Vu la procédure suivante :
M. et Mme C... et B... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015 ainsi que des pénalités correspondantes. Par une ordonnance n° 2214486 du 19 septembre 2022, le vice-président de la 2ème section de ce tribunal a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 22PA04951 du 8 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. et Mme A... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février, 13 mai et 23 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la décision du 19 juillet 2024 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme A... ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Descorps-Declère, avocat de M. et Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue de la vérification de la comptabilité de la société Acropost, l'administration fiscale a mis à la charge de M. et Mme A... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales au titre des années 2014 et 2015, à raison des sommes distribuées par cette société à M. A... qui en était le gérant et associé. Par un arrêt du 8 décembre 2023 contre lequel M. et Mme A... se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'ils avaient formé contre l'ordonnance du 19 septembre 2022 par laquelle le vice-président de la 2ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions.
2. D'une part, aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / (...) 4° (...) les impôts à la charge de l'entreprise, mis en recouvrement au cours de l'exercice (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales : " En cas de vérification simultanée des taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées, de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, le supplément de taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées afférent à un exercice donné est déduit, pour l'assiette de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, des résultats du même exercice, sauf demande expresse des contribuables, formulée dans le délai qui leur est imparti pour répondre à la proposition de rectification. (...) ". Aux termes des troisième et sixième alinéas du même article : " Les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent, dans la mesure où le bénéfice correspondant aux rectifications effectuées est considéré comme distribué, par application des articles 109 et suivants du code général des impôts, à des associés ou actionnaires dont le domicile ou le siège est situé en France, demander que l'impôt sur le revenu supplémentaire dû par les bénéficiaires en raison de cette distribution soit établi sur le montant du rehaussement soumis à l'impôt sur les sociétés diminué du montant de ce dernier impôt. / (...) L'imputation prévue aux troisième et quatrième alinéas est soumise à la condition que les associés ou actionnaires reversent dans la caisse sociale les sommes nécessaires au paiement des taxes sur le chiffre d'affaires et des taxes assimilées, de l'impôt sur les sociétés et de la retenue à la source sur les revenus de capitaux mobiliers se rapportant aux sommes qui leur ont été distribuées ".
3. En application de ces dispositions, pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée afférent à la réalisation de recettes dissimulées réalisées au cours d'un exercice donné est en principe, en vertu des dispositions du 4° du 1 de l'article 39 du code général des impôts citées au point 2, déductible des résultats de l'exercice au cours duquel il est mis en recouvrement. Par dérogation, le premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales prévoit qu'en cas de vérification simultanée au regard de l'impôt sur les sociétés et des taxes sur le chiffre d'affaires, ce rappel est déduit des résultats de l'exercice vérifié, sauf à ce que la société s'oppose à l'application des dispositions de ce dernier article.
4. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices. / Les sommes imposables sont déterminées pour chaque période retenue pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés par la comparaison des bilans de clôture de ladite période et de la période précédente selon des modalités fixées par décret en conseil d'Etat ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés. / (...) ".
5. En application des dispositions de l'article 110 du code général des impôts citées au point 4, le montant susceptible d'être regardé comme distribué entre les mains d'un associé sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 de ce code se limite au rehaussement du résultat de l'exercice vérifié retenu pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société distributrice.
6. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 4 que lorsque le rappel de taxe sur la valeur ajoutée n'a pas été déduit des résultats de l'exercice vérifié retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société distributrice par application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales, mais a été déduit de ceux de l'exercice de sa mise en recouvrement par application du 4° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, le montant regardé comme distribué entre les mains de l'associé sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 de ce code s'entend de la totalité des recettes dissimulées, en ce compris le rappel de taxe sur la valeur ajoutée correspondant. Il appartient dans ce cas à l'administration d'établir l'appréhension de ces sommes par l'associé, cette appréhension étant toutefois présumée lorsque ce dernier est le maître de l'affaire.
7. En revanche, lorsque ce rappel a été déduit des résultats de l'exercice vérifié retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société distributrice par application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales, le montant regardé comme distribué sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts se limite au montant calculé hors taxe des recettes dissimulées. Toutefois, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée due sur ces recettes est imposable entre les mains de l'associé sur le fondement du 2° du 1 de cet article 109, à condition que l'administration établisse que cette somme a été mise à sa disposition.
8. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en jugeant que l'administration fiscale était fondée à regarder comme distribuées, sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, les sommes correspondant au montant de la taxe sur la valeur ajoutée due par la société Acropost sur ses recettes dissimulées et déduit des résultats des exercices clos en 2014 et 2015 en application du premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. et Mme A... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 8 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme C... et B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 avril 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 15 mai 2025.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Lionel Ferreira
Le secrétaire :
Signé : M. Brian Bouquet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :