Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. I... C... H..., agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal des enfants A..., B... et E... C..., ainsi que Mme Regat Asmelash Teklemaryam ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 novembre 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France qui a rejeté leur recours formé contre les décisions de l'ambassade de France en Ethiopie refusant de délivrer un visa de long séjour à Mme Asmelash Teklemaryam et aux enfants A..., B... et E... C... au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2110850 du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 26 novembre 2020 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur, sous astreinte, de faire délivrer les visas de long séjour sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 juin 2022 le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 avril 2022 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. I... C... H..., agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal des enfants A..., B... et E... C..., ainsi que par Mme Regat Asmelash Teklemaryam.
Il soutient que :
- les documents produits ne permettent pas d'établir de manière probante l'identité des demandeurs ;
- le certificat de mariage produit n'a pas de caractère probant et la situation de concubinage stable alléguée n'est pas établie ;
- le caractère partiel de la réunification familiale substitué au motif de la décision contestée est de nature à la fonder légalement ;
- aucun élément de possession d'état ne confirme les liens familiaux allégués.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2022 M. I... C... H..., agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal des enfants A..., B... et E... C..., ainsi que Mme Regat Asmelash Teklemaryam, représentés par Me Chaumette, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, au bénéfice de leur conseil, une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;
- la décision contestée méconnait les stipulations des articles 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par une décision du 7 septembre 2022, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Nantes a maintenu à M. C... H... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 4 décembre 2009 relatif aux modalités de fonctionnement de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dubost,
- et les observations de Me Drouet substituant Me Chaumette, représentant M. C... H... et Mme Asmelash Teklemaryam.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... H..., ressortissant érythréen né le 1er janvier 1990, s'est vu reconnaître en France la qualité de réfugié en 2018. La délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en vue de le rejoindre a été sollicitée en faveur de Mme Asmelash Teklemaryam, présentée comme son épouse au terme d'un mariage religieux, et des enfants A..., B... et E... C.... Un refus leur a été opposé par l'ambassade de France en Ethiopie le 28 juillet 2020. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre ce refus par une décision du 26 novembre 2020. M. C... H... et Mme Asmelash Teklemaryam ont alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 25 avril 2022 par lequel ce tribunal a annulé cette décision du 26 novembre 2020 et lui a enjoint, sous astreinte, de faire délivrer les visas de long séjour sollicités.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 561-2 à L. 561-5 du même code : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de la demande d'asile ; /2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) II.- (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". L'article L. 721-3 du même code, alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 121-9, dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. / Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. / Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ". Il résulte de ces dispositions que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec. Par ailleurs, la circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, aujourd'hui repris à l'article L. 811-2 du même code, prévoit en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que pour rejeter les demandes de visas présentées par Mme Asmelash Teklemaryam et pour les enfants A..., B... et E... C..., la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'identité des demandeurs de visas, qui n'ont présenté aucun document d'identité et aucun élément de possession d'état, et partant, leur lien familial avec M. C... H..., ne sont pas établis et que ce dernier a par ailleurs été incohérent dans la présentation de sa situation familiale.
5. D'une part, aucun acte d'état civil ni même document de voyage susceptible de justifier de l'identité de Mme Asmelash Teklemaryam, n'a été produit. Par ailleurs, le certificat de mariage délivré par l'église orthodoxe érythréenne Tewahedo ne comportant au demeurant ni l'indication de la date ni du lieu de naissance des époux, et le certificat d'enregistrement auprès du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations-Unies, ne sont pas suffisants pour établir l'identité de la demanderesse de visa.
6. D'autre part, s'agissant des enfants A..., B... et E... C... ont été produits des certificats de baptême délivrés respectivement le 20 avril 2018, le 5 mars 2013 et le 24 septembre 2017 par l'église orthodoxe érythréenne Tewahedo ainsi qu'un certificat d'enregistrement auprès du haut-commissariat pour les réfugiés. Toutefois, et alors qu'aucun de ces documents ne présente le caractère d'acte d'état civil, ces éléments ne sont pas suffisants pour établir l'identité des demandeurs de visa. Au surplus, M. C... H... a fluctué dans ses déclarations et ses écrits adressés aux services de l'asile en France sur la composition de sa famille, tant au regard du nombre de ses enfants, de leurs prénoms que de la plupart de leurs dates de naissance.
7. Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner la substitution de motifs demandée par le ministre, c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler la décision contestée, sur ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait fait une inexacte application des dispositions citées aux points 2 et 3.
8. Il appartient alors à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... H... et Mme Asmelash Teklemaryam tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour.
9. En premier lieu, aux termes de l'article D. 211-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Le président de la commission est choisi parmi les personnes ayant exercé des fonctions de chef de poste diplomatique ou consulaire. / La commission comprend, en outre :/ 1° Un membre, en activité ou honoraire, de la juridiction administrative ; / 2° Un représentant du ministre des affaires étrangères ; / 3° Un représentant du ministre chargé de l'immigration ; / 4° Un représentant du ministre de l'intérieur. / Le président et les membres de la commission sont nommés par décret du Premier ministre pour une durée de trois ans. Pour chacun d'eux, un premier et un second suppléants sont nommés dans les mêmes conditions. ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 4 décembre 2009 : " (...) Elle délibère valablement lorsque le président ou son suppléant et deux de ses membres au moins, ou leurs suppléants respectifs, sont réunis. ".
10. Il ressort de la fiche d'émargement de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 26 novembre 2020 que participaient à cette séance en plus de son président, un représentant de la juridiction administrative ainsi que du ministre chargé de l'immigration. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de cette commission doit être écarté.
11. En second lieu, l'identité des intéressés et partant les liens familiaux allégués n'étant pas établis, ainsi qu'il a été exposé aux points 5 et 6, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent qu'être écartés.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours formé contre les décisions de l'ambassade de France en Ethiopie refusant de délivrer un visa de long séjour en France à Mme Asmelash Teklemaryam et aux enfants A..., B... et E... C... au titre de la réunification familiale et lui a enjoint, sous astreinte, de délivrer les visas de long séjour sollicités.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. C... H... et Mme Asmelash Teklemaryam demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2110850 du tribunal administratif de Nantes du 25 avril 2022 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... H... et par Mme Asmelash Teklemaryam devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que leurs conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Nantes sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. I... C... H... et à Mme Regat Asmelash Teklemaryam.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Rivas, président de la formation de jugement,
- Mme Ody, première conseillère,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président de la formation
de jugement,
C. RIVAS
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01940