Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 septembre 2023 et 27 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... C... et M. A... C... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Première ministre sur leur demande tendant à l'adoption du décret d'application de l'article L. 2213-25 du code général des collectivités territoriales ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter ce décret dans un délai de six mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de cette date ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code forestier ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 95-101 du 2 février 1995 ;
- la loi n° 2022-2017 du 21 février 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que MM. B... et A... C..., propriétaires indivis de plusieurs terrains non-bâtis sur le territoire de la commune de Villelongue-de-la-Salanque (Pyrénées-Orientales), ont demandé à la Première ministre, par un courrier reçu le 9 mai 2023, de prendre le décret prévu pour l'application de l'article L. 2213-25 du code général des collectivités territoriales. Une décision de rejet implicite est née le 10 juillet 2023 du silence gardé par la Première ministre sur cette demande. MM. C... demandent au Conseil d'Etat, d'une part, d'annuler cette décision pour excès de pouvoir et, d'autre part, d'enjoindre au Premier ministre d'adopter ce décret dans un délai de six mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
2. En vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre " assure l'exécution des lois " et " exerce le pouvoir réglementaire " sous réserve de la compétence conférée au Président de la République pour les décrets en Conseil des ministres par l'article 13 de la Constitution. L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect d'engagements internationaux de la France y ferait obstacle.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 2213-25 du code général des collectivités territoriales, dont la rédaction, issue pour l'essentiel de l'article 94 de la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, a été complétée par l'article 100 de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale : " Faute pour le propriétaire ou ses ayants droit d'entretenir un terrain non bâti ou une partie de terrain non bâti situé à l'intérieur d'une zone d'habitation ou à une distance maximum de 50 mètres des habitations, dépendances, chantiers, ateliers ou usines lui appartenant, le maire peut, pour des motifs d'environnement, lui notifier par arrêté l'obligation d'exécuter, à ses frais, les travaux de remise en état de ce terrain après mise en demeure./ Si, au jour indiqué par l'arrêté de mise en demeure, les travaux de remise en état du terrain ou de la partie de terrain prescrits n'ont pas été effectués, le maire peut faire procéder d'office à leur exécution aux frais du propriétaire ou de ses ayants droit./ Si le propriétaire ou, en cas d'indivision, un ou plusieurs des indivisaires n'ont pu être identifiés, la notification les concernant est valablement faite à la mairie. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article ". Il résulte de ces dispositions que, pour des motifs tenant à l'environnement, le maire d'une commune peut faire exécuter d'office, aux frais de son propriétaire, les travaux de remise en état de tout ou partie d'un terrain non bâti s'il est situé à l'intérieur d'une zone d'habitation ou à une distance de moins de 50 mètres d'habitations, de dépendances, de chantiers, d'ateliers ou d'usines.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 131-11 du code forestier : " Dans les zones particulièrement exposées aux incendies, situées hors des territoires exposés aux risques d'incendie mentionnés aux chapitre II à IV du présent titre, le représentant de l'Etat dans le département peut, indépendamment des pouvoirs du maire, décider qu'il sera pourvu au débroussaillement d'office aux frais du propriétaire, faute pour ce dernier ou pour les occupants de son chef de débroussailler son terrain jusqu'à une distance maximum de 50 mètres des constructions, chantiers et installations de toute nature lui appartenant. / Lorsque la nature de la fréquentation ou de l'occupation d'un bâtiment d'habitation justifie des précautions particulières pour la protection des vies humaines, il peut en outre rendre obligatoire le débroussaillement sur les fonds voisins jusqu'à une distance de 50 mètres de l'habitation et, éventuellement, y pourvoir d'office aux frais du propriétaire de cette habitation ". Il résulte de ces dispositions que, pour prévenir le risque d'incendie dans certaines parties du territoire, le préfet peut imposer au propriétaire de constructions, chantiers ou installations une obligation de débroussailler les terrains qui leur sont distants de moins de 50 mètres, y compris le cas échéant, lorsque sont en cause des locaux d'habitation et que la prévention du risque le justifie, lorsque ces terrains ne lui appartiennent pas.
5. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'application des dispositions de l'article L. 2213-25 du code général des collectivités territoriales n'est pas rendue impossible du fait de l'absence d'intervention du décret auquel il renvoie. En particulier, un tel décret n'est pas nécessaire pour identifier les propriétaires concernés et préciser la notion de zone d'habitation, les motifs d'environnement susceptibles de justifier la mise en œuvre d'une telle prérogative ou la teneur de la remise en état attendue du propriétaire.
6. L'existence, en vertu des dispositions citées aux points 3 et 4, d'une compétence concurrente du maire et du représentant de l'Etat dans le département pour prescrire dans certaines zones des mesures de débroussaillement nécessitées par la prévention du risque d'incendie, si elle est susceptible de rendre souhaitable l'adoption par l'autorité compétente de mesures de coordination entre ces deux polices, n'a pas davantage pour effet de rendre l'intervention du décret prévu par l'article L. 2213-25 du code général des collectivités territoriales indispensable à la mise en œuvre de ces dispositions.
7. Il résulte de ce qui précède que MM. C... ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision de refus de prendre le décret d'application de l'article L. 2213-25 du code général des collectivités territoriales qui leur a été opposée. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre de prendre ce décret sous astreinte.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de MM. C... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... C..., premier requérant dénommé, au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation et au ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.