La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/06/2025 | FRANCE | N°494084

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 19 juin 2025, 494084


Vu la procédure suivante :



Mme A... F... et Mme B... C... ont porté plainte contre Mme D... E... devant le conseil départemental du Nord de l'ordre des infirmiers. Par une décision du 30 décembre 2019, la chambre disciplinaire de première instance des Hauts-de-France de l'ordre des infirmiers a rejeté la plainte qui lui avait été transmise.



Par une décision du 23 décembre 2020, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers a, sur appel de Mme F... et Mme C..., annulé la décision du 30 décembre 2019 et, statu

ant après évocation, infligé à Mme E... la sanction de l'avertissement et enjoint à c...

Vu la procédure suivante :

Mme A... F... et Mme B... C... ont porté plainte contre Mme D... E... devant le conseil départemental du Nord de l'ordre des infirmiers. Par une décision du 30 décembre 2019, la chambre disciplinaire de première instance des Hauts-de-France de l'ordre des infirmiers a rejeté la plainte qui lui avait été transmise.

Par une décision du 23 décembre 2020, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers a, sur appel de Mme F... et Mme C..., annulé la décision du 30 décembre 2019 et, statuant après évocation, infligé à Mme E... la sanction de l'avertissement et enjoint à celle-ci de suivre une formation selon les modalités définies par le conseil régional de l'ordre des infirmiers des Hauts-de-France. Par une décision n° 450059 du 7 avril 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par Mme E..., a annulé cette décision et renvoyé l'affaire devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers.

Par une décision n° 59-2020-00304 du 5 mars 2024, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers a annulé la décision du 30 décembre 2019 de la chambre disciplinaire de première instance des Hauts-de-France de l'ordre des infirmiers et rejeté la plainte de Mme F... et Mme C....

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 6 mai, 6 août et 11 octobre 2024 et 20 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme F... et Mme C... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers ;

2°) de mettre à la charge de Mme E... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boullez, avocat de Mme F... et de Mme C... et à la SCP Richard, avocat de Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers que Mme B... C... et Mme A... F... ont porté plainte contre Mme D... E..., infirmière qui délivrait des soins à leur sœur, Mme G... C..., devant le conseil départemental du Nord de l'ordre des infirmiers. Saisie de cette plainte par le conseil départemental de l'ordre, la chambre disciplinaire de première instance des Hauts-de-France de l'ordre des infirmiers l'a rejetée par une décision du 30 décembre 2019. Par une décision du 23 décembre 2020, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers a, sur appel de Mmes C..., annulé la décision du 30 décembre 2019 et, statuant après évocation, a infligé à Mme E... la sanction de l'avertissement et lui a enjoint de suivre une formation selon les modalités définies par le conseil régional de l'ordre des infirmiers des Hauts-de-France. Le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par Mme E..., a, par une décision du 7 avril 2023, annulé la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre du 23 décembre 2020 et renvoyé l'affaire devant cette juridiction. Par une décision du 5 mars 2024, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers a annulé la décision du 30 décembre 2019 de la chambre disciplinaire de première instance des Hauts-de-France de l'ordre des infirmiers et rejeté la plainte. Mmes C... se pourvoient en cassation contre cette décision.

Sur le pourvoi :

2. Il ressort des pièces du dossier que Mmes C... ont adressé des observations écrites à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers après la clôture de l'instruction, qui avait été fixée au 1er décembre 2023 par une ordonnance de la présidente suppléante de cette juridiction qui, comme toute juridiction administrative, est tenue de faire application des règles générales relatives aux productions postérieures à la clôture de l'instruction. Faute pour la décision attaquée de viser ce mémoire, enregistré au greffe le 5 janvier 2024, soit après la clôture de l'instruction et avant l'audience publique, la décision attaquée est entachée d'une irrégularité.

3. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, Mmes C... sont fondées à demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers qu'elles attaquent.

4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

Sur l'appel :

En ce qui concerne le grief tiré du manquement à l'obligation d'assurer la continuité des soins :

5. Aux termes de l'article R. 4312-12 du code de la santé publique : " Dès lors qu'il a accepté d'effectuer des soins, l'infirmier est tenu d'en assurer la continuité. / Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un infirmier a le droit de refuser ses soins pour une raison professionnelle ou personnelle. / Si l'infirmier se trouve dans l'obligation d'interrompre ou décide de ne pas effectuer des soins, il doit, sous réserve de ne pas nuire au patient, lui en expliquer les raisons, l'orienter vers un confrère ou une structure adaptée et transmettre les informations utiles à la poursuite des soins. "

6. Il résulte de l'instruction que Mme E... a dispensé des soins à Mme G... C..., personne âgée atteinte d'une sclérose en plaques invalidante vivant à domicile, à la demande de Mmes C..., sœurs de la patiente, d'abord occasionnellement au mois d'août 2017, puis quotidiennement, une à deux fois par jour, entre le 25 mai et le 4 septembre 2018. Après avoir découvert qu'une sonde nasogastrique avait été posée sur la personne de la patiente dans la journée du 3 septembre 2018, sans prescription médicale, sans hospitalisation et sans information aussi bien de son médecin traitant que d'elle-même, Mme E... a refusé le 3 septembre 2018 au soir de dispenser les soins afférents, puis considéré le 5 septembre au matin que le contrat de soins était rompu du fait que l'accès à la patiente lui était désormais refusé par les sœurs de celle-ci. Mme E... a informé de cette situation le médecin traitant le 4 septembre 2018, ainsi que le conseil départemental de l'ordre des infirmiers, puis communiqué le 5 septembre à Mmes C... une liste d'infirmiers susceptibles d'assurer la poursuite des soins et proposé le nom d'un confrère qui s'était déclaré disponible. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que Mme G... C... se serait alors trouvée dans un cas d'urgence qui aurait fait obstacle à ce que Mme E... interrompe la délivrance des soins. Dans ces conditions, le grief tiré du manquement à l'obligation d'assurer la continuité des soins doit être écarté.

En ce qui concerne la commission d'actes de négligence ou de malveillance :

7. Aux termes de l'article R. 4312-4 du code de la santé publique : " L'infirmier respecte en toutes circonstances les principes de moralité, de probité, de loyauté et d'humanité indispensables à l'exercice de la profession ". L'article R. 4312-10 du même code dispose : " L'infirmier agit en toutes circonstances dans l'intérêt du patient. / Ses soins sont consciencieux, attentifs et fondés sur les données acquises de la science. / Il y consacre le temps nécessaire en s'aidant, dans toute la mesure du possible, des méthodes scientifiques et professionnelles les mieux adaptées. Il sollicite, s'il y a lieu, les concours appropriés. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 4312-42 du même code : " L'infirmier applique et respecte la prescription médicale qui, sauf urgence, est écrite, quantitative et qualitative, datée et signée. / Il demande au prescripteur un complément d'information chaque fois qu'il le juge utile, notamment s'il estime être insuffisamment éclairé. / Si l'infirmier a un doute sur la prescription, il la vérifie auprès de son auteur ou, en cas d'impossibilité, auprès d'un autre membre de la profession concernée. En cas d'impossibilité de vérification et de risques manifestes et imminents pour la santé du patient, il adopte, en vertu de ses compétences propres, l'attitude qui permet de préserver au mieux la santé du patient, et ne fait prendre à ce dernier aucun risque injustifié. "

8. Il résulte de l'instruction que Mme G... C... était suivie par un médecin qui se rendait régulièrement à son chevet et dont il n'est pas contesté que Mme E... appliquait les prescriptions. Il n'en résulte pas, en revanche, que celle-ci aurait été destinataire des résultats des analyses médicales de la patiente dont disposaient Mmes C..., fréquemment présentes auprès de celle-ci, qu'elle aurait eu des intentions malveillantes à l'égard de celle-ci, ni que les soins qu'elle lui a dispensés auraient contribué à la dégradation de son état de santé. Enfin, il ne saurait être reproché à Mme E... d'avoir refusé de délivrer des soins afférents à une sonde nasogastrique posée sans prescription médicale, ni d'en avoir informé le médecin traitant. Dans ces conditions, le grief tiré de faits de négligence et de maltraitance doit être écarté.

En ce qui concerne le grief portant sur le manquement aux obligations de loyauté et de dignité :

9. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 4312-3 du code de la santé publique : " L'infirmier, au service de la personne et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine. Il respecte la dignité et l'intimité du patient, de sa famille et de ses proches ".

10. Il résulte d'une part de l'instruction que, lors d'une conversation téléphonique intervenue le 6 septembre 2018 entre Mme E... et le médecin traitant, enregistrée puis déposée par erreur sur la messagerie vocale de l'une des sœurs de la patiente, Mme G... C... a été présentée par le médecin sous un jour peu favorable. Si Mme E... n'a pas pris ses distances avec ces propos, qui n'étaient pas destinés à être divulgués et qui doivent au demeurant être replacés dans le contexte particulier exposé ci-dessus, elle n'en est pas l'auteur. Dans ces conditions, le grief tiré du manquement au devoir de dignité ne peut être retenu.

11. D'autre part, à la date à laquelle cette conversation est intervenue, le médecin et l'infirmière ne délivraient plus de soins à Mme G... C.... Il suit de là que le grief de manquement à l'obligation de loyauté prévu à l'article R. 4312-4 du code de la santé publique cité au point 7 ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne le grief tiré de la cotation d'actes non réalisés et d'anomalies de facturation :

12. Aux termes de l'article R. 4312-81 du code de la santé publique : " Sont interdits toute fraude, tout abus de cotation ou indication inexacte portant sur les actes effectués ".

13. Il résulte de l'instruction que ce grief est fondé sur une comparaison entre les sommes facturées à l'assurance maladie respectivement par Mme E... et par l'infirmière qui lui a succédé dans la délivrance de soins à Mme G... C.... D'une part, il n'est pas établi que les actes effectués par ces professionnels de santé aient été identiques. D'autre part, les relevés produits ne permettent pas d'établir le grief. Enfin, il ne ressort pas de l'instruction que le grief puisse se justifier au regard du temps passé par Mme E... aux soins d'hygiène. Il suit de là qu'il ne peut en tout état de cause être retenu.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la plainte de Mmes C... doit être rejetée.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mmes C... la somme de 3 000 euros à verser à Mme E... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par Mme B... C... et Mme A... F....

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers du 5 mars 2024 est annulée.

Article 2 : Le pourvoi présenté par Mme F... et Mme C... est rejeté, y compris leurs conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Mme F... et Mme C... verseront chacune à Mme E... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... F..., première dénommée, et à Mme D... E....

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des infirmiers.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 mai 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 19 juin 2025.

Le président :

Signé : M. Jean-Philippe Mochon

Le rapporteur :

Signé : M. Christophe Barthélemy

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 494084
Date de la décision : 19/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2025, n° 494084
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Christophe Barthélemy
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP BOULLEZ ; SCP RICHARD

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:494084.20250619
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award