'avait pas l'intention de renoncer au bénéfice de sa demande et de la priorité qui lui avait été reconnue par la décision de la commission de médiation du 8 février 2013 et elle a, du reste, immédiatement accompli des démarches à cet effet. Elle a notamment saisi, de nouveau, la commission de médiation le 28 novembre 2015. Si celle-ci a, par une décision du 14 mars 2018, rejeté sa demande comme irrecevable, c'est principalement au motif que Mme B... avait déjà été désignée comme prioritaire pour être relogée, ce que, du reste, la commission de médiation confirmera, une nouvelle fois, par une décision du 21 juillet 2021. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à demander l'indemnisation des troubles dans ses conditions d'existence et dans celles de ses enfants résultant du maintien de la situation qui a motivé la décision initiale de la commission, du 8 août 2013, date d'expiration du délai de six mois imparti au préfet pour provoquer une offre de logement, au 7 décembre 2021, date à laquelle une telle offre lui a effectivement été proposée. Il sera fait une juste appréciation de l'indemnisation due, à ce titre, à Mme B..., étant précisé qu'elle avait à charge trois enfants pendant l'ensemble de la période et qu'un quatrième enfant est né le 25 mai 2016, en condamnant l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros, tous intérêts compris, au jour de la présente décision.
8. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros à Me Benoit Soltner, avocat de Mme B..., en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement n° 2111988 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme B... la somme de 10 000 euros, tous intérêts compris, au jour de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à Me Benoit Soltner, avocat de Mme B..., une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Délibéré à l'issue de la séance du 30 janvier 2025 où siégeaient : Mme Laurence Helmlinger, assesseure, présidant ; M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat et Mme Hortense Naudascher, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 18 février 2025.
La présidente :
Signé : Mme Laurence Helmlinger
La rapporteure :
Signé : Mme Hortense Naudascher
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras