Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 février et 22 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) demande au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, de porter à deux ans la durée des interdictions prononcées à l'encontre de Mme A... B... par l'article 1er de la décision CS 2024-01 du 4 janvier 2024 de la commission des sanctions de l'AFLD et réformer cette décision en ce qu'elle a de contraire à la décision du Conseil d'Etat à intervenir ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'article 1er de cette décision et de prononcer les sanctions appropriées.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du sport ;
- le décret n° 2022-1583 du 16 décembre 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de l'agence française de lutte contre le dopage ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que par une décision du 4 janvier 2024, la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a prononcé à l'encontre de Mme B... une sanction d'interdiction de participer, pendant dix-huit mois, directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement de manifestations sportives, aux entraînements y préparant ainsi qu'à des activités sportives, et d'exercer des fonctions d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres. La présidente de l'AFLD conteste cette décision en ce qu'elle a limité à dix-huit mois la durée des interdictions prononcées.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes du I de l'article L. 232-9 du code du sport : " I. - Est interdite la présence, dans l'échantillon d'un sportif, des substances figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa du présent article, de leurs métabolites ou de leurs marqueurs. Il incombe à chaque sportif de s'assurer qu'aucune substance interdite ne pénètre dans son organisme. / La violation de l'interdiction mentionnée à l'alinéa précédent est établie par la présence, dans un échantillon fourni par le sportif, d'une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs, sans qu'il y ait lieu de faire la preuve que l'usage de cette substance a revêtu un caractère intentionnel ou a résulté d'une faute ou d'une négligence du sportif ". Le dernier alinéa du même article dispose que : " La liste des interdictions mentionnées au présent article est la liste énumérant les substances et méthodes interdites élaborée en application de la convention internationale mentionnée à l'article L. 230-2 ou de tout autre accord ultérieur qui aurait le même objet et qui s'y substituerait. Elle est publiée au Journal officiel de la République française ".
3. Aux termes de l'article L. 232-21 du code du sport : " La violation des dispositions du présent titre peut emporter pour son auteur une ou plusieurs des conséquences suivantes : / 1° La suspension définie au 2° du I de l'article L. 232-23 ; / (...) / 3° La publication de la décision de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (...) ". Aux termes de l'article L. 232-23 du même code : " I. - La commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage peut prononcer à l'encontre des personnes ayant enfreint les dispositions des articles L. 232-9 (...) : (...) / 2° Une suspension temporaire ou définitive : / a) De participer, à quelque titre que ce soit, à une compétition autorisée ou organisée par une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de ses membres, par une ligue professionnelle ou une organisation responsable de manifestations internationales ou nationales non signataires, par une fédération sportive, ou donnant lieu à remise de prix en argent ou en nature ; / b) De participer à toute activité, y compris les entraînements, stages ou exhibitions, autorisée ou organisée par une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de ses membres, par une ligue professionnelle ou une organisation responsable de manifestations internationales ou nationales non signataires, ou par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes reconnus d'éducation ou de réhabilitation en lien avec la lutte contre le dopage ; / c) D'exercer les fonctions de personnel d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération sportive, d'une ligue professionnelle, d'une organisation signataire du code mondial antidopage ou de l'un de leurs membres ; / d) Et de prendre part à toute activité sportive impliquant des sportifs de niveau national ou international et financée par une personne publique. / (...) ".
4. Aux termes du I de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport : " (...) la durée des mesures de suspension mentionnées au 2° du I de l'article L. 232-23 à raison d'un manquement à l'article L. 232-9 (...) : (...) 2° Est de deux ans lorsque ce manquement implique une substance ou méthode spécifiée. Cette durée est portée à quatre ans lorsqu'il est démontré par l'Agence française de lutte contre le dopage que le sportif a eu l'intention de commettre ce manquement. / (...) ".
5. Toutefois, aux termes du I de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport : " Lorsque l'intéressé établit dans un cas particulier l'absence de faute ou de négligence de sa part, la période de suspension prévue aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-9 n'est pas applicable ". En outre, le II de l'article L. 232-23-3-10 de ce code : " La durée des mesures d'interdiction prévues aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-9 peut être réduite dans les conditions suivantes, qui s'excluent mutuellement : / 1° lorsque (...) la substance interdite détectée, autre qu'une substance d'abus, provient d'un produit contaminé, et que l'intéressé peut établir son absence de faute ou de négligence significative, la sanction est au minimum un avertissement et au maximum une suspension d'une durée de deux ans, en fonction du degré de sa faute (...) / 3° (...) lorsque la violation implique l'absence de soumission au prélèvement d'un échantillon ou la présence dans un échantillon, l'usage, ou la possession non-intentionnels d'une substance (...) interdite, si le sportif peut établir son absence de faute ou de négligence significative, la durée de suspension applicable peut être réduite en fonction du degré de faute, sans toutefois être inférieure à la moitié de la période de suspension normalement applicable. (...) / La durée des mesures de suspension prévues aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-9 peut être réduite par une décision spécialement motivée lorsque les circonstances particulières de l'affaire le justifient au regard du principe de proportionnalité ".
6. Pour l'application de ces dispositions, l'article L. 230-7 de ce code renvoie aux définitions de l'absence de faute ou de négligence significative et de la personne protégée qui figurent à l'annexe 1 du code mondial antidopage, dans sa version en vigueur au 1er janvier 2021 : " Absence de faute ou de négligence : Démonstration par le sportif ou l'autre personne du fait qu'il/elle ignorait, ne soupçonnait pas, ou n'aurait pas pu raisonnablement savoir ou soupçonner, même en faisant preuve de la plus grande vigilance, qu'il/elle avait utilisé ou s'était fait administrer une substance interdite ou une méthode interdite ou avait commis d'une quelconque façon une violation des règles antidopage. Sauf dans le cas d'une personne protégée ou d'un sportif de niveau récréatif, pour toute violation de l'article 2.1 [présence d'une substance interdite dans un échantillon fourni par le sportif], le sportif doit également établir de quelle manière la substance interdite a pénétré dans son organisme. / Absence de faute ou de négligence significative : Démonstration par le sportif ou l'autre personne du fait qu'au regard de l'ensemble des circonstances, et compte tenu des critères retenus pour l'absence de faute ou de négligence, sa faute ou sa négligence n'était pas significative par rapport à la violation des règles antidopage commise. Sauf dans le cas d'une personne protégée ou d'un sportif de niveau récréatif, pour toute violation de l'article 2.1, le sportif doit également établir de quelle manière la substance interdite a pénétré dans son organisme. (...) Personne protégée : Sportif ou autre personne physique qui, au moment de la violation des règles antidopage, (i) n'a pas atteint l'âge de seize (16) ans, (ii) n'a pas atteint l'âge de dix-huit (18) ans et n'est pas inclus(e) dans un groupe cible de sportifs soumis aux contrôles et n'a jamais concouru dans une manifestation internationale dans une catégorie ouverte, ou (iii) est considéré(e) comme privé(e) de capacité juridique selon le droit national applicable, pour des raisons sans rapport avec l'âge ".
7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, lorsqu'un manquement aux dispositions du I de l'article L. 232-9 du code du sport a été constaté, le sportif mis en cause doit, pour pouvoir bénéficier de la réduction de la période de suspension prévues respectivement aux 1° et 3° du II de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport, établir, d'une part, sauf dans le cas d'une personne dite protégée ou d'un sportif de niveau dit récréatif, de quelle manière la substance interdite a pénétré dans son organisme, d'autre part, qu'il ignorait, ne soupçonnait pas, ou n'aurait pas pu raisonnablement savoir ou soupçonner, même en faisant preuve de la plus grande vigilance, qu'il avait utilisé ou s'était fait administrer une substance interdite ou, le cas échéant, que sa faute ou sa négligence n'était pas significative par rapport au manquement commis.
Sur le litige :
8. Il résulte de l'instruction que Mme B... a fait l'objet d'un contrôle antidopage le 18 mars 2023 à l'occasion des demi-finales des championnats de France de savate boxe française. L'analyse effectuée, confirmée par une seconde analyse faite à la demande de l'intéressée, a révélé la présence dans ses urines de furosémide, substance de la classe S5 des diurétiques et agents masquant figurant sur la liste des substances interdites en permanence annexée au décret du 16 décembre 2022, qui la répertorie parmi les substances " spécifiées ". L'AFLD a engagé des poursuites à l'encontre de l'intéressée pour une violation présumée des dispositions du I de l'article L. 232-9 du code du sport.
9. Après avoir constaté que l'infraction aux dispositions du I de l'article L. 232-9 du code du sport était constituée, et que l'intéressée avait commis une faute de nature à justifier une sanction en application du I de l'article L. 232-23 du code du sport, la commission des sanctions a retenu qu'aucun élément du dossier ne permettant d'établir qu'elle a eu l'intention d'améliorer ses performances sportives, elle encourait une interdiction qui ne pouvait excéder deux ans et qu'au vu des circonstances de l'espèce, eu égard à la nature de la substance détectée et à la faute de Mme B..., aux circonstances qu'elle a invoquées ainsi qu'aux démarches qu'elle a entreprises pour justifier le résultat d'analyse, la durée de l'interdiction prononcée à son encontre devait être réduite à dix-huit mois. En se prononçant ainsi, alors qu'en application du I de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport, la durée de la période de suspension à laquelle le manquement relevé à son encontre expose Mme B... est, s'agissant d'une substance spécifiée, de deux ans, sans mentionner les dispositions du II de l'article L. 232-23-3-10 de ce code sur le fondement desquelles elle retenait que cette sanction pouvait être réduite, ni préciser les circonstances qui le justifiaient en application de ces dispositions, la commission des sanctions a entaché sa décision d'une erreur de droit et d'une insuffisance de motivation.
10. Il ne résulte pas des éléments versés dans le cadre de l'instruction que Mme B... établirait, conformément à ce qui a été dit au point 7, pouvoir bénéficier des 1° ou 3° du II de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, au regard du principe de proportionnalité, de porter à deux ans la durée des suspensions mentionnées au point 1. Il y a lieu de déduire de la durée des interdictions prononcées par la présente décision la période pendant laquelle la décision de la commission des sanctions de l'AFLD a produit effet. La présente décision, qui réforme la durée des interdictions prononcées par la décision du 4 janvier 2024, publiée sur le site internet de l'AFLD, implique qu'il en soit fait mention sur ce même site internet.
D E C I D E :
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Article 1er : La durée de la sanction d'interdiction faite à Mme B... de participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement de manifestations sportives, aux entraînements y préparant ainsi qu'à des activités sportives, et d'exercer des fonctions d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres, est portée à deux ans.
Article 2 : La décision du 4 janvier 2024 de la commission des sanctions de l'AFDL est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.
Article 3 : La présente décision sera publiée sur le site internet de l'AFLD.
Article 4 : Le surplus de conclusions présentées par l'AFLD est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'Agence française de lutte contre le dopage et à Mme A... B....
Copie en sera adressée au président de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage.