Vu la procédure suivante :
La société Viviers Renaud-Boutin a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement des dispositions du 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts à raison de factures émises au cours des exercices clos en 2012, 2013 et 2014. Par un jugement n° 1802128 du 24 septembre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20BX03785 du 11 avril 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Viviers Renaud-Boutin contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 juin et 11 septembre 2023 et le 9 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Viviers Renaud-Boutin demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la société Viviers Renaud-Boutin ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Viviers Renaud-Boutin, qui exerce une activité de grossiste en poissons et crustacés, s'est vu infliger le 1er juillet 2015, à l'issue de l'exercice par l'administration fiscale du droit d'enquête en matière de facturation prévu par l'article L. 80 F du livre des procédures fiscales, l'amende pour omission ou inexactitude constatée dans les factures, prévue par les dispositions du II de l'article 1737 du code général des impôts. Elle a ensuite fait l'objet d'une vérification de sa comptabilité au titre de la période du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2014, à l'issue de laquelle l'administration a procédé à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et de taxe sur les véhicules de sociétés et mis à sa charge, au titre de cette période, l'amende prévue par les dispositions du 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts à raison de factures dont elle a estimé qu'elles comportaient des omissions caractérisant une dissimulation des éléments d'identification de clients professionnels. La société Viviers Renaud-Boutin se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 avril 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 24 septembre 2020 rejetant sa demande tendant à la décharge de cette seconde amende.
2. Aux termes, d'une part, du II de l'article 289 du code général des impôts : " Un décret en Conseil d'Etat fixe les mentions obligatoires qui doivent figurer sur les factures. Ce décret détermine notamment les éléments d'identification des parties, les données concernant les biens livrés ou les services rendus et celles relatives à la détermination de la taxe sur la valeur ajoutée ". Aux termes de l'article 242 nonies A de l'annexe II au même code, dans sa rédaction applicable à la date des infractions : " Les mentions obligatoires qui doivent figurer sur les factures en application du II de l'article 289 du code général des impôts sont les suivantes : / 1° Le nom complet et l'adresse de l'assujetti et de son client ; / 2° Le numéro individuel d'identification attribué à l'assujetti en application de l'article 286 ter du code général des impôts et sous lequel il a effectué la livraison de biens ou la prestation de services ; / (...) ".
3. Aux termes, d'autre part, de l'article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date des infractions : " I. - Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant : / 1. Des sommes versées ou reçues, le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, les éléments d'identification mentionnés aux articles 289 et 289 B et aux textes pris pour l'application de ces articles ou de sciemment accepter l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom ; / (...) / Les dispositions des 1 à 3 ne s'appliquent pas aux ventes au détail et aux prestations de services faites ou fournies à des particuliers. / Les dispositions des 1 à 4 s'appliquent aux opérations réalisées dans le cadre d'une activité professionnelle. / II. - Toute omission ou inexactitude constatée dans les factures ou documents en tenant lieu mentionnés aux articles 289 et 290 quinquies donne lieu à l'application d'une amende de 15 €. Toutefois, le montant total des amendes dues au titre de chaque facture ou document ne peut excéder le quart du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné ".
4. Il résulte des dispositions du 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts mentionnées au point précédent que l'amende qu'elles prévoient peut être mise à la charge de la personne qui a délivré la facture ou à la charge de la personne destinataire de la facture s'il est établi que la personne en cause a soit travesti ou dissimulé l'identité, l'adresse ou les éléments d'identification de son client ou de son fournisseur, soit accepté l'utilisation, en toute connaissance de cause, d'une identité fictive ou d'un prête-nom. L'omission, sur une facture, de l'identité, de l'adresse ou des éléments d'identification du client ou du fournisseur n'est susceptible de constituer une dissimulation, au sens et pour l'application de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 1984 de finances pour 1985 dont elles sont issues, que si l'administration établit que cette omission, non seulement a revêtu un caractère volontaire, mais aussi a été motivée par une intention frauduleuse.
5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que l'administration fiscale était fondée à infliger à la société Viviers Renaud-Boutin l'amende prévue au 1 du I de l'article 1737 à raison de factures correspondant à des ventes de poissons et de crustacés qui, au titre des éléments d'identification du client dont la mention est exigée par les dispositions citées au point 2, comportaient uniquement le nom d'une personne physique, la cour administrative d'appel, après avoir relevé que la société n'avait pas agi par simple négligence, s'est abstenue de rechercher si l'administration établissait que les omissions qui affectaient les factures en cause avaient été motivées par une intention frauduleuse. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Viviers Renaud-Boutin est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Viviers Renaud-Boutin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 11 avril 2023 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : L'Etat versera à la société Viviers Renaud-Boutin la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Viviers Renaud-Boutin et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 avril 2025 où siégeaient :
M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge,
M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 19 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Saby
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :