Vu la procédure suivante :
La présidente du conseil régional des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires a porté plainte contre MM. A... B..., C... D... et E... F... et la société ... devant la chambre régionale de discipline des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires. Par une décision du 3 février 2023, la chambre régionale de discipline a infligé à MM. B..., D... et F... la sanction de l'avertissement et à la société ... la sanction de la suspension temporaire du droit d'exercer la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pour une durée de huit semaines, entièrement assortie du sursis.
Par une requête, enregistrée le 21 février 2023 au greffe de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires, le président du Conseil national de l'ordre des vétérinaires a fait appel de cette décision.
Par une requête, enregistrée le 4 avril 2023 au greffe de la même chambre, MM. B..., D... et F... et la société ... ont également fait appel de cette décision.
Par une ordonnance du 25 mars 2024, la présidente de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a donné acte à MM. B..., D... et F... du désistement de leur appel.
Par une ordonnance du 25 mars 2024, enregistrée le 10 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a transmis au Conseil d'Etat le jugement des appels du président du Conseil national de l'ordre des vétérinaires et de la société Les Cerisiers et associés, venant aux droits de la société ..., contre la décision du 3 février 2023 de la chambre régionale de discipline des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, Feliers, avocat du Conseil national de l'ordre des vétérinaires ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires que la chambre régionale de discipline des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires a, par une décision du 3 février 2023, infligé à MM. A... B..., C... D... et E... F... la sanction de l'avertissement et à la société ... la sanction de la suspension temporaire du droit d'exercer la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pour une durée de huit semaines, entièrement assortie du sursis. Ces derniers, ainsi que le président du Conseil national de l'ordre des vétérinaires, ont fait, par deux requêtes distinctes, appel de cette décision devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires. Par une requête du 5 mars 2024, MM. B..., D... et F... et la société Les Cerisiers et associés, venant aux droits de la société ..., ont demandé la récusation des assesseurs de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires désignés par tirage au sort du 6 décembre 2023, demande qui a été réitérée oralement au début de l'audience du 14 mars 2024 devant cette chambre. Par une ordonnance du 25 mars 2024, la présidente de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a donné acte à MM. B..., D... et F... du désistement de leur appel. Par une ordonnance du même jour, estimant impossible de réunir, pour constituer cette chambre conformément aux dispositions du I de l'article L. 242-8 du code rural et de la pêche maritime, quatre assesseurs par tirage au sort parmi les membres du Conseil national de l'ordre des vétérinaires sans méconnaître l'exigence d'impartialité, la présidente a transmis au Conseil d'Etat le jugement des appels du président du Conseil national de l'ordre des vétérinaires et de la société Les Cerisiers et associés, venant aux droits de la société ....
Sur les règles de composition de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires :
2. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 242-8 du code rural et de la pêche maritime : " I. - La chambre nationale de discipline connaît en appel des décisions rendues par les chambres régionales de discipline. Son président et le suppléant de celui-ci sont des conseillers à la Cour de cassation, en activité ou honoraires, désignés par le premier président de la Cour de cassation. Elle comprend quatre assesseurs. / Dans le cas où la personne poursuivie est un vétérinaire, les assesseurs sont tirés au sort parmi les membres du conseil national de l'ordre. / (...) ". Aux termes de l'article R. 242-110 de ce code : " La chambre nationale de discipline siège dans la formation prévue à l'article L. 242 8. / Pour la constitution de la formation compétente pour la profession de vétérinaire, le président du conseil national de l'ordre et le secrétaire général en charge du greffe de la chambre nationale de discipline sont exclus du tirage au sort. / (...) ". En outre, le premier alinéa de l'article R. 242-112 du code rural et de la pêche maritime prévoit que, " Dès que l'appel est interjeté, le président de la chambre nationale de discipline désigne un rapporteur choisi au sein du conseil national ", le rapporteur ainsi désigné ne délibérant pas sur l'affaire qu'il rapporte, en vertu du second alinéa de l'article R. 242-103 du même code rendu applicable à la procédure suivie devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires par l'article R. 242-113 de ce code. Il résulte de ces dispositions que, si le Conseil national de l'ordre des vétérinaires comprend, en principe, quatorze membres, conformément à l'article R. 242-4-1 du code rural et de la pêche maritime, les assesseurs de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires ne peuvent être tirés au sort que parmi, au maximum, onze d'entre eux.
3. Aucune des dispositions citées au point précédent, ni aucune autre, ne déterminant le nombre minimal de membres qui doivent siéger au sein de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires pour lui permettre de statuer valablement sur une affaire, il s'en déduit que la chambre nationale de discipline peut régulièrement statuer sur des poursuites disciplinaires dès lors que la majorité au moins de ses membres a siégé, soit au moins trois d'entre eux.
4. En deuxième lieu, d'une part, aux termes des trois premiers alinéas de l'article R. 242-100 du code rural et de la pêche maritime, applicables à la procédure suivie devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires en vertu de l'article R. 242-113 du même code : " Le membre de la chambre [nationale] de discipline qui estime devoir se désister, le fait savoir avant l'ouverture des débats. / Il peut également être récusé par les parties, s'il relève de l'une des causes prévues par l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire. / La demande de récusation est adressée au président de la chambre de discipline avant l'ouverture des débats à peine d'irrecevabilité. La chambre statue immédiatement sur la demande de récusation, sans la participation de celui de ses membres dont la récusation est demandée. La décision ne peut être contestée qu'avec la décision rendue ensuite sur la plainte ".
5. D'autre part, en vertu des principes généraux applicables à la fonction de juger dans un Etat de droit, la justice doit être rendue par une juridiction indépendante et impartiale. Toute personne appelée à y siéger doit se prononcer en toute indépendance, à l'abri de toute pression. Sa participation au jugement d'une affaire implique qu'elle exerce cette fonction en toute impartialité, sans parti pris ni préférence à l'égard de l'une des parties. Son indépendance et celle de la juridiction dont elle est membre participent de cette exigence. Elle doit se comporter de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard.
6. Le membre d'une juridiction disciplinaire relevant de l'ordre administratif a ainsi l'obligation, sans préjudice de dispositions législatives particulières, de s'abstenir de participer au jugement d'une affaire s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité. S'il suppose en sa personne une cause de récusation, le membre de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires interroge, au besoin, pour l'apprécier, le président de la formation de jugement, qui peut l'inviter à ne pas siéger. Dans tous les cas, il lui appartient de s'abstenir de participer au jugement de l'affaire s'il estime en conscience devoir se déporter, sans avoir à s'en justifier.
7. En troisième lieu, les dispositions des articles L. 242-8 et R. 242-110 du code rural et de la pêche maritime, citées au point 2, n'ont pas pour objet ni ne sauraient avoir pour effet de faire échec au respect des règles devant assurer le respect du principe d'impartialité au sein des juridictions spécialisées relevant du Conseil d'Etat énoncées aux points 4 à 6. En conséquence, si la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires doit, en principe, siéger à cinq membres, elle peut, si le respect de l'exigence d'impartialité de ses membres fait obstacle au tirage au sort de quatre assesseurs dans les conditions prévues au I de l'article L. 242-8 du code rural et de la pêche maritime, statuer dans une formation incomplète, sous réserve de respecter la règle de quorum rappelée au point 3 dont il résulte que la chambre doit comprendre, outre son président désigné selon les modalités définies au même I, au moins deux assesseurs tirés au sort parmi les membres du Conseil national de l'ordre des vétérinaires, à l'exclusion, ainsi qu'il a été rappelé au point 2, du président du Conseil national et du secrétaire général en charge du greffe de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires ainsi que du membre du Conseil national désigné rapporteur de l'affaire par le président de la chambre. Si le tirage au sort effectué en application du deuxième alinéa du I de l'article L. 242-8 du même code, parmi les onze membres du Conseil national de l'ordre des vétérinaires en principe éligibles pour siéger au sein de la chambre, ne permet pas d'adjoindre au président de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires quatre assesseurs satisfaisant aux règles énoncées aux points 4 à 6, il revient alors à ce président de compléter la formation de jugement en procédant à un nouveau tirage au sort parmi les membres du Conseil national qui n'auraient pas déjà été tirés au sort afin d'assurer la présence au sein de la chambre de quatre assesseurs, à défaut de trois assesseurs ou à défaut et a minima, de deux assesseurs.
8. En quatrième et dernier lieu, dans le cas où, par application, notamment, de l'ensemble des règles énoncées aux points 2 à 7, la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires estime ne pas pouvoir se prononcer régulièrement sur une affaire, il lui appartient de transmettre l'affaire au Conseil d'Etat afin que celui-ci, dans le cadre de ses pouvoirs généraux de régulation de l'ordre juridictionnel administratif, donne à cette transmission les suites qui conviennent et, le cas échéant, se prononce lui-même sur la requête d'appel présentée devant la chambre.
Sur le jugement de l'affaire :
9. En l'espèce, par une ordonnance du 25 mars 2024, la présidente de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a transmis au Conseil d'Etat le dossier des poursuites contre MM. B..., D... et F... et la société ..., en estimant que la chambre se trouvait dans l'impossibilité de se prononcer régulièrement sur cette affaire dans les conditions prévues au I de l'article L. 242-8 du code rural et de la pêche maritime, au motif que le respect de l'exigence d'impartialité faisait obstacle au tirage au sort, parmi les membres du Conseil national de l'ordre des vétérinaires, de quatre assesseurs, alors que certains d'entre eux avaient participé à la délibération du Conseil national de l'ordre des vétérinaires ayant radié la société en cause du tableau de l'ordre.
10. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces de la procédure suivie devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires que celle-ci n'a pas statué sur les demandes de récusation dont elle était saisie, en appréciant, le cas échéant, le respect par ses membres ainsi visés, dans les circonstances de l'espèce, des règles rappelées aux points 4 à 6.
11. A cet égard, la seule circonstance qu'un membre du Conseil national de l'ordre des vétérinaires se soit prononcé, en cette qualité, sur le non-respect, par une société vétérinaire inscrite au tableau de l'ordre, des dispositions de l'article L. 241-17 du code rural et de la pêche maritime - lesquelles subordonnent l'inscription au tableau de l'ordre d'une société permettant l'exercice en commun de la profession de vétérinaire au respect de conditions cumulatives tenant à la détention du capital, à l'activité des associés et à des règles particulières de gouvernance -, n'implique pas, par elle-même, que ce membre du Conseil national serait de parti pris ou que l'appréciation qu'il a portée dans le cadre de la procédure administrative d'inscription au tableau préjugerait de l'appréciation qu'il serait conduit à porter, en qualité d'assesseur de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires, sur la commission par cette société et, le cas échéant, les vétérinaires qui en sont associés, de manquements susceptibles d'être retenus dans le cadre de poursuites disciplinaires, les manquements réprimés par les juridictions disciplinaires de l'ordre des vétérinaires devant résulter, ainsi que le prévoit l'article L. 242-6 du même code, de la méconnaissance par les intéressés, dans l'exercice de leur profession, d'autres obligations que la méconnaissance de l'article L. 241-17, telles celles visées au premier alinéa du II de l'article L. 242-1 et les règles déontologiques figurant dans le code de déontologie vétérinaire mentionné à l'article L. 242-3.
12. D'autre part, il ressort également des pièces de la procédure suivie devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires qu'il n'a été procédé qu'à un seul tirage au sort parmi les membres du Conseil national de l'ordre des vétérinaires pour la désignation des assesseurs de la chambre alors que, à supposer même que les motifs fondant les demandes de récusation dirigées contre les membres du Conseil national ainsi tirés au sort ne lui permettaient pas de statuer dans une composition complète, ni même dans une composition satisfaisant à la règle de quorum énoncée au point 3, il appartenait à son président, dans cette hypothèse, de procéder, ainsi qu'il a été dit au point 7, à, au moins, un nouveau tirage au sort parmi les membres du Conseil national qui n'avaient pas déjà été tirés au sort afin de compléter la formation de jugement en atteignant a minima ce quorum.
13. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer l'affaire à la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement de l'affaire susvisée est renvoyé devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Les Cerisiers et associés, venant aux droits de la société ..., au conseil régional des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires et au Conseil national de l'ordre des vétérinaires.
Copie en sera adressée au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.