Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la société Orange à lui verser la somme totale de 120 000 euros au titre des différents préjudices, matériel et moral, qu'il estime avoir subis au cours de sa carrière et de mettre à la charge de la société Orange la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et les entiers dépens.
Par un jugement n° 1908148 du 12 mai 2022, le tribunal administratif de Marseille a condamné la société Orange à verser à M. A... la somme de 3 000 euros au titre des préjudices subis, mis à sa charge le paiement d'une somme de 1 400 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 7 juillet 2022, M. A..., représenté en dernier lieu par Me Goldmann, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions ;
2°) de condamner la société Orange à lui verser la somme globale de 120 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'un blocage de carrière depuis 1993 et du fait de sa mise à la retraite d'office à compter du 31 juillet 2013 ;
3°) de mettre à la charge de la société Orange le paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a omis de statuer sur la faute d'Orange consistant à n'avoir pas appliqué les différents accords professionnels ;
- la société Orange a commis une faute caractérisée par l'absence de mise en place de dispositif de promotion interne des fonctionnaires et la non-application des accords professionnels ;
- la société Orange a commis une faute en le mettant à la retraite d'office à compter du 31 juillet 2013 ;
- ces diverses fautes sont à l'origine de préjudices matériel et moral dont il demande réparation.
La requête a été communiquée à la société Orange qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vincent,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de M. A....
Une note en délibéré présentée par M. A... a été enregistrée le 12 novembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., fonctionnaire des postes et télécommunications, a été titularisé dans le corps des agents d'exploitation des services des lignes en 1983. Il n'a pas souhaité intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " et a opté en faveur de la conservation de son grade dans son corps, dit de " reclassement ", lors de l'application de la réforme issue des décrets n° 93-514 à 93-519 du 25 mars 1993 pris en application de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et France Télécom. Par une lettre en date du 24 avril 2019, M. A... a demandé à la société Orange, laquelle a succédé à France Télécom, une indemnisation au titre des préjudices matériel et moral qu'il estime avoir subis du fait, d'une part, d'un blocage de sa carrière entre 1993 et 2003 puis à compter de 2004 et, d'autre part, d'une mise à la retraite d'office illégale à compter du 31 juillet 2013. Par une décision du 24 juillet 2019, sa demande indemnitaire a été rejetée par la société Orange. Par un jugement n° 1908148 du 12 mai 2022, le tribunal administratif de Marseille a condamné la société Orange à verser à M. A... la somme de 3 000 euros au titre des préjudices subis, mis à la charge de ladite société le paiement d'une somme de 1 400 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la requête. M. A... interjette appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête de première instance.
Sur la régularité du jugement :
2. Si M. A... fait valoir que les premiers juges auraient omis de statuer sur la faute de son employeur consistant à ne pas avoir fait application à son égard de diverses dispositions conventionnelles, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal a répondu à cette argumentation dans ses points 7 et 8. Le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait, pour ce motif, entaché d'irrégularité doit, dès lors, être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le blocage de carrière :
S'agissant de la période de 1993 à 2003 :
3. Aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de La Poste et des Télécommunications : " Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) ". Aux termes de l'article 29-1 de la loi susvisée du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 1996 : " Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Télécom sont rattachés à l'entreprise nationale France Télécom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de France Télécom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi. / L'entreprise nationale France Télécom peut procéder jusqu'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité (...) ".
4. En vertu de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) ".
5. D'une part, la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de France Télécom, aux droits desquels est venue la société Orange, de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de " reclassification ", ne dispensait pas le président de France Télécom, devenue Orange, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de " reclassement ".
6. D'autre part, le législateur, en décidant par les dispositions précitées de l'article 29-1 de la loi susvisée du 2 juillet 1990 modifiée par la loi du 26 juillet 1996, que les recrutements externes de fonctionnaires par France Télécom cesseraient au plus tard le 1er janvier 2002, n'a pas entendu priver d'effet, après cette date, les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires " reclassés ". Par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de " reclassement ", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, sont devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002. En faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après cette date, le président de France Télécom a, de même, commis une illégalité. Des promotions internes pour les fonctionnaires " reclassés " non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de France Télécom, que par l'effet du décret du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom. Le président de France Télécom, devenue Orange, a, en refusant de prendre toute mesure de promotion interne en faveur des fonctionnaires " reclassés ", commis une illégalité engageant la responsabilité de sa société.
7. M. A... soutient qu'il a perdu une chance sérieuse de bénéficier, entre 1993 et 2003, d'un avancement du fait de la faute précitée. Cependant, l'appelant, en se bornant à faire valoir qu'il a suivi une formation de chef de groupe en 1983, qu'il s'est particulièrement bien adapté sur les différents postes sur lesquels il a été affecté et à produire, au titre des années litigieuses, seulement trois entretiens d'évaluation relatifs aux années 1994, 1995 et 2002, n'établit pas avoir perdu une chance sérieuse de promotion sur cette période. Par suite, il n'est pas fondé à prétendre au bénéfice d'une indemnisation au titre d'une perte de chance sérieuse de bénéficier d'un avancement. En revanche, alors même qu'au cas particulier il n'établit pas cette perte de chance sérieuse, il est fondé à prétendre à une indemnité au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence à raison de la faute relevée, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne. Contrairement à ce que soutient M. A..., les premiers juges ont fait une correcte évaluation de ces chefs de préjudice en les estimant à la somme de 2 000 euros.
S'agissant de la période à compter de 2004 :
8. M. A... soutient que la société Orange n'a pas fait application des accords de janvier 1997, du 5 mars 2010, du 31 mars 2011, du 9 septembre 2014, du 23 décembre 2015, du 16 avril 2015 et du 19 avril 2016 et qu'il n'a ainsi jamais bénéficié d'action de certification et de validation des acquis de l'expérience, d'action de tutorat, de formation valorisante ou encore d'entretien Cap séniors. Cependant, il ne produit en tout état de cause, au titre de cette période, que deux entretiens d'évaluation pour les années 2010 et 2011, lesquels, s'ils font état de ce qu'il maîtrise son poste, sont nettement insuffisants pour établir la perte de chance sérieuse alléguée. Par suite, et alors qu'il est constant que, depuis l'intervention du décret précité du 26 novembre 2004, des promotions internes pour les fonctionnaires " reclassés " sont redevenues possibles, les conclusions indemnitaires présentées à ce titre par M. A... doivent, dans leur intégralité, être rejetées.
En ce qui concerne la mise à la retraite d'office à compter du 31 juillet 2013 :
9. Par un jugement du 7 mars 2016, devenu définitif, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, annulé la décision du 3 juin 2013 par laquelle M. A... avait été mis à la retraite d'office pour limite d'âge à compter du 31 juillet 2013, pour erreur de droit et, d'autre part, enjoint à la société Orange de procéder à la réintégration de l'intéressé. Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la société Orange.
10. M. A..., qui ne conteste pas avoir été indemnisé au titre des pertes de revenus subies au cours de la période d'éviction, fait toutefois valoir qu'il a perdu une chance sérieuse de promotion au cours des trois années de procédure entre 2013 et 2016 et a subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence. Si la perte de chance sérieuse d'évolution professionnelle au cours de la période de 2013 à 2016 n'est pas établie par les pièces du dossier, les premiers juges ont, en revanche, fait une juste appréciation du préjudice moral subi par l'intéressé et de ses troubles dans les conditions d'existence en condamnant la société Orange à lui verser à ce titre la somme de 1 000 euros.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a condamné la société Orange à lui verser une somme globale de 3 000 euros et a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Sur les frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Orange, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. A... la somme qu'il réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête présentée par M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la société Orange.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2023, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 novembre 2023.
N° 22MA01925 2
fa