Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 473770, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 2 mai et 2 août 2023 et le 28 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Aliapur demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-152 du 2 mars 2023 relatif à la gestion des déchets et à la responsabilité élargie des producteurs de pneumatiques ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 473829, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 mai 2023, 2 août 2023 et 28 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le groupement d'intérêt économique France recyclage pneumatiques et la société Mobivia demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-152 du 2 mars 2023 relatif à la gestion des déchets et à la responsabilité élargie des producteurs de pneumatiques ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils présentent les mêmes moyens que la société Aliapur sous le n° 473770.
....................................................................................
3° Sous le n° 487999, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 septembre 2023, 5 décembre 2023 et 28 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Aliapur, la société Mobivia et le groupement d'intérêt économique France recyclage pneumatiques demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires du 27 juin 2023 portant cahiers des charges des éco-organismes, des systèmes individuels et des organismes coordonnateurs de la filière à responsabilité élargie du producteur des pneumatiques ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2006/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2006 relative aux déchets ;
- la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives ;
- la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information ;
- le règlement (UE) 2023/2831 de la Commission du 13 décembre 2023 relatif à l'application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 ;
- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;
- le décret n° 2002-1563 du 24 décembre 2002 ;
- le décret n° 2015-1003 du 18 août 2015 ;
- le décret n° 2023-152 du 2 mars 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Baptiste Butlen, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Aliapur et autres et du groupement d'intérêt économique France recyclage pneumatiques et autre ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées le 19 février 2025, présentées par la société Aliapur et autres et le groupement d'intérêt économique France recyclage pneumatiques et autre ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes de la société Aliapur, du groupement d'intérêt public France recyclage pneumatiques et de la société Mobivia, dirigées, d'une part, contre ce décret et, d'autre part, contre l'arrêté du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires du 27 juin 2023 portant cahiers des charges des éco-organismes, des systèmes individuels et des organismes coordonnateurs de la filière à responsabilité élargie du producteur des pneumatiques, présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision. Eu égard à la teneur des écritures, les requêtes enregistrées sous les nos 473770 et 473829 doivent être regardées comme dirigées contre les dispositions du décret n° 2023-152 du 2 mars 2023 relatif à la gestion des déchets et à la responsabilité élargie des producteurs de pneumatiques en tant qu'il modifie les articles R. 543-138, R. 543-142, et R. 543-144 du code de l'environnement.
Sur la légalité externe du décret :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence :
2. Aux termes du I de l'article L. 541-10 du code de l'environnement, il peut être fait obligation aux producteurs de produits générateurs de déchets, au titre du principe de responsabilité élargie du producteur, " de pourvoir ou de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui en proviennent (...) / Les producteurs s'acquittent de leur obligation en mettant en place collectivement des éco-organismes agréés dont ils assurent la gouvernance et auxquels ils transfèrent leur obligation et versent en contrepartie une contribution financière ". Par ailleurs, le 16° de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement, introduit par l'article 62 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie solidaire, dispose que relèvent de la filière à responsabilité élargie du producteur " les pneumatiques, associés ou non à d'autres produits, les modalités d'agrément des éco-organismes et des systèmes individuels étant applicables à compter du 1er janvier 2023 ". Enfin, l'article L. 541-50 du code de l'environnement dispose qu'un décret en Conseil d'Etat fixe, en tant que de besoin, les modalités d'application du chapitre relatif à la prévention et à la gestion des déchets.
3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le pouvoir réglementaire était habilité à préciser le périmètre de la filière de responsabilité élargie des producteurs de déchets pneumatiques. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret litigieux serait entaché d'incompétence.
En ce qui concerne la communication à la Commission européenne au titre de la directive du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information :
4. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 5 de la directive du 9 septembre 2015 précitée : " Sous réserve de l'article 7, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet. / (...) / Les États membres procèdent à une nouvelle communication du projet de règle technique à la Commission, dans les conditions énoncées au premier et deuxième alinéas du présent paragraphe, s'ils apportent à ce projet, d'une manière significative, des changements qui auront pour effet de modifier son champ d'application, d'en raccourcir le calendrier d'application initialement prévu, d'ajouter des spécifications ou des exigences, ou de rendre celles-ci plus strictes. / (...) ". Le f) du 1 de l'article 1er de cette directive définit une règle technique comme : " une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s'y appliquent, dont l'observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l'établissement d'un opérateur de services ou l'utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État (...). " Enfin, le d) du 1 du même article définit une " autre exigence " comme " une exigence, autre qu'une spécification technique, imposée à l'égard d'un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l'environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d'utilisation, de recyclage, de réemploi ou d'élimination lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation ".
5. Le décret du 18 août 2015 relatif à la gestion des déchets de pneumatiques a fait l'objet d'une communication régulière à la Commission européenne en application des dispositions citées au point 4. Ce décret a en particulier, premièrement, précisé les obligations de collecte et de traitement de ces déchets à la charge des metteurs sur le marché de pneumatiques, deuxièmement, abrogé l'article R. 543-140 du code de l'environnement qui, dans sa version alors en vigueur, reconnaissait l'utilisation des pneumatiques usagés par les agriculteurs pour l'ensilage comme une opération de valorisation de ces déchets et, troisièmement, imposé à tous les distributeurs et détenteurs de remettre les déchets de pneumatiques à des collecteurs agréés, obligation qui valait y compris pour les détenteurs de pneumatiques issus d'opérations d'ensilage. Les dispositions du 3° de l'article R. 543-138 et de l'article R. 543-144 du code de l'environnement introduits par le décret litigieux, interdisant de réceptionner des déchets de pneumatiques dans les exploitations agricoles, et prévoyant que les modalités de prise en charge des déchets de pneumatiques issus d'opération d'ensilage sont précisées dans un cahier des charges fixé par arrêté du ministre de l'environnement, ne sauraient, dès lors, être regardées comme instituant une nouvelle exigence au sens de l'article 5 de la directive du 9 septembre 2015. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret litigieux aurait dû faire l'objet d'une nouvelle notification à la Commission européenne en application du troisième alinéa du paragraphe 1 de l'article 5 de la directive et serait illégal faute qu'il ait été procédé à cette nouvelle notification.
En ce qui concerne la communication à la Commission européenne au titre de la directive du 5 avril 2006 relative aux déchets :
6. L'article 3, paragraphe 2, de la directive du 5 avril 2006 précitée prévoyait l'obligation pour les Etats membres d'informer la Commission européenne des mesures qu'ils envisagent de prendre pour atteindre les objectifs fixés au paragraphe 1 du même article. Toutefois, cette directive a été abrogée par l'article 41 de la directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008 à compter du 11 décembre 2010. Ainsi, le moyen tiré de l'absence de notification du décret litigieux à la Commission au titre de cette directive ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la notification à la Commission européenne en application du paragraphe 3 de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :
7. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ". Aux termes du paragraphe 3 de l'article 108 du même traité : " la Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ".
8. En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice, la qualification d'aide d'État au sens de l'article 107 du traité suppose la réunion de quatre conditions, à savoir qu'il existe une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État, que cette intervention soit susceptible d'affecter les échanges entre les États membres, qu'elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire et qu'elle fausse ou menace de fausser la concurrence. Aux fins d'apprécier, parmi les conditions requises, la sélectivité de la mesure en cause, il convient d'examiner si, dans le cadre d'un régime juridique donné, ladite mesure constitue un avantage pour certaines entreprises par rapport à d'autres se trouvant, au regard de l'objectif poursuivi par ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable.
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les modalités de prise en charge des pneumatiques issus d'opérations d'ensilage définies par le décret litigieux puissent conférer aux exploitants agricoles concernés un avantage sélectif, et qu'elles soient, dans cette mesure, susceptibles de fausser la concurrence. Il suit de là que ces dispositions n'ont pas, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le caractère d'une aide d'Etat. Par suite, le décret litigieux n'avait pas à faire l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne en application du paragraphe 3 de l'article 108 du traité.
Sur la légalité interne du décret et de l'arrêté :
En ce qui concerne la date d'entrée en vigueur des obligations de responsabilité élargie du producteur de pneumatiques :
10. L'article 62 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie solidaire a introduit un 16° à l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement, incluant dans la liste des catégories de produits soumises au principe de responsabilité élargie du producteur les " pneumatiques, associés ou non à d'autres produits, les modalités d'agrément des éco-organismes et des systèmes individuels étant applicables à compter du 1er janvier 2023 ". Le décret attaqué a introduit dans le code de l'environnement un article R. 543-142 qui dispose que " tout éco-organisme assure la gestion des déchets de pneumatiques relevant de son agrément, y compris lorsqu'ils ont été mis en vente ou distribués antérieurement à la date d'entrée en vigueur de l'obligation de responsabilité élargie du producteur ".
11. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les éco-organismes assurent la gestion des déchets de pneumatiques relevant de leur agrément, y compris lorsqu'ils ont été mis en vente ou distribués avant le 1er janvier 2023, date d'entrée en vigueur des modalités d'agrément mentionnées au 16° de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement. La circonstance que le décret du 24 décembre 2002 relatif à l'élimination des pneumatiques usagés et le décret du 18 août 2015 relatif à la gestion déchets de pneumatiques fixaient déjà antérieurement des obligations de collecte et de traitement des déchets de pneumatiques à la charge des producteurs, est sans incidence sur la date d'entrée en vigueur des dispositions du 16° de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement, tel qu'il résulte de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie solidaire, dès lors que celle-ci impose de nouvelles obligations aux producteurs, dont le décret litigieux porte application. Ainsi, le moyen tiré de ce que le décret litigieux serait, sur ce point, entaché d'incompétence négative ne peut être qu'écarté.
En ce qui concerne l'obligation faite aux éco-organismes de prendre en charge les pneumatiques mis sur le marché avant l'entrée en vigueur des obligations de responsabilité élargie des producteurs et la juste rémunération de cette prise en charge :
12. L'article 34 de la Constitution dispose que " la loi détermine les principes fondamentaux (...) de la préservation de l'environnement ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la Charte de l'environnement : " Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ". Ces dispositions réservent au législateur la détermination des principes fondamentaux de la préservation de l'environnement et la définition des conditions de la prévention des atteintes susceptibles d'être portées à l'environnement ou, à défaut, de la limitation de leurs conséquences.
13. Aux termes de l'article 8 de la directive du 19 novembre 2008 relative aux déchets : " 1. En vue de renforcer le réemploi, la prévention, le recyclage et autre valorisation en matière de déchets, les États membres peuvent prendre des mesures législatives ou non pour que la personne physique ou morale qui élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits (le producteur du produit) soit soumis au régime de responsabilité élargie des producteurs. / De telles mesures peuvent notamment prévoir le fait d'accepter les produits renvoyés et les déchets qui subsistent après l'utilisation de ces produits, ainsi que la gestion qui en découle et la responsabilité financière de telles activités ". Par ailleurs, aux termes de l'article 14 de la directive 2008/98/CE : " 1. Conformément au principe du pollueur-payeur, les coûts de la gestion des déchets, y compris ceux liés aux infrastructures nécessaires et à leur fonctionnement, sont supportés par le producteur initial de déchets ou par le détenteur actuel ou antérieur des déchets. / 2. Sans préjudice des articles 8 et 8 bis, les États membres peuvent décider que les coûts de la gestion des déchets doivent être supportés en tout ou en partie par le producteur du produit qui est à l'origine des déchets et faire partager ces coûts aux distributeurs de ce produit ".
14. Aux termes du IV de l'article L. 541-10 du code de l'environnement, " il peut être fait obligation aux producteurs de prêter leur concours, moyennant une juste rémunération, à la gestion des déchets provenant de produits identiques ou similaires mis en vente ou distribués antérieurement à la date d'entrée en vigueur de leurs obligations (...) ". Par ailleurs, aux termes du II du même article : " les éco-organismes et les systèmes individuels sont agréés pour une durée maximale de six ans renouvelable s'ils établissent qu'ils disposent des capacités techniques, de la gouvernance et des moyens financiers et organisationnels pour répondre aux exigences d'un cahier des charges fixé par arrêté du ministre chargé de l'environnement, après avis de la commission inter-filières. Ce cahier des charges précise les objectifs et modalités de mise en œuvre des obligations mentionnées à la présente section (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 541-10-2 du même code : " les contributions financières versées par le producteur à l'éco-organisme couvrent les coûts de prévention, de la collecte, du transport et du traitement des déchets, y compris les coûts de ramassage et de traitement des déchets abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre, lorsque le cahier des charges mentionné à l'article L. 541-10 le prévoit, les coûts relatifs à la transmission et la gestion des données nécessaires au suivi de la filière ainsi que ceux de la communication inter-filières et, le cas échéant, les autres coûts nécessaires pour atteindre les objectifs quantitatifs ou qualitatifs fixés par le cahier des charges (...) ".
15. L'article R. 543-142 du code de l'environnement, introduit par le décret litigieux, dispose que " tout éco-organisme assure la gestion des déchets de pneumatiques relevant de son agrément, y compris lorsqu'ils ont été mis en vente ou distribués antérieurement à la date d'entrée en vigueur de l'obligation de responsabilité élargie du producteur ". Par ailleurs, l'article R. 543-144 du même code, introduit par le même décret, dispose que : " le cahier des charges mentionné au II de l'article L. 541-10 précise les modalités de prise en charge des déchets de pneumatiques issus d'opérations d'ensilage, notamment la quantité annuelle maximale de ces déchets devant être prise en charge par les éco-organismes et les systèmes individuels ".
16. Aux termes du paragraphe 3.8 de l'annexe I de l'arrêté litigieux, " conformément à l'article R. 543-144, l'éco-organisme collecte sans frais et pourvoit au traitement des déchets de pneumatiques issus d'opérations d'ensilage qui sont organisées sous l'égide des organismes professionnels agricoles et des organisations syndicales à vocation générale d'exploitants agricoles (...) qui en font la demande, selon des modalités précisées par un contrat type établi en application de l'article R. 541-105. Ce contrat type peut prévoir que les pneumatiques à enlever soient regroupés par leurs détenteurs sur des points de collecte mis en place sous l'égide des organismes professionnels agricoles et organisations syndicales indiqués ci-dessus. "
17. En premier lieu, il résulte de ces dispositions que la faculté d'obliger les producteurs de prêter leurs concours à la gestion de déchets de pneumatiques mis en vente ou distribués antérieurement à la date d'entrée en vigueur de l'obligation de responsabilité élargie du producteur est prévue par la loi. Par suite, les requérants ne sauraient utilement soutenir que les dispositions réglementaires attaquées, qui se bornent à préciser les modalités de mise en œuvre de ces dispositions législatives, méconnaissent l'article 34 de la Constitution, l'article 3 de la Charte de l'environnement, l'article 14 de la directive du 19 novembre 2008 relative aux déchets ou le principe de non-rétroactivité de la loi et des actes administratifs.
18. En deuxième lieu, il ne résulte pas des dispositions du IV de l'article L. 541-10 du code de l'environnement que la juste rémunération de la participation des producteurs à la gestion des déchets provenant de produits identiques ou similaires aux leurs et mis en vente ou distribués antérieurement à la date d'entrée en vigueur de leurs obligations devrait, à peine d'illégalité, être fixée par le décret précisant les règles applicables à la filière de responsabilité élargie des producteurs de pneumatiques ou par l'arrêté ministériel fixant le cahier des charges des éco-organismes de cette filière. En s'abstenant de prévoir une telle rémunération, le décret et l'arrêté ne méconnaissent ainsi pas ces dispositions légales et ne sont pas entachés d'une incompétence négative. Par ailleurs, si l'arrêté attaqué prévoit que l'éco-organisme collecte les pneumatiques d'ensilage sans frais, il ressort des dispositions citées au point 16 qu'il appartient au contrat type de préciser les modalités de leur prise en charge, y compris celles du traitement de ces déchets, ce contrat pouvant prévoir qu'ils soient regroupés par leurs détenteurs sur des points de collecte mis en place sous l'égide des organismes professionnels agricoles et organisations syndicales agricoles.
En ce qui concerne la gestion des pneumatiques d'ensilage :
19. En premier lieu, aux termes de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, un déchet est défini comme " toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ". Le même article définit la valorisation des déchets comme " toute opération dont le résultat principal est que des déchets servent à des fins utiles en substitution à d'autres substances, matières ou produits qui auraient été utilisés à une fin particulière, ou que des déchets soient préparés pour être utilisés à cette fin, y compris par le producteur de déchets ". Aux termes du I de l'article L. 541-4-3 du code de l'environnement, " un déchet cesse d'être un déchet après avoir été traité et avoir subi une opération de valorisation, notamment de recyclage ou de préparation en vue de la réutilisation, s'il remplit l'ensemble des conditions suivantes : la substance ou l'objet est utilisé à des fins spécifiques ; il existe une demande pour une telle substance ou objet ou elle répond à un marché ; la substance ou l'objet remplit les exigences techniques aux fins spécifiques et respecte la législation et les normes applicables aux produits ; son utilisation n'aura pas d'effets globaux nocifs pour l'environnement ou la santé humaine ". Enfin, la procédure applicable à la sortie du statut de déchet est définie aux articles D. 541-12-4 et suivants du code de l'environnement.
20. Il résulte du 16° de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement et du II de l'article R. 543-137 du même code que l'ensemble des pneumatiques relèvent de la filière de responsabilité élargie des producteurs de pneumatiques, à la seule exception de ceux qui équipent les équipements électriques et électroniques définis à l'article R. 543-172, les jouets définis à l'article R. 543-320, les articles de sport et de loisirs définis à l'article R. 543-330 et les articles de bricolage et de jardin définis à l'article R. 543-340. Il suit de là que les pneumatiques issus d'opérations d'ensilage relèvent de cette filière de responsabilité élargie des producteurs, la seule circonstance que ces pneumatiques soient utilisés par des exploitants agricoles avant qu'ils s'en défassent étant sans incidence à cet égard. En tout état de cause, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ces déchets relèveraient de la filière volontaire par ailleurs mise en place pour la gestion des déchets issus des produits d'agrofournitures.
21. En deuxième lieu, alors qu'ainsi qu'il a déjà été dit au point 5, l'ensilage n'est plus reconnu comme un mode de valorisation des déchets de pneumatiques depuis l'entrée en vigueur au 1er octobre 2015 du décret du 18 août 2015 relatif à la gestion des déchets de pneumatiques, les requérants ne sont en tout état de cause pas fondés à soutenir que le décret attaqué porterait atteinte au principe de confiance légitime, ni au principe de sécurité juridique. Si les requérants font valoir que l'Etat et les acteurs de la filière des pneumatiques ont signé " un accord volontaire " le 15 juillet 2019, visant notamment à accompagner la fin de la pratique de l'ensilage des pneumatiques comme solution de valorisation des pneumatiques usagés, un tel accord ne peut avoir une portée juridique dont la méconnaissance pourrait être utilement invoquée à l'égard du décret litigieux.
22. En troisième lieu, il résulte du paragraphe 3.8 de l'annexe I de l'arrêté litigieux que l'éco-organisme prend en charge les déchets de pneumatiques auprès de tout organisme professionnel agricole qui en fait la demande, dans la limite des quantités annuelles de 30 000 tonnes en 2024, 40 000 tonnes en 2025, 50 000 tonnes en 2026, 60 000 tonnes en 2027 et 70 000 tonnes en 2028, de sorte que ces obligations sont plafonnées et progressives. Par ailleurs, aux termes du paragraphe 3.1 de la même annexe, les opérations de gestion des pneumatiques issus d'opération d'ensilage ne sont pas prises en compte dans les objectifs de collecte et peuvent être exclues des objectifs de recyclage fixés aux éco-organismes, de sorte qu'elles ne les exposent pas à des sanctions en cas de défaillance dans l'atteinte de ces objectifs. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions du cahier des charges fixant les quantités annuelles maximales de pneumatiques d'ensilage à prendre en charge par les éco-organismes seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.
23. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret et de l'arrêté qu'ils attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la société Aliapur, du groupement d'intérêt économique France recyclage pneumatiques et de la société Mobivia sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Aliapur, au groupement d'intérêt économique France recyclage pneumatiques, à la société Mobivia, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 février 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Bruno Bachini, conseillers d'Etat et M. Jean-Baptiste Butlen, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 25 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Baptiste Butlen
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain