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09/04/2025 | FRANCE | N°496148

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 09 avril 2025, 496148


Vu la procédure suivante :



Par une ordonnance n° 2403044 du 19 juillet 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Rennes a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le jugement du 15 mai 2024 par laquelle le tribunal judiciaire de Rennes a sursis à statuer sur le litige opposant Mme A... B... et la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée s

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Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2403044 du 19 juillet 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Rennes a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le jugement du 15 mai 2024 par laquelle le tribunal judiciaire de Rennes a sursis à statuer sur le litige opposant Mme A... B... et la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la légalité du quatrième alinéa de l'article 10 des statuts du régime complémentaire d'assurance vieillesse de cette caisse.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 48-101 du 17 janvier 1948 ;

- le décret n° 49-579 du 22 avril 1949 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Matt, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Caisse autonome de retraite des médecins de France ;

Considérant ce qui suit :

1. Les médecins libéraux sont, en vertu de l'article L. 640-1 du code de la sécurité sociale, affiliés au régime d'assurance vieillesse et invalidité-décès des professions libérales. L'Organisation autonome d'assurance vieillesse des professions libérales comprend, selon l'article L. 641-1 de ce code, une caisse nationale et des sections professionnelles instituées par décret en Conseil d'Etat, parmi lesquelles celle des médecins instituée à l'article R. 641-1, dotées de la personnalité juridique et de l'autonomie financière, dont la compétence territoriale est nationale et dont les statuts font l'objet, en application de l'article L. 641-5 du même code, d'une approbation par le ministre chargé de la sécurité sociale.

2. L'article L. 644-1 du code de la sécurité sociale, dont les dispositions sont notamment issues de la loi du 17 janvier 1948 instituant une allocation de vieillesse pour les personnes non salariées, dispose que : " A la demande du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales et après consultation par référendum des assujettis au régime de base, des décrets peuvent instituer un régime d'assurance vieillesse complémentaire fonctionnant à titre obligatoire dans le cadre soit de l'ensemble du groupe professionnel, soit d'une activité professionnelle particulière. / Le mode de calcul des cotisations complémentaires destinées à financer les régimes institués en application du premier alinéa et, le cas échéant, leurs montants annuels sont déterminés par décret après avis de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales. (...) ". A ce titre, le décret du 22 avril 1949 relatif au régime d'assurance vieillesse complémentaire des médecins prévoit à son article 1er que : " Il est institué, en sus de la cotisation générale imposée à tous les médecins non salariés, en exécution de la loi du 17 janvier 1948, une cotisation complémentaire destinée à financer un régime d'assurance vieillesse complémentaire fonctionnant à titre obligatoire ", au deuxième alinéa de son article 4 que : " Des exonérations de cotisations peuvent être accordées aux médecins invalides ou atteints d'une incapacité d'exercice de leur profession dans les conditions prévues par les statuts mentionnés à l'article 5 ci-après " et aux premier et deuxième alinéas de son article 5 que : " Le régime d'assurance vieillesse complémentaire des médecins est établi par les statuts de la section professionnelle des médecins. / Les avantages prévus par ce régime d'assurance vieillesse ne pourront être garantis que dans la limite des ressources qui y seront affectées en exécution du présent décret. (...)".

3. En application des dispositions citées au point 2, l'article 10 des statuts du régime d'assurance vieillesse complémentaire de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), dans sa rédaction applicable au litige résultant de l'arrêté du 20 décembre 2018 de la ministre des solidarités et de la santé portant approbation des modifications apportées aux statuts de la section professionnelle des médecins, dispose que : " Sont exonérés du paiement d'une cotisation annuelle les médecins reconnus atteints d'une incapacité d'exercer une profession quelconque, soit pour une durée continue supérieure à six mois, soit pour une durée totale de six mois au cours de la même année civile. / Lorsque la période d'incapacité susvisée s'étend sur deux années civiles, la cotisation exonérée est celle de la deuxième année. / Sont exonérés du paiement d'une cotisation semestrielle les médecins atteints d'une incapacité d'exercer une profession quelconque pendant une durée de quatre-vingt-dix jours consécutifs. / Une exonération semestrielle est accordée à toute femme médecin affiliée étant dans l'obligation d'interrompre son activité pour une période supérieure ou égale à quatre-vingt-dix jours consécutifs pour congé maternité. Cette exonération n'est pas accordée si l'intéressée a déjà bénéficié d'une exonération de cotisation pour la période considérée par suite de la reconnaissance d'un état pathologique résultant de la grossesse. / Lorsque la période d'incapacité susvisée s'étend sur deux semestres, la cotisation exonérée est celle du deuxième semestre. / (...) La demande doit être adressée (à peine de forclusion) au plus tard avant l'expiration du premier trimestre de l'année suivant celle pour laquelle l'exonération est demandé. L'intéressé doit fournir sous pli cacheté au médecin-conseil de la CARMF toutes justifications médicales. (...) ". Saisi d'un litige opposant Mme B..., médecin libéral, à la CARMF, le tribunal judiciaire de Rennes demande au juge administratif d'apprécier la légalité du quatrième alinéa de cet article.

4. D'une part, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. D'autre part, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " et, en vertu de l'article premier du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ". Il résulte de ces stipulations qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

5. Si les dispositions en litige n'accordent une exonération de cotisation d'assurance vieillesse complémentaire qu'à l'égard des femmes médecins affiliées étant dans l'obligation d'interrompre leur activité pour une période supérieure ou égale à quatre-vingt-dix jours consécutifs pour congé maternité, sans accorder une telle exonération en cas d'adoption d'un enfant, cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objet attaché par l'article 4 du décret du 22 avril 1949 aux exonérations qu'il autorise, lesquelles ne peuvent être accordées par les statuts qu'aux médecins invalides ou atteints d'une incapacité d'exercice de leur profession, et n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif ainsi poursuivi, tenant à la prise en compte de l'interruption par un médecin libéral de son activité commandée par des motifs médicaux. Elles ne peuvent donc être regardées comme contraires au principe d'égalité ou aux stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article premier de son premier protocole additionnel.

6. Ainsi, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le quatrième alinéa de l'article 10 des statuts du régime complémentaire d'assurance vieillesse de la CARMF est entaché d'illégalité.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... une somme à verser à la CARMF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la CARMF qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Il est déclaré que l'exception d'illégalité du quatrième alinéa de l'article 10 des statuts du régime complémentaire d'assurance vieillesse de la Caisse autonome de retraite des médecins de France soulevée par Mme B... devant le tribunal judiciaire de Rennes n'est pas fondée.

Article 2 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., à la Caisse autonome de retraite des médecins de France et à la présidente du tribunal judiciaire de Rennes.

Copie en sera adressée à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et à la Défenseure des droits.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 mars 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat ; M. Jean-Luc Matt, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 9 avril 2025.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Luc Matt

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 496148
Date de la décision : 09/04/2025
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 09 avr. 2025, n° 496148
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Matt
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:496148.20250409
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