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06/06/2025 | FRANCE | N°475175

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 06 juin 2025, 475175


Vu les procédures suivantes :



Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 4 place du Calvaire à Rennes, M. B... D... et Mme C... E... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 janvier 2020 par lequel la maire de Rennes (Ille-et-Vilaine) a délivré à la société civile immobilière Rennes Duguay Trouin un permis de construire valant permis de démolir, portant notamment sur la réalisation d'un hôtel de 88 chambres sur des parcelles situées 12 rue Duguay Trouin, ainsi que la décision portant

rejet de leur recours gracieux.



M. D... et Mme E..., d'une pa...

Vu les procédures suivantes :

Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 4 place du Calvaire à Rennes, M. B... D... et Mme C... E... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 janvier 2020 par lequel la maire de Rennes (Ille-et-Vilaine) a délivré à la société civile immobilière Rennes Duguay Trouin un permis de construire valant permis de démolir, portant notamment sur la réalisation d'un hôtel de 88 chambres sur des parcelles situées 12 rue Duguay Trouin, ainsi que la décision portant rejet de leur recours gracieux.

M. D... et Mme E..., d'une part, et la société Nouvelle des Galeries G, d'autre part, ont également demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 novembre 2020 par lequel la maire de Rennes a délivré à la société Rennes Duguay Trouin un permis de construire modificatif portant notamment sur la réalisation d'un hôtel de 87 chambres sur des parcelles situées 12 rue Duguay Trouin, ainsi que les décisions portant rejet de leur recours gracieux.

Par un jugement n° 2003088, 2003257, 2005713 du 2 mars 2022, le tribunal administratif a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 22NT01255 du 18 avril 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel du syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 4 place du Calvaire, de M. D... et de Mme E..., annulé ces arrêtés en tant qu'ils méconnaissent les dispositions de l'article 3 du règlement du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la commune de Rennes, s'agissant d'une part de la hauteur de la construction à édifier sur les parcelles cadastrées n° 1239 et n° AC 794 et, d'autre part, de la réalisation de places de stationnement pour deux-roues, ainsi que, dans cette mesure, les décisions de la maire de Rennes rejetant leurs recours gracieux.

1° Sous le n° 475175, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 juin et 18 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Rennes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il lui fait grief ;

2°) de mettre à la charge du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du 4 place du Calvaire à Rennes, de M. D... et de Mme E... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 475213, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 19 juin et 19 septembre 2023 et 4 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Rennes Duguay Trouin demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le même arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en tant qu'il lui fait grief ;

2°) de mettre à la charge du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du 4 place du Calvaire à Rennes, de M. D... et de Mme E... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de la commune de Rennes, au Cabinet François Pinet, avocat du syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 4 place du calvaire, de M. D... et de Mme E... et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la société Rennes Duguay Trouin ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Rennes Duguay Trouin justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêt attaqué. Ainsi, son intervention au soutien du pourvoi n° 475175 est recevable.

2. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 29 janvier 2020, la maire de Rennes a délivré à la société Rennes Duguay Trouin un permis de construire valant permis de démolir, portant sur la réalisation d'un hôtel de 88 chambres comprenant notamment un restaurant et un auditorium, situé 12 quai Duguay Trouin, sur des parcelles cadastrées n° 875, 795 et 794. Par une décision du 17 juin 2020, elle a rejeté le recours gracieux formé par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 4 place du Calvaire à Rennes, M. D... et Mme E... contre cet arrêté. Par un arrêté du 4 novembre 2020, la maire de Rennes a délivré à la même société un permis de construire modificatif, diminuant notamment le nombre de chambres de l'hôtel et la surface de plancher, incluant la parcelle n° 1239 dans le terrain d'assiette du projet, supprimant l'accessibilité à une toiture terrasse ainsi que le restaurant et l'auditorium, et ajoutant au projet un spa et un commerce. Par un jugement du 2 mars 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les demandes formées, d'une part, par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 4 place du Calvaire, M. D... et Mme E..., et, d'autre part, par la société Nouvelle des Galeries G, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés ainsi que des décisions rejetant leurs recours gracieux. La commune de Rennes et la société Rennes Duguay Trouin se pourvoient en cassation, par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, contre l'arrêt du 18 avril 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, saisie par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 4 place du Calvaire, par M. D... et par Mme E..., a annulé les arrêtés du 29 janvier 2020 et du 4 novembre 2020 ainsi que les décisions de rejet de leurs recours gracieux en tant seulement qu'ils méconnaissent les dispositions de l'article 3 du règlement du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la commune de Rennes, s'agissant, d'une part, de la hauteur de la construction à édifier sur les parcelles cadastrées n° 1239 et n° AC 794 et, d'autre part, de la réalisation de places de stationnement pour deux roues.

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

3. Le juge d'appel, auquel est déféré un jugement ayant rejeté au fond des conclusions sans que le juge de première instance ait eu besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées devant lui, ne peut faire droit à ces conclusions qu'après avoir écarté expressément ces fins de non-recevoir, alors même que le défendeur, sans pour autant les abandonner, ne les aurait pas reprises en appel.

4. D'une part, il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société Rennes Duguay Trouin avait soulevé devant le tribunal administratif plusieurs fins de non-recevoir, tirées notamment du défaut d'intérêt pour agir du syndicat des copropriétaires, de M. D... et de Mme E... à l'encontre des permis de construire litigieux. Il n'en ressort pas qu'elle ait renoncé à ces fins de non-recevoir dans le cadre de l'instance d'appel. D'autre part, il est constant qu'avant de faire droit partiellement aux conclusions tendant à l'annulation des permis de construire litigieux dont elle était saisie, la cour administrative d'appel ne s'est pas prononcée sur ces fins de non-recevoir. Par suite, la commune de Rennes, qui, contrairement à ce qui est soutenu en défense, est recevable à invoquer un tel moyen en sa qualité de co-défendeure à la même instance quand bien même les fins de non-recevoir avaient été opposées par la société pétitionnaire, est fondée à soutenir que l'arrêt qu'elle attaque est entaché d'irrégularité.

Sur la méconnaissance de l'article 3 du titre IV du règlement du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la commune de Rennes :

5. L'article 3 du titre IV du règlement du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la commune de Rennes dispose notamment : " Hauteur / En cohérence avec les dispositions relatives à la volumétrie des constructions dans le paysage, la hauteur maximale de la construction nouvelle ne doit pas dépasser la hauteur maximale de la construction ou façade protégée la plus proche et la plus haute, sauf condition particulière (M, A..., P ou E) mentionnée au règlement graphique et dont la liste est reportée au présent règlement. / Sauf condition particulière (M, A..., P ou E) mentionnée au règlement graphique et dont la liste est reportée au présent règlement, lorsqu'un immeuble est situé à égale distance entre deux immeubles ou façades protégés ou en limite séparative de deux immeubles ou façades protégés, alors : / - soit l'immeuble peut s'élever à la hauteur de l'immeuble ou de la façade protégés le plus haut sous réserve de respecter, par sa volumétrie, la hauteur de l'immeuble ou la façade protégé la plus basse ; / soit l'immeuble respecte la hauteur la plus basse (...). Un dépassement ou une réduction de la hauteur de l'ordre de 10% peut être autorisé pour des raisons architecturales ou techniques. (...) ". Ces dispositions ont pour objet, dans la partie du territoire de la commune classée en secteur sauvegardé, en limitant la hauteur des constructions nouvelles par rapport à celle de la construction ou de la façade protégée " la plus proche et la plus haute ", de garantir l'insertion des constructions nouvelles dans leur environnement en prévenant les ruptures d'harmonie en hauteur et en assurant la cohérence volumétrique globale des constructions nouvelles avec les différentes constructions et façades protégées implantées à leurs abords immédiats.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le terrain d'assiette du projet, composé notamment des parcelles cadastrées n° 1239 et n° AC 794, est situé dans la continuité de la parcelle cadastrée n° AC 669, située 3 rue du Cartage, qui supporte une construction protégée au titre du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la commune, implantée à une distance d'environ un mètre de la construction litigieuse. Il en ressort aussi que la construction litigieuse fait également face, sur toute la longueur de sa façade le long de la rue du Cartage, à une autre construction protégée au titre du même plan, dont elle est distante de quatre mètres au plus sur environ quatorze mètres de façade et dont la hauteur est nettement supérieure à celle de la construction protégée située au 3 rue du Cartage. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la construction protégée située au 3 rue du Cartage est voisine d'une autre construction protégée, au 1 rue du Cartage, d'une hauteur supérieure, que la rue du Cartage est très étroite et que les vues lointaines sur la construction litigieuse, que ce soit depuis la place du Calvaire ou le quai Duguay-Trouin, ne permettent pas, eu égard à la configuration des lieux, de voir ensemble la construction projetée et la construction protégée située au 3 rue du Cartage.

7. Pour juger, par l'arrêt attaqué, que la règle fixée par l'article 3 du titre IV du règlement du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la commune de Rennes avait été méconnue, la cour administrative d'appel s'est bornée à comparer la hauteur de la construction litigieuse avec celle de la construction protégée située au 3 de la rue du Cartage, qu'elle a regardée comme étant " la plus proche et la plus haute " au seul motif que l'autre construction protégée qu'elle a prise en compte était plus éloignée. En se focalisant ainsi sur la seule construction protégée du 3 rue du Cartage, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que plusieurs constructions protégées de hauteurs différentes se trouvaient aux abords immédiats de la construction projetée, sans rechercher si, eu égard à la configuration des lieux et aux vues possibles sur les bâtiments, la construction litigieuse s'insérait dans son environnement, sans rupture d'harmonie en hauteur, en respectant une cohérence volumétrique globale avec les différentes constructions et façades protégées implantées dans ses abords immédiats, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, la commune de Rennes et la société Rennes Duguay Trouin sont fondées à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Rennes et de la société Rennes Duguay Trouin, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 4 place du Calvaire, de M. D... et de Mme E... les sommes de 500 euros chacun à verser, d'une part, à la commune de Rennes, et, d'autre part, à la société Rennes Duguay Trouin.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de la société Rennes Duguay Trouin au soutien du pourvoi n° 475175 est admise.

Article 2 : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 18 avril 2023 est annulé.

Article 3 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 4 : Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 4 place du Calvaire, M. D... et Mme E... verseront les sommes de 500 euros chacun, d'une part, à la commune de Rennes, et, d'autre part, à la société Rennes Duguay Trouin.

Article 5 : Les conclusions présentées par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 4 place du Calvaire, M. D... et Mme E... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune de Rennes, à la société Rennes Duguay Trouin et au syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 4 place du Calvaire à Rennes, premier dénommé pour les défendeurs.

Copie en sera adressée au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Christophe Pourreau, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 6 juin 2025.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Coralie Albumazard

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 475175
Date de la décision : 06/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 jui. 2025, n° 475175
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Coralie Albumazard
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON ; CABINET FRANÇOIS PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:475175.20250606
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